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Ces entreprises surendettées que le Coronavirus pourrait faire couler
©NOEL CELIS / AFP

Crise de trop ?

L’impact de l’épidémie de Coronavirus est de plus en plus important sur l’économie mondiale. De nombreuses entreprises pourraient avoir des difficultés à surmonter cette crise et maintenir leurs activités.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Alors que l’épidémie continue de se propager et que son impact sur l’économie mondiale se fait de plus en plus lourd, doit-on s’attendre à ce que de nombreux investisseurs arrêtent de soutenir les industries qui leur paraissent les plus faibles ? 

Michel Ruimy : Apporter une réponse à l’enjeu pour l’investisseur de la propagation du coronavirus peut sembler aussi déplacé (il s’agit d’un sujet de santé publique avant tout) que présomptueux (les investisseurs ne sont pas épidémiologistes). Pourtant, la question est incontournable. Chacun a déjà pu faire de nombreux parallèles avec la crise de 2002-2003 provoquée par le virus du SRAS et constater qu’à l’enjeu médical s’ajoute bien un enjeu économique de taille et un casse-tête pour les investisseurs. En l’espèce, comparaison est moins raison que jamais car d’une part, les deux situations, à 17 ans d’intervalle, sont très différentes et d’autre part, le SRAS ayant déjà eu lieu, les autorités sanitaires presque partout dans le monde, en particulier en Chine, ont beaucoup progressé sur la courbe d’apprentissage de la conduite à tenir dans une situation de cette nature.

Dès lors, pour les plus grandes entreprises cotées en bourse, la question pour l’investisseur ne se réduit pas à comment réagir aux informations qui vont lui parvenir, chaque jour, sur la progression de l’épidémie mais celle d’une situation complexe à appréhender, susceptible d’ôter au moins temporairement aux marchés 2 ou 3 moteurs de performance. Il semble alors rationnel de profiter de tout repli pour se renforcer sur les actions d‘entreprises dont la croissance est la moins vulnérable au cycle économique global et de prendre des profits conservatoires sur les autres.

Quant à celles, nombreuses, non cotées en bourse, l’investisseur, s’il est convaincu que le produit développé a de bonnes perspectives d’évolution et s’il a confiance dans l’équipe dirigeante, il a tout intérêt à rester actionnaire de l’entreprise. D’autant que les autorités vont vraisemblablement prendre des mesures temporaires d’accompagnement aux plan budgétaire et monétaire afin que les secteurs actuellement en difficultés financières puissent s’en sortir.

À l’échelle de l’Europe et de la France, quels secteurs pourraient être les plus concernés ? On sait que l’industrie du tourisme est très touchée par l’épidémie, mais quels autres secteurs pourraient avoir du mal à se relever ? 

Compte tenu de la place de la Chine dans l’économie mondiale, le ralentissement voire l’arrêt de certaines chaines de production perturbe les chaînes logistiques de ses clients.

Dans une première approche, les ventes du secteur automobile, notamment celles de Daimler, de BMW, de General Motors et de Volkswagen qui réalisent de 30 à 40% de leurs ventes en Chine, pourraient être impactés par la situation. Les ventes de voitures en Chine se sont effondrées de plus de 90% en quinze jours en février. La production serait également touchée. La plupart des usines hors de la province du Hubei redémarrent doucement mais pas avant le 11 mars pour la province en quarantaine, qui concentre 7% de la production du pays. General Motors, Honda et Nissan resteront fermées au moins jusque-là. De nombreux fournisseurs y étant implantés, cela pourrait conduire à stopper des lignes de production dans le monde entier, à l’instar des usines de Jaguar Land Rover au Royaume-Uni. 

Le prix du pétrole repart à la baisse. Certains experts tablent désormais sur un brut à 56 dollars en moyenne au premier trimestre, soit 6 dollars de moins que prévu initialement. L’OPEP et la Russie se réunissent le 5 mars pour décider d'une baisse de leur production afin de soutenir les prix.

Le transport maritime de marchandises traverse une mauvaise passe. Le coronavirus a conduit à un arrêt complet de nombreux ports chinois. Pour le vrac sec (minerais, charbon, céréales…), le Baltic Dry Index, l’indice des tarifs pratiqués au quotidien sur les vingt routes de transport représentatives du marché, a touché la semaine dernière un plus bas depuis 2016. Louis Dreyfus Armateurs (LDA) a suspendu les relèves d’équipages en Chine et n’autorise plus ses marins à descendre à terre. Dans le transport maritime de conteneurs, l’activité de ce début d’année du danois AP Moeller-Maersk, numéro un mondial, est faible du fait d’une fermeture plus longue que d'habitude des usines en Chine. Pour 2020, la visibilité, cruciale pour le secteur, est considérablement réduite. La situation risque de se compliquer si la Chine ne retrouve pas rapidement son rythme de production habituel.

