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Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron lors d'une rencontre à l'Elysée.
Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron lors d'une rencontre à l'Elysée.
©Ludovic MARIN / AFP

Mirage politique

L’interview fleuve de Nicolas Sarkozy dans le JDD a provoqué beaucoup de remous à droite. Mais la culture politique française est-elle compatible avec une logique de véritable coalition ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le président Emmanuel Macron devrait se tourner vers la droite « de façon plus franche », a exhorté dimanche son prédécesseur Nicolas Sarkozy, en lui suggérant de conclure « un accord politique » pour pallier son absence de majorité absolue à l’Assemblée. Comment imaginer que cela puisse se faire par un simple accord de gouvernement alors que ces sujets ont largement été laissés de côté pendant la campagne ?

Christophe Boutin : En dehors d’autres considérations, si l’on tente de faire une analyse politique des récentes déclarations de l’ancien Président, on trouve un bilan, celui qu’il fait des attentes des Français, et les conséquences de ce bilan en termes de positionnement politique.

Un bilan portant sur les attentes des Français, puisque, selon Nicolas Sarkozy, « la France est aujourd'hui majoritairement du côté du parti de l'autorité, de la fermeté, de la liberté ». On aura rarement enfoncé avec une telle violence les portes ouvertes, car il suffit à un étudiant de première année de compiler les résultats des différents sondages de ces derniers mois pour constater qu'il y a effectivement une attente très forte autour de ces trois éléments. Une attente d'autorité, c'est-à-dire d'un pouvoir qui ait clairement défini ses objectifs et qui ose ensuite les réaliser. Une attente de fermeté, à l'encontre bien sûr de ceux qui ont transformé le trop fameux « sentiment d'insécurité » en une sinistre réalité quotidienne, mais aussi de ceux qui abusent de leur pouvoir de blocage pour perturber de manière excessive la vie de la nation tout entière. Une attente de liberté enfin, très claire elle aussi, et d'autant plus forte que les atteintes aux libertés et les restrictions dans tous les domaines sont devenus monnaie courante depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron.

Une fois posé cette approche, dont on constatera donc l’aspect résolument novateur, de « la matrice du pays telle qu’[il] la ressen[t] », l’ancien président de la République cherche à nommer la composante politique française qui représenterait le mieux cette triple demande d’autorité, de fermeté et de liberté. Pour lui, cet « axe stratégique du pays » est celui que l’on peut appeler « centre droit, centre, droite républicaine, peu importe ». Que dire ? On en retire d’abord la preuve que l’ajout de l’adjectif « républicaine » au terme « droite » ne vise qu’à faire passer cette dernière sous les fourches caudines du centre – l’autorisant tout au plus à être un centre-droit. Ce n’est pas non plus une surprise majeure, au vu de ce qu’a été l’UMP puis les Républicains, mais cela a le mérite de la clarté. Quant à l’adéquation ensuite entre les projets centristes et les trois valeurs évoquées, il faut bien dire que Nicolas Sarkozy n’est guère convaincant. Parce que la demande de liberté de la part du centre-droit vise essentiellement les libertés économiques, beaucoup plus que les libertés politiques ou même publiques ; ou parce que le centre-droit n’a guère brillé, dans les décennies précédentes, par sa recherche d’autorité, et moins encore par sa fermeté.

S’il est actuellement une droite dont le discours insiste sur ces trois éléments, elle se trouve beaucoup plus du côté de Reconquête, dans une autre perspective dans celui du Rassemblement national, partiellement enfin du côté des Républicains - mais dans la frange conservatrice de cette dernière formation bien plus que dans sa part de centre-droit. Et l’on comprend ici que le problème de Nicolas Sarkozy est d’expliquer les choses par la fin : il ne peut nier les demandes des Français, dont il tire son bilan, mais toute sa démonstration étant bâtie sur la nécessité d‘une alliance entre les Républicains et Emmanuel Macron, il faut que ces derniers soient le centre-droit. C’est toute la limite de l’exercice de reconstruction idéologique à laquelle il se livre.

