Solutions alternatives
Ces milliards qui manquent au régime des retraites et qu’on pourrait trouver en… réduisant les subventions publiques massives aux associations
Personne ne doute que certaines associations soient d’intérêt général. Mais ça n’est pas le cas de toutes, loin de là. Et nous pourrions faire preuve de beaucoup plus d’ingéniosité pour que les associations trouvent quand même à se financer.
Drieu Godefridi
Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).
Viviane Tchernonog
Viviane Tchernonog est chercheure au CNRS, au Centre d’économie de la Sorbonne de l’Université Paris 1 dans lequel elle développe des recherches portant sur l’analyse socio-économique des associations.
Ses enquêtes auprès du secteur associatif permettent de dresser un état du monde associatif dans ses différents aspects : profil, financement, emploi salarié, travail bénévole, gouvernance. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages et publications sur le sujet.
À l’occasion des vacances d’été, Atlantico republie une sélection des meilleurs articles de l’année
Atlantico :Quelle est la répartition de l’argent public qui va aux associations ? Quelle part cela représente-t-il dans les budgets associatifs ?
Viviane Tchernonog : Toutes formes comprises, les financements publics
Les associations fonctionnent avec un budget total de plus de 113 milliards d’euros, mais si les associations sont nombreuses - 1 370 000 associations environ - les financement publics sont en réalité extrêmement
A quoi servent les subventions aux associations ?
Viviane Tchernonog : Il y a deux grandes familles de financement public, les subventions publiques qui soutiennent les projets associatifs et les commandes publiques dans lesquelles les associations interviennent comme « outils » des politiques publiques. La part relative des subventions publiques dans le budget a fondu depuis une vingtaine d’années , la majorité des financements publics aujourd’hui s’effectuent sous forme de commandes publiques.
Pourquoi une collectivité finance-t-elle une association ? Une des raisons majeures est leur capacité de repérage des besoins sociaux, de contact avec les publics en difficulté et leur capacité d’innovation: de nombreuses politiques publiques ont été développées à partir d’actions innovantes initiées par des associations. Un autre facteur important du financement des associations par les collectivités publiques tient aussi à des raisons économiques: les politiques sociales publiques mises en place à partir des associations présentent un niveau de souplesse plus important notamment lorsque la collectivité veut apporter un certain nombre de modifications dans le fonctionnement des politiques. L’emploi salarié est en outre plus souvent que dans les collectivités un emploi précaire et différents facteurs poussent les associations à comprimer les coûts; de ce point de vue la mise en place des politiques publiques un cadre associatif présentent des avantages économiques à un moment ou les moyens se font plus rares.
L'Etat a versé 8 milliards d'euros aux associations en 2019, les collectivités locales, elles, versent également des sommes importantes, pour un total allant à plusieurs dizaines de milliards d’euros. A l’heure où l’Etat cherche des marges de manœuvre budgétaire n’y aurait-il pas intérêt à réfléchir à aller puiser chez les associations, en particulier quand celles-ci n’ont pas des résultats satisfaisants ?
Drieu Godefridi : À l’instar de tout ce qui touche à l’argent public, en France, le financement public des associations privées présente un tableau profondément malsain, et doublement malsain : dans sa massivité, et dans son opacité. Massivité : près de 40 milliards par an. Opacité : l’écrasante majorité de ces subventions ne fait l’objet d’aucune justification, notamment dans le chef des collectivités locales. (Ce qui nous rappelle que la décentralisation à la française a essentiellement creusé une nouvelle source, ô combien féconde, de dépenses publiques.) Ce n’est certes pas en chicanant telle ou telle subvention, ou son montant, qu’on y changera quoi que ce soit. Si les Français souhaitent réellement réformer le secteur, une révolution copernicienne s’impose, qui renverse les principes. Toute subvention à des associations privées devrait être proscrite, sauf celles qui sont expressément justifiées par des missions de service public. Cette mission devrait être instruite, motivée, dans un rapport public soumis à la censure parlementaire, fût-elle locale, avant l’octroi de la subvention, et son renouvellement annuel. Toutefois, les Français sont notoirement ambivalents, quand il s’agit d’argent public. Ils sont conscients des excès, de l’affreuse gabegie publique, souffrant de vivre et, pour beaucoup, survivre, sous le pire joug fiscal d’Occident, mais qu’on leur brandisse la Croix-Rouge comme association subventionnée et déjà leur résolution faiblit. En démocratie, dans la durée, on a le système que l’on mérite.
