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Et si la crise était aussi le fruit d'une trop grande centralisation française?
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C'est déjà demain

Au-delà de la crise économique, la France traverse une crise de sa pratique politique qui mise sans doute trop sur la centralisation du pouvoir.

Mehdi  Benchoufi

Mehdi Benchoufi

Mehdi Benchoufi est Président du Club Jade, un think tank qui s'emploie à la recherche et à l'élaboration d'idées innovantes sur l'ensemble les thématiques de l'action publique.

 

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2008, année du crime, année de la crise. La crise économique est violente, elle grève notre avenir. L’enquête avance vite et les racines du mal sont immédiatement identifiées. De fait, le financier est le furoncle en pleine face de notre système, l’ennemi, l’étranger tout désigné. La thérapie est de choc mais une fois le capitalisme excorié de sa dérégulation, tout devrait revenir à la normal.

La mise à l’index de la sphère financière est alors efficace, sans doute légitime, et force est d’acquiescer sur l’ennemi que l’on désigne, sous peine de mettre à l’épreuve l’adage selon lequel l’imbécile suit l’index lorsque le sage pointe la lune. Et bien, faisons foi d’imbéciles et suivons l’index, celui des responsables politiques de tout bord, qui pointe dans une direction pour une fois commune, plaidant une responsabilité commode et univoque, le tour semblant joué, car, quand on est juge de tous, l’on n’est jugé par personