Changements de têtes dans l'administration à Bercy : portrait robot des décideurs qui seraient vraiment capables de réussir la remise à plat fiscale dont la France a besoin <!-- --> | Atlantico.fr
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Ramon Fernandez et Julien Dubertret devraient être remplacés prochainement.
Ramon Fernandez et Julien Dubertret devraient être remplacés prochainement.
©Reuters

Chaises musicales

Selon Le Monde et Le canard enchaîné, le ministère de l’Économie serait le théâtre d'un jeu de chaises musicales suite à l'annonce d'une "remise à plat" de la fiscalité française par Jean-Marc Ayrault. Qu'ils soient purs techniciens ou politisés, les futurs hommes de Bercy auront fort à faire.

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Après que Jean-Marc Ayrault ait annoncé une remise à plat de la fiscalité, il semble qu’il y ait d’ores et déjà du mouvement dans les rangs de Bercy. En effet, les directeurs du Trésor et du Budget du ministère de l’Économie, respectivement Ramon Fernandez et Julien Dubertret devraient être remplacés prochainement. Sont pour l’instant cités Denis Morin et François Villeroy de Galhau qui a démenti avoir été contacté. Que révèlerait ce changement, s’il s’avérait exact des profils que le gouvernement recherche pour mener à bien cette réforme de la fiscalité ? 

David Valence : Les profils des "sortants" et des éventuels "entrants" sont assez différents.

En termes de générations, d'abord : il est significatif que Denis Morin et François Villeroy de Galhau aient respectivement 11 ans et 9 ans de plus que ceux auxquels ils succéderont peut-être. Depuis son retour au pouvoir en 2012, la gauche marque une préférence assez claire pour des hauts fonctionnaires d'expérience, alors que Nicolas Sarkozy avait bousculé les cadres de la haute administration en donnant volontiers le pas au dynamisme sur l'ancienneté.

D'autre part, Denis Morin comme François Villeroy de Galhau ont des profils "marqués à gauche". Ils ont appartenu exclusivement à des cabinets de ministres de gauche, aux côtés de Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter. Avec leur arrivée à Bercy, c'est donc le "spoil system" à la française qui se remettrait en marche, la politisation ayant désormais largement gagné la haute administration.

Je vois en revanche un point positif dans le choix hypothétique de Denis Morin et de François Villeroy de Galhau : l'un comme l'autre ont une expérience très diversifiée de l'économie, ils ont su "sortir du sérail". C'est un signe positif, car notre administration a besoin de s'ouvrir sur l'extérieur, sur le monde réel !

Plus généralement, cette « remise à plat » est annoncée comme un projet phare du quinquennat de François Hollande. Ceux qui seront à l’œuvre, dans l’ombre ou dans la lumière, devront-ils être de purs techniciens ou des profils politiques qui feront correspondre la réforme à une vision ? Quel est le profil idéal pour une telle réforme ?

Contrairement à ce qu'on raconte trop souvent, les hauts fonctionnaires n'aiment pas "gouverner", ni "décider". Ils ne sont pas formés pour cela et ne demandent souvent pas mieux que de "mettre en musique" un dessein politique clairement affirmé, pour peu qu'il leur apparaisse adapté et légitime.

L'idéal, pour opérer une large réforme fiscale, serait donc que le gouvernement consulte très largement les syndicats, les formations politiques, les entreprises, les collectivités territoriales et les associations de contribuables, pour définir un certain nombre d'orientations, très fermement dessinées et point trop techniques. Du genre : "on fera tout pour faciliter la circulation des capitaux, contre la rente" ; "on agira pour permettre une plus juste répartition des richesses entre les générations" ; "on facilitera l'initiative sous toutes ses formes". Aux hauts fonctionnaires, ensuite, de mettre en forme ces priorités, sous l'oeil vigilant de leur autorité politique.

Or, ce qui risque de manquer au gouvernement Ayrault pour opérer une vraie remise à plat fiscale, c'est le courage politique et le temps : les municipales et les européennes qui arrivent vont tétaniser la gauche. Mais il n'est pas interdit d'espérer ! Si le gouvernement met à profit son impopularité pour réformer et simplifier vraiment la fiscalité, au motif qu'il n'a plus rien à perdre, alors Jean-Marc Ayrault aura fait œuvre très, très utile.

Dans quelle mesure ces changements relèvent-ils de l’opération de communication visant à montrer que « les choses bougent » et que l’on remplace les hommes nommés à l’époque Sarkozy ?

L'impact médiatique de tels changements est très limité. Cela passe au-dessus de la tête de l'immense majorité des Français, qui se fichent bien de savoir ce que sont la direction du Trésor et la direction du Budget. En revanche, l'hypothèse d'un vrai "choc fiscal" pourrait les intéresser et les convaincre que ce pouvoir sait enfin ce qu'il veut, et où il entend conduire la France.

Pour opérer de vraies réformes, le gouvernement pourra toujours arguer qu'il doit avoir confiance en ceux qui les appliquent. D'où ces changements probables. Mais s'il s'agit de trompe-l’œil, de leurres destinés à satisfaire l'ego du Premier ministre et les appétits d'une petite caste de hauts fonctionnaires "de gauche", alors cet épisode de chaises musicales n'aura servi à rien.

Dans les faits, quel est le véritable pouvoir d’action qui revient à ces hommes dans une réforme dont l’ampleur prévue semble colossale ?

Je vous l'ai dit : un bon directeur du Trésor, un bon directeur du Budget peuvent orienter la décision d'un responsable politique. Mais ils n'ont pas à faire la politique de la France. Cela, c'est la responsabilité du gouvernement, qui a la légitimité démocratique pour le faire.

En réalité, je crois que ces changements traduisent aussi la lutte d'influence qui se joue à Bercy entre les différents ministres. Bernard Cazeneuve s'est incontestablement installé dans les habits du "Grand argentier", il voulait apparemment faire venir Denis Morin auprès de lui et l'a obtenu.

Au-delà, il restera à voir si le gouvernement a vraiment les moyens politiques de ses ambitions. Une vraie réforme fiscale demande du courage, de la détermination et un certain mépris pour l'échec électoral. Jean-Marc Ayrault nous annonce une manière de "grand soir fiscal". Je dirais : "chiche!". Les Français y sont prêts comme jamais.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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