Cette part de notre cerveau qui s’active quand nous ne pensons plus à rien<!-- --> | Atlantico.fr
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La recherche permet d'en savoir plus sur les mécanismes du cerveau.
La recherche permet d'en savoir plus sur les mécanismes du cerveau.
©Fred TANNEAU / AFP

Neurosciences

Lorsque notre esprit vagabonde, notre cerveau reste actif. Cette découverte a inspiré une série de recherches sur les réseaux de régions du cerveau et la manière dont elles interagissent les unes avec les autres.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Les recherches des neuroscientifiques depuis 20 ans et de nouvelles études ont pu nous permettre d'en apprendre plus sur le fonctionnement de notre cerveau. Quand notre corps est au repos, que fait notre cerveau ? Nos pensées activent-elles totalement notre cerveau ? Ou est-ce une activité partielle ?

André Nieoullon : Si vous vous installez confortablement et que vous fermez les yeux en laissant vagabonder votre esprit en vous relaxant, dans cette situation de repos mais sans vous endormir, la question que vous posez est de savoir quel est à ce moment l’état de votre cerveau ? A vrai dire, pendant longtemps la réponse des spécialistes a été plus ou moins unanimement de dire que, dans ces circonstances, le cerveau ne faisait « pas grand-chose » et qu’il en profitait pour utiliser moins d’énergie et, en quelque sorte, « récupérer ». Pourtant, avec le perfectionnement des techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale, il était perçu que, dans des tâches où l’attention était attirée volontairement sur un objet, certaines aires cérébrales particulières voyaient leur activité se réduire alors même que les zones impliquées directement dans les processus attentionnels voyaient naturellement leur activité augmenter. Dès lors se posait la question de savoir à quoi pouvait bien correspondre cette réduction d’activité des aires cérébrales concernées, supposant implicitement qu’en situation de repos leur activité « de base » était plus importante.

C’est au tournant des années 2000 qu’avec le développement des méthodes d’enregistrement de l’activité cérébrale permettant des corrélations entre différents territoires cérébraux et surtout la mise en œuvre de techniques d’imagerie de plus en plus résolutives (tomographie par émission de positrons -TEPscan-, imagerie par résonance magnétique fonctionnelle -IRMf) que l’un des concepts les plus novateurs des Neurosciences a été introduit, illustré par le fait que dans les conditions de repos illustrées ci-dessus, certaines aires corticales bien particulières voyaient leur activité augmenter de façon plus ou moins synchrone, définissant une sorte de « réseau » de structures cérébrales particulièrement actif lorsque le cerveau était considéré comme étant « au repos ». Parmi ces structures, qui sont ainsi paradoxalement plus actives au repos que dans les tâches comportementales, on note principalement des régions du cerveau antérieur comme celles correspondant à ce que l’on nomme le « cortex préfrontal (médian) » mais aussi des régions du cerveau plus postérieures comme le cortex dit « cingulaire », le cortex pariétal, ou encore plus profondément enfouies dans le cerveau comme l’hippocampe ou le cortex dit « temporal ». Du fait de leur synchronisme dans l’état de repos, il a ainsi été reconnu que l’ensemble de ces structures actives formait un réseau qui a été qualifié de « réseau du mode par défaut », indiquant par-là que le cerveau n’a pas d’activité particulière dans cet ensemble de structures interconnectées lorsqu’il n’est pas engagé dans une tâche bien spécifiée. Et donc, lorsqu’une tâche était assignée à un individu, ces structures voyaient leur activité décroître, comme cela est mentionné ci-dessus.