Face aux trop faibles contrôles sur le fonctionnement des associations, ne devrions-nous pas exiger des garanties d’efficacité ou d’utilité publique ?
Drieu Godefridi : Toute association qui remplit une mission de service public prend, par définition, l’État en défaut. La France est massivement fonctionnarisée : 5,674 millions de fonctionnaires à la fin de 2021, soit 1,025 million de plus qu'à la fin de 1997, soit une augmentation de 22% en 15 ans. Que, dans ce contexte, l’État sous ses multiples figures n’assume pas même les missions de service public, est insupportable. Une association privée assumant une mission de service public — et prétendant, à ce titre, au denier public — devrait n’être jamais qu’une solution transitoire. Les associations qui n’assument aucune mission de service public — au sens fort, pas celui de l’intérêt public, qui ne veut strictement rien dire, car une amicale de pétanquistes présente aussi un ‘intérêt public’ — se verraient interdire légalement des prétendre à la subvention publique. Les Français ne doivent pas s’y tromper : le monde associatif est un monde de requins, profondément inégalitaire : les petits n’ont rien, ce sont les gros qui raflent tout. On estime que si 80 % des associations ne reçoivent aucune subvention, 7 % des associations perçoivent 70 % des subventions publiques. Sept pourcent ! Chasseur de subvention est un métier français à part entière, darwinien et formidablement lucratif. Seule la lumière ira désinfecter ce marigot qui ferait honte au plus clientéliste des sénateurs de la Rome décadente.
Comment être plus ingénieux pour continuer de financer les associations sans que ça coûte aussi cher à l’Etat ?
Viviane Tchernonog : Ce n’est pas facile! Globalement, dans les dernières années précédent la crise sanitaire, les financements publics ont eu tendance à stagner Les associations ont été confrontées au problème de croissance et de vieillissement de la population et n’ont pas d’autre choix de se tourner vers les financements privés. Ceux-ci sont composés pour l'essentiels de la participation des usagers, et d’autre part les dons et le mécénat. Malgré des lois et des réglementations les plus incitatives, les dons et le mécénat ne dépassent pas 4 à 5 % des budgets associatifs. La seule marge de manœuvre des associations revient à augmenter la participation des usagers, et de fait celle-ci a explosé avant la crise sanitaire ou les usagers 42% des ressources des associations et plus encore si on ajoute les cotisations. Mais cette alternative n’est pas sans conséquence: elle se heurte à la solvabilité des usagers et pourrait conduire à orienter de façon croissante les actions des associations vers des publics solvables, ce qui est contraire aux objectifs de solidarité des associations.
D’une façon plus générale, le développement des commandes publiques qui placent - notamment mais pas seulement via les appels d’offres qui mettent en concurrence les associations - a tendance à privilégier les grandes associations qui ont la taille critique et les ressources nécessaires pour accéder à cette forme de financement publics et à mettre de cote les associations de taille moyenne, fonctionnent avec un engagement citoyen fort et des ressources locales: celles-ci voient leur nombre et leur poids diminuer régulièrement e et le secteur à tendance à se polariser autour de deux grandes masses d’associations. Les très grandes associations qui concentrent l’essentiel des financements et privés pour mettre en place les politiques sociales et les toutes petites associations qui animent la vie locale à partir du travail bénévole et qui n’accèdent quasiment pas aux financements.
Drieu Godefridi : Quand on crée une association privée, on pourvoit à son financement ; ce n’est pas à l’État d’y pourvoir. Je le rappelais à l’instant, 80% des associations ne perçoivent aucun financement public. Cette idée qu’au delà des associations qui exécutent une mission de service public au sens strict — ce qui, je le rappelais, est en soi une anomalie — une association privée aurait en quelque façon droit à une subvention, doit être pulvérisée si l’on veut réformer le système.
Faire appel plus largement au don, et laisser le contribuable décider des projets qu’il veut soutenir ou pas, ne serait-il pas plus vertueux ? Ne pourrait-on pas demander aux citoyens, surtout à l’échelon local, ce qu’ils veulent voir financé ou non?
Drieu Godefridi : Vous avez raison. C’est l’idée, que j’avançais à l’instant, d’instruire publiquement et annuellement toute demande de subvention publique, pour la soumettre à la contradiction parlementaire et publique. Ce qui permettrait et obligerait les Français à se réaproprier le secteur. Ce ne serait que justice. Car, après tout, ce qui est financé par leurs impôts, leur appartient.
Drieu Godefridi est docteur en théorie du droit (Sorbonne)
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