Chrétiens d’Irak : les mille pièges qui s’opposent à la diplomatie vaticane<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un communiqué publié mardi 12 août le Saint-Siège a explicitement demandé aux autorités musulmanes de condamner les crimes commis par l’État islamique contre les minorités d'Irak.
Dans un communiqué publié mardi 12 août le Saint-Siège a explicitement demandé aux autorités musulmanes de condamner les crimes commis par l’État islamique contre les minorités d'Irak.
©Reuters

Les limites du compromis

Dans un communiqué publié mardi 12 août le Saint-Siège a explicitement demandé aux autorités musulmanes de condamner les crimes commis par l’État islamique contre les minorités d'Irak. Parallèlement, plusieurs représentants du clergé ont confirmé que l’Église approuvait les frappes aériennes effectuées par l'armée américaine.

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. 

Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame.

Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011). 

 

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Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l'équipe EMAM de l'Université François Rabelais (Tours).

 Il est également l'auteur de "Syrie : pourquoi l'Occident s'est trompé" aux éditions du Rocher,  "Voyage chez les Chrétiens d'Orient", "Histoire et identité d'un village chrétien en Syrie" ainsi que "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord".

Il anime en parallèle le site Les yeux sur la Syrie.

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Atlantico : Comment qualifier les prises de position du pape sur la situation irakienne ? Quel message cherche-t-il à faire passer ? 

Frédéric Pichon : L’Irak est un des pays du Moyen Orient qui intéresse beaucoup le Vatican. Comme au Liban, les chrétiens y sont majoritairement catholiques. Historiquement, l’Eglise est implantée là-bas depuis longtemps, des missions dominicaines ont été envoyées dès le début du 19e siècle. L’exode massif des chrétiens de Mossoul et la tentative de nettoyage ethnique par l’Etat islamique a provoqué une prise de position inhabituelle de la part du Vatican, à savoir, approuver des frappes aériennes. Ce dernier pense qu’il n’y a pas de dialogue possible. Alors qu’en temps normal il privilégie systématiquement le dialogue, la situation est tellement dangereuse pour les chrétiens d’Irak que le Saint-Siège n’a d’autre choix que d’adopter une position tranchée. Un mal pour un bien.

Gérard Leclerc : Il paraît évident que pour le Vatican c’est un tournant. Tournant qui s’explique par la gravité de la situation pour les chrétiens et les autres minorités. Ils sont pourchassés, forcés de quitter leurs maisons, sans qu’on sache toujours bien ce qui se passe sur place. Ce que l’on sait en revanche, c’est l’ambition de l’Etat islamique de supprimer toute présence chrétienne dans la région. L’approbation du Vatican s’explique par cette réalité. Cela peut surprendre, effectivement, c’est en rupture avec la doctrine exprimée et la pratique de la diplomatie à laquelle nous avions été habitués jusqu’ici. Il n’y a pas si longtemps le pape François s’était opposé à la volonté de François Hollande et de Barack Obama de sanctionner Assad par des frappes. Aujourd’hui la crainte des exécutions et de voir le conflit s’étendre dans la région a changé la donne. Par ailleurs, le pape Jean-Paul II s’est opposé par deux fois aux guerres en Irak contre Saddam Hussein. Toujours, le Saint Siège cherche à trouver le compromis. Sauf là. Il fallait des éléments cruciaux, une urgence, et nous assistons aujourd’hui à un renversement de la diplomatie du Saint-Siège.

Jusqu'à quel point la diplomatie du Vatican peut-elle s'engager dans la défense des chrétiens sans pour autant susciter une guerre de religions ouverte ?

Gérard Leclerc : Depuis le concile Vatican II, l’Eglise catholique est mue par une volonté de rapprochement interreligieux. On peut aujourd’hui se demander si cette ouverture n’est pas menacée, et par la situation, et par la détermination du Saint-Siège. C’est pourquoi le Cardinal Tauran, qui s’occupe du dialogue interreligieux, a publié une longue note à destination des autorités musulmanes, leur demandant de condamner explicitement ce qui se passe en Irak, en argumentant sur le fait que si ce n’était pas le cas, le dialogue entre les deux religions risquait d’être gravement compromis, et même de devenir incompréhensible.

Une grande partie des musulmans désapprouve ce qui se passe en Irak, et compte sans doute provoquer une réaction au sein de l’islam en faveur de la paix, à l’instar du recteur de la Gtrande Mosquée de Paris, qui a répondu positivement à l’appel du Saint-Siège.

Frédéric Pichon : L’Eglise catholique a beaucoup célébré le dialogue islamo-chrétien, mais en l’occurrence cette exigence laisse entendre qu’il ne peut exister de vrai dialogue si les musulmans ne se prononcent pas clairement sur la question.

Sur quels leviers diplomatiques le Vatican s’appuie-t-il pour se faire entendre par les différentes autorités mondiales ?

Gérard Leclerc : Le seul levier dont le Saint-Siège dispose est son autorité morale. Staline ne disait-ils pas "Le pape, combien de divisions ?" Aujourd’hui cette autorité morale peut jouer à plein, car le fait que celle-ci approuve des opérations militaires, en totale rupture avec sa doctrine habituelle, ne peut être sans conséquences. Une telle prise de position est considérable.

Frédéric Pichon : Un intense lobbying est effectué par l’Eglise auprès des grandes chancelleries, y compris en France, au travers d’officines. La plus connue est l’œuvre d’Orient, vieille institution fondée en 1856, juste après des massacres perpétrés en Syrie contre des chrétiens, d'ailleurs, et qui dispose de moyens importants. Il existe aussi La Communauté de Sant’Egidio, en Italie. Ce sont des laïques qui depuis une trentaine d’année travaillent à résoudre les conflits dans le monde entier, quelles que soient les parties prenantes. Ils sont certainement très actifs sur le dossier des chrétiens d’orient, tout cela restant assez secret.

Par ailleurs, l'islam, dont se réclame le califat, n'a pas de représentant officiel. En quoi l'absence d'interlocuteur religieux, avec qui le pape pourrait être susceptible de porter un message d'apaisement, complique-t-elle la tâche du Vatican ?

Frédéric Pichon : Le problème de la déclaration du Vatican en direction des musulmans est qu’elle est purement diplomatique. Or le Vatican sait qu’il n’y a pas de magistère, d'autorité faisant référence côté musulman, tant du point de vue théologique que politique. C’est la structure intrinsèque de l’Islam : la parole de Dieu n’est pas donnée à travers une hiérarchie, mais au travers du Livre. Si bien que chacun en fait son interprétation : l’Etat islamique, lorsqu’il filme des massacres, appuie les scènes sur une sourate du Coran. Sourate 8, verset 57, "inflige-leur un châtiment exemplaire de telle sorte que ceux qui sont derrière eux soient effarouchés. Afin qu'ils se souviennent." Le Coran étant la parole de Dieu, et ce dernier ne pouvant pas se tromper, ces djihadistes agissent de  bonne foi. Les fatwas émises par des cheikhs dans d’autres pays ne sont absolument pas contraignantes. Finalement, le calife Ibrahim n’est qu’une autorité religieuse de plus dans l’Islam. Certains le suivent, d’autres non.

Propos recueillis parr Gilles Boutin

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