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Ces autres qui sont en nous et nous influencent : notre organisme comporte des fragments de plusieurs êtres humains
©Reuters

Mosaïque

Au-delà des simples gènes hérités de ses propres parents à la naissance, un individu est composé d'une véritable mosaïque de virus et de bactéries mais renferme aussi probablement les caractéristiques d'autres êtres humains.

Pierre  Roubertoux

Pierre Roubertoux

Pierre Roubertoux est professeur de génétique et de neurosciences à Marseille. Il a créé et dirigé le laboratoire "Génétique, neurogénétique, comportement" du CNRS et a travaillé au laboratoire "Génomique fonctionnelle, comportements et pathologies" du CNRS, à Marseille. Il mène aujourd'hui ses recherches au sein du laboratoire de génétique médicale de l'Inserm.  Ses travaux sur la découverte de gènes liés à des comportements lui ont valu le prix Theodosius Dobzhansky, aux États-Unis.

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Les psychologues comme les psychiatres méconnaissent trop souvent l'influence que les microbes présents dans notre cerveau et notre organisme peuvent avoir sur notre comportement. En effet, beaucoup d'individus ont dans leur propre cerveau des cellules provenant d'un autre être humain. C'est en tout cas ce que s'emploie à rappeler Peter Kramer, chercheur en psychologie à l'université de Padoue, en Italie, qui veut dresser un panorama des conséquences que peut engendrer la cohabitation de notre organisme avec ces entités indépendantes. Selon lui, l'homme est à la fois le fruit d'éléments humains et non-humains, dont l'interaction détermine l'être. 

"Les êtres humains ne sont pas des individus unitaires, mais des super-organismes (…) Un très grand nombre d'éléments humains et non-humains se battent constamment à l'intérieur de nous pour obtenir le contrôle de notre organisme" assure-t-il. Dans un article rédigé conjointement avec Paola Bressan, et publié dans la revue "Perspectives in Psychological Science", il appelle les psychologues et les psychiatres à s'intéresser aux conséquences que cela peut avoir sur le comportement d'un être humain au cours de sa vie.

Pierre Roubertoux explique à Atlantico : "La revue "Nature Reviews" a consacré un bilan à ce sujet en 2009. Il ressort de cet article que le cerveau module le fonctionnement intestinal, et en particulier le régime de la flore via le système de contrôle des émotions. Donc, ce ne serait pas un effet à sens unique mais une interaction entre cerveau et intestin. Ensuite, et même si on a trouvé une implication de la flore dans l’activité de la sérotonine dans l’hippocampe (ce qui voudrait dire une implication sur la mémoire), l’effet  pourrait être indirect."

Le professeur de génétique et de neurosciences à Marseille de préciser : "Un article récent tendrait à confirmer (ce qu’on soupçonnait déjà) que cette implication de la flore intestinale sur le fonctionnement cérébral passe par la plus ou moins grande perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. La flore jouerait sur cette barrière, la rendant moins efficace et permettant ainsi l’entrée dans le cerveau de molécules qui , d’ordinaire n’y pénètreraient pas. Affirmer le "contrôle bactérien" sur le fonctionnement cérébral semble solliciter fortement les résultats publiés."

Au-delà des simples gènes hérités de ses propres parents à la naissance, un individu est composé d'une véritable mosaïque de virus et de bactéries, mais renferme aussi probablement les caractéristiques d'autres êtres humains. Dans le cas de jumeaux, un individu a en effet de grandes chances de porter en lui des fragments de son sosie, dispersés dans son corps et son cerveau. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces différents éléments sont pourtant susceptibles d'influence notre comportement. 

L'exemple le plus explicite est certainement celui de frères siamois partageant le même cerveau, explique Kramer, même si de simples jumeaux peuvent également avoir partagé les mêmes organes sans s'en rendre compte. Au tout début du processus de développement, les cellules peuvent être échangées entre des jumeaux ou des triplés. Autrefois considéré comme rare, ce phénomène est aujourd'hui reconnu comme étant assez fréquent.  Environ 8% des jumeaux non-identiques, et 21% des triplets ne comportent par un seul mais deux groupes sanguins. 

Le premier est le fruit des propres cellules d'un individu, et le second est produit par des cellules "aliènes" provenant de son jumeau. Il s'agit donc en quelque sorte d'un chimère, la fusion de deux corps différents, qui peut se caractériser dans plusieurs organes, dont le cerveau. 

Si cette théorie peut sembler inquiétante pour le commun des mortels, il a déjà été admis depuis plusieurs années que le corps humain se compose en fait d'une multitude d'organismes. Les microbes présents dans notre estomac peuvent activer des neurotransmetteurs qui agissent sur notre humeur. Certains scientifiques ont même avancé une hypothèse selon laquelle ces microbes ouvrent notre appétit, afin que nous consommions la nourriture qu'ils affectionnent. L'infection d'un parasite appelé toxoplasmose peut quant à elle provoquer la mort d'un individu. 

Dans la nature, ce microbe s'enroule par exemple autour du cerveau des rats afin qu'ils se sentent attirés par les chats, dont l'organisme constituera par la suite un endroit de choix pour leur reproduction. Mais les humains peuvent eux aussi être sujets au même type de contrôle mental. Certains microbes semblent pouvoir occasionner des comportements à risque chez l'être humain, mais aussi augmenter la probabilité de souffrir de schizophrénie ou de dépression au stade suicidaire. 

Au regard de ces éléments, il semble presque évident que nos actions ne dépendent pas entièrement et simplement de nous, ou de ce que nous sommes. Ce fait scientifique est en effet largement suffisant pour engendrer chez n'importe quel individu un questionnement quant à sa propre identité.

Pierre Roubertoux de tempérer : "La quasi totalité des travaux menés porte sur des espèces non humaines. Une expérimentation stricte implique un contrôle de la flore bactérienne qui peut se réaliser sur des rongeurs rat, souris, chez qui ce contrôle est difficile mais faisable. Dans l’espèce humaine, il est difficile de contrôler la flore d’un individu. La diversité de notre environnement, l’absorption volontaire ou non des antibiotiques en fait une donnée très variable. Un vétérinaire d’abattoir me disait qu’un rôti, de n’importe quelle viande contenait un douzaine d’antibiotiques différents. Donc la flore est variable au gré de l'alimentation."

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