La question qui s’est alors posée et à laquelle nous n’avons toujours pas de réponse claire plus de 20 ans après est de savoir quel est le rôle de l’activité de ce réseau neuronal « au repos » ? Bien entendu, un certain nombre d’hypothèses ont été émises, dont les principales font du réseau du « mode par défaut », soit un système ayant en quelque sorte un rôle de sentinelle, supposant par-là que même dans l’état de repos, le cerveau soit à même d’apporter une certaine vigilance aux évènements susceptibles d’intervenir dans notre environnement, soit un système de gestion de l’état interne du cerveau impliqué dans une forme de pensée et de souvenir bien présents lorsque notre esprit « vagabonde » et qu’il se remémore, plus ou moins automatiquement, par exemple des évènements autobiographiques. Ces deux hypothèses ne sont pas exclusives et toutes deux ont fait l’objet de développements récents, sans toutefois qu’il soit apporté des conclusions définitives à la question de savoir quel peut bien être le rôle principal de ce réseau neuronal. Les travaux actuels ont d’ailleurs abouti à la description d’autres réseaux susceptibles d’agir en coordination avec le réseau du « mode par défaut », comme celui contribuant à focaliser l’attention sur un événement important, à titre d’illustration (ce que l’on désigne par « salience network »).

Parmi les développements actuels, l’accent est mis sur l’implication potentielle de dysfonctionnements du réseau du « mode par défaut » dans certaines pathologies neuropsychiatriques comme certaines dépressions, des états liés à la schizophrénie, ou encore à certains symptômes de la maladie d’Alzheimer. Eu-égard à l’implication des structures de ce réseau dans les processus liés notamment à la mémorisation, à la prédiction des actions, aux aspects de récompense de ces comportements, ou encore aux mécanismes de l’intégration de l’information cérébrale, plus généralement, ces hypothèses sont crédibles et sont en cours d’évaluation, éclairant d’un regard nouveau les mécanismes sous-tendant ces pathologies dont l’étiologie reste encore bien mystérieuse.

Ainsi, comme vous le constatez, le réseau du « mode par défaut » ne concerne pas l’ensemble du cerveau mais, au contraire, des régions bien spécifiées, qui présentent la caractéristique de ne pas être celles impliquées directement dans les processus comportementaux. Il s’agit donc d’une activité partielle, pour reprendre votre terminologie, mais sur laquelle nous avons encore tout à apprendre.

Se passe-t-il les mêmes choses lorsque nous dormons ?

L’activité du réseau du « mode par défaut » se distingue clairement de celle qui préside aux différents états de sommeil. Il s’agit donc d’une activité bien spécifique. De fait, dans les états de sommeil, les synchronisations sont beaucoup plus globales, qu’il s’agisse de ce que l’on nomme « le sommeil lent », correspondant à des stades de sommeil plus ou moins profonds, ou encore des états du sommeil dit « paradoxal » où, au contraire, on observe transitoirement une forte activité cérébrale. Schématiquement, les rythmes corticaux correspondant à la veille « active » sont de caractère rapide et de faible amplitude, traduisant une forte désynchronisation cérébrale (rythme alpha), dérivant progressivement vers un état de synchronisation plus forte, qui se traduit par une augmentation de l’amplitude des signaux de l’électroencéphalogramme avec l’endormissement, puis avec l’établissement d’un sommeil de plus en plus profond (rythmes thêta, puis delta) alors que les épisodes de sommeil paradoxal se traduisent par l’apparition de rythmes à nouveau rapides et de faibles amplitudes (rythmes béta et gamma) considérés comme concomitants des phases de rêve du sujet. Il s’agit donc dans le cas du sommeil d’une activité globale du cerveau, qui n’implique pas des régions particulières, comme cela est le cas du réseau « du mode par défaut ».

Comment mettre notre cerveau sur « off » ?

Cette question n’a pas de réponse claire, du fait notamment de la complexité de la problématique. Même certaines expériences d’imagerie visant à étudier les mécanismes d’une forme de méditation impliquant une forte déconnexion de la réalité, n’ont pas répondu à cette interrogation. Dès lors, si l’on revient à l’hypothèse du rôle de sentinelle que pourrait jouer le réseau du « mode par défaut », peut être est-il possible de spéculer que le cerveau n’accepte pas de se mettre sur « off » car cela pourrait le mettre en danger. En tout état de cause, de nombreuses tentatives ont été faites pour caractériser l’état du cerveau dans toutes les situations possibles et imaginables, amenant à conclure, pour répondre à votre question, qu’il n’est pas possible de déconnecter le cerveau, même lorsque votre esprit vagabonde en dehors de toute contingence.

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