Les compagnies aériennes sont des victimes collatérales. L’épidémie de coronavirus pourrait entraîner un manque à gagner de 30 milliards de dollars en 2020. L’Association internationale du transport aérien (IATA), qui regroupe 290 compagnies aériennes, redoute la première baisse mondiale des réservations depuis 2008-2009. La baisse nette du nombre de passagers pourrait être de 8% dans la région Asie-Pacifique. Les compagnies d'Asie-Pacifique seront ainsi vraisemblablement les premières touchées, avec une perte globale de revenus d’environ 30 milliards de dollars, le manque à gagner pour les autres étant d’un peu moins de 2 milliards. Le groupe aérien chinois HNA, déjà confronté à un problème de surendettement, pourrait être repris par le gouvernement de la province de Hainan - où il a son siège -, lequel le démantèlerait. Air France-KLM, quant à elle, a estimé entre 150 et 200 millions d’euros le manque à gagner dû à la suspension de ses vols jusqu’en avril.

Si l’on se concentre uniquement sur la France, quelles entreprises pourraient touchées et à quel degré ?

Plusieurs secteurs (marques de luxe, grands groupes touristiques…), un certain nombre de PME dans l'hôtellerie et la restauration souffrent de la pénurie de clients et de touristes chinois. Du côté industriel, ce sont les secteurs de l’automobile et de l’électronique qui pâtissent le plus du ralentissement du rythme de production de la Chine.

Pour les professionnels du tourisme, dont le secteur représente à lui seul plus de 7% du PIB annuel, il s’agit d’une « double peine » après la grève des transports de la fin d’année dernière. Pour l’hôtellerie, 20% de chiffre d'affaires ont été perdus à l’échelle nationale avec des disparités importantes. Par exemple, des réservations d’hôtel ont été annulées : 20 000 nuitées à Tarbes et Lourdes. Les restaurants sont moins remplis. 

La filière touristique, notamment parisienne, est et sera touchée par l’effondrement de la venue des visiteurs chinois (2,2 millions en 2018) d’autant qu'ils sont de loin les visiteurs étrangers les plus dépensiers. Selon le spécialiste de la détaxe Planet, les Chinois ont représenté 32% du montant des ventes détaxées en 2019 avec un panier moyen de 1 450 euros.
Chez les tour-opérateurs, les spécialistes de l'Asie et de la Chine sont les plus exposés. Chez les professionnels français, qui ont suspendu le 26 janvier les départs sur la Chine jusqu'au 31 mars la chute des réservations s'amplifie sur la Thaïlande et le Vietnam, le Japon étant désormais le troisième pays fortement affecté.

Dans l’événementiel, jusqu’ici épargné, la situation s'est finalement détériorée en fin de semaine dernière lorsque le gouvernement a annoncé l’interdiction des événements rassemblant plus de 5 000 personnes en milieu fermé partout en France. Certains salons et événements ont été reportés lorsqu’ils ne sont pas annulés : le Salon de l’Agriculture a ainsi dû fermer ses portes un jour en avance, le Salon du Livre et ses 160 000 visiteurs attendus a été annulé. Le Mipim de Cannes, rendez-vous mondial des professionnels de l'immobilier qui draine 80 millions d’euros de chiffre d'affaires pour la ville, est quant à lui repoussé de mars à juin. Idem pour différents concerts, carnavals, rendez-vous sportifs. 
Certes des retards d'approvisionnement en produits ou pièces détachés essentiellement fabriqués en Chine perturbent déjà les filières de l'automobile, de la pharmacie et de l'électronique (y compris des smartphones) mais cela n'a pas encore de conséquences flagrantes pour les clients.

Concernant les produits frais, tous les conteneurs réfrigérés disponibles ayant été loués, les difficultés pourraient rapidement s'amplifier. 

Pour les viticulteurs, il s’agit également d’une « double peine ». Alors que l’entrée en vigueur, à l'automne, de taxes américaines additionnelles de 25% (liées à un litige avec l’Union européenne dans le cadre du dossier Airbus) a fait fondre les exportations de vins, le coronavirus a réduit les commandes chinoises. 

Toutefois, certaines entreprises pourraient être favorisées : celles qui offrent un service permettant aux consommateurs de rester chez eux. Le e-commerce, le gaming ou la livraison de nourriture à domicile pourraient par exemple voir leur demande augmenter. 

Il n'empêche que ces aspects économiques ne perturbent pas, dans l’immédiat, le quotidien des Français : les mesures de restriction ne pèsent pas sur la consommation des ménages. Résultat, la croissance française pourrait limiter sa progression à 0,9% cette année, selon les prévisions publiées par l’OCDE. C’est 0,3 point de moins que le dernier chiffre communiqué remontant à novembre. 

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