Comment résoudre l’absence de programmes et de visions clairs, l’un des principaux freins à un accord de gouvernement ? La nature constamment évolutive du contenu idéologique du macronisme ne le rend-il pas impossible ? La droite doit-elle repenser véritablement ce qu’elle est sur des questions fondamentales telles que l’économie ou le social ou même le sociétal ?

Comment pallier l’absence de cohésion ou de définition d’un programme commun de cette grande coalition du centre droit que Nicolas Sarkozy appelle de ses vœux ? Peut-être simplement en n’ayant pas de programme, et en se plaçant dans une approche aussi « évolutive » que celle qui vous semble caractériser le macronisme.

Une fois que l’on a avancé « l’intérêt supérieur du pays » qui réunit « toutes les bonnes volonté », que reste-t-il en effet ? Un accord de gouvernement pour permettre de faire passer les « réformes nécessaires » - entendre par là les réformes qu’appellent de leur vœux les marchés financiers et l’Union européenne, au premier rang desquelles une réforme des retraites que, comme d’autres, la droite n’avait pas osé mener à bien quand elle était au pouvoir – autrement dit Sarkozy regnante -, et au sujet de laquelle ce dernier reproche pourtant à Emmanuel Macron de s’arrêter « au milieu du gué ». « Citius, Altius, Fortius », « plus vite, plus haut, plus fort », il ne manque même pas le « Communiter », « ensemble », de la nouvelle devise olympique. Une réforme des retraites au sujet de laquelle l’ancien Président n’hésite pas d’ailleurs à agiter le spectre de la peur devant le seul électorat que se partagent Emmanuel Macron et les Républicains, celui des retraités : « Si demain l'argent venait à manquer, ce seraient les retraités d'aujourd'hui qui ne toucheraient plus leurs retraites ».

Où l’on touche d’ailleurs une vraie question, celle de savoir ce qui, sur une grande partie du programme, opposait en 2017, et oppose plus encore en 2022, cette « droite républicaine », ce centre-droit dont nous parle Nicolas Sarkozy, et Emmanuel Macron. Sur un certain nombre de réformes économiques, l’accord est en effet absolument évident, et il l’est tout autant sur le rapport à l’Union européenne. Certes, il peut y avoir des divergences sur le plan sociétal, mais on rappellera qu’après de bien inutiles rodomontades sur l’identité ou la sécurité l’ancien président de la République avait choisi de céder devant la bronca d’une gauche intellectuelle qu’il rêvait de séduire.

Derrière la revendication affichée de « pragmatisme » de Nicolas Sarkozy, on trouve en fait la logique qu’il partage avec Emmanuel Macron, bien plus idéologique qu’il ne semble le croire et critiquant les « intellectuels », selon laquelle « sachants » et experts auraient nécessairement trouvé La solution qu’il importerait de suivre, et les deux présidents n’hésiteraient sans doute pas à reprendre à leur compte la célèbre formule de Margaret Thatcher, « There is no alternative » - du moins pour le peuple.

Cette proposition d’accord de gouvernement peut-elle aller au-delà de simples postures de communication vis-à-vis des électeurs (constructif/non constructifs). Un accord de gouvernement c’est accepter l’entrée de ministres extérieurs à la majorité actuelle tout en leur donnant véritablement les moyens de gouverner. La centralisation politique française ou l’Élysée contrôle quasiment tout ne rend-il pas impossible une vraie logique d’accord de gouvernement ?

Effectivement, parler d’accord de gouvernement suppose qu’il y ait un gouvernement qui, pour reprendre les termes même de la constitution, détermine et conduise la politique de la nation, ce que la dérive présidentialiste du système, poussée au bout de ses logiques par Emmanuel Macron, rend difficilement crédible. Combien même en effet y aurait-il de nouveaux ministres nommés à la suite de cet accord de gouvernement que ces derniers n’auraient qu’une marge de manœuvre très limitée et, comme les autres, vocation à suivre les directives des conseillers élyséens.

Mais ce qui est très intéressant quand on examine ce que dit Nicolas Sarkozy, c’est que pour lui une non-participation politique conduit nécessaire nécessairement à une disparition de la formation politique de droite. Parce qu’elle s’appelle « droite de gouvernement », cette droite aurait non seulement vocation à participer au gouvernement, mais en n’y participant plus perdrait toute raison d’être. « Nos idées sont sans doute majoritaires – déclare l’ancien Président -, mais sans incarnation elles demeurent impuissantes ». On voit bien ici les limites intellectuelles de l’exercice qui nous est proposé. Certes, être dans l’opposition n’est pas être au pouvoir, là encore tout un chacun peut s’en rendre compte. Mais la « gauche de gouvernement » a attendu de 1958 à 1981 pour parvenir aux affaires et n’en a pas moins été « incarnée » pour cela, comme elle n’en a pas moins conservé une cohérence idéologique que certains commentateurs considèrent qu’elle n’a perdu… qu’une fois au pouvoir…  Il serait faux en tout cas de dire que, durant ces longues années dans l’opposition, la gauche aurait été « impuissante ».

Comment la droite de gouvernement va-t-elle pouvoir reconquérir la confiance de ses propres électeurs alors qu’elle n’a pas été en mesure de faire preuve du courage politique qui lui aurait permis de mettre en accord ses promesses et son action ?

« Tout au long de notre histoire – conclut Nicolas Sarkozy -, nous avons été un parti de gouvernement, […] on ne peut pas s'improviser parti tribunitien ou populiste ». C’est, d’une part, faux, car l’opposition de droite à François Mitterrand dans les années quatre-vingt était très tribunitienne et volontiers populiste. C’est, d’autre part, nier la réalité de ce qu’est la politique comme combat des idées pour n’en faire qu’un jeu dont le seul objectif serait l’obtention d’un maroquin ou d’un siège dans l’une des confortables institutions de la République.

Il n’est pas certain que cette approche « pragmatique » réconcilie les Français avec la politique ou les politiques en général, et plus spécialement avec les Républicains. On remarque d’ailleurs que, au contraire, apparaissent dans l’opposition des personnalités tranchées - on peut penser à Éric Ciotti, à David Lisnard, Julien Aubert, ou Bruno Retailleau - qui, quoique très différents, ont en commun d’affirmer des lignes claires, et justement, à rebours de toute volonté de se fondre dans le moule d’un gigantesque parti attrape-tout placé au centre, entendent bien affirmer qu’il y a une politique de droite, avec ses propres valeurs.

Ne vaudrait-il pas mieux trancher un certain nombre de noeuds intellectuels, tels que la hiérarchie des normes (puisque le droit européen entrave largement la capacité d’action française en matière de régalien ou d’immigration notamment) pour parvenir à mieux gouverner ?

C’est ici une tout autre question, et il s’agit de noeuds juridique bien plus que de noeuds intellectuelle. Effectivement, le droit en arrive parfois à paralyser l’action des politiques. C’est le cas avec la manière dont le juge des droits de l’homme, national ou international, entend imposer contre l’intérêt de l’État une absolue primauté des droits des individus. C’est le cas aussi, dans un autre style, quand se pose la question de savoir s’il existe encore une véritable souveraineté nationale, impliquant entre autres la primauté de la constitution sur toutes les autres normes, ce dont doute le juge de l’Union européenne. Dans ces deux dimensions donc, celles de la primauté des droits de l’homme – ou plutôt de l’interprétation donnée par les juges de formules vagues - ou du droit de l’Union européenne, il faudra très certainement repenser dans un avenir proche la question de du rapport du politique au droit. Notons dès à présent que trancher un conflit dans ces domaines ne pourra se faire qu’en s’appuyant sur cette légitimité particulière qui est celle du seul véritable souverain, le peuple, et donc en passant par la voie de référendum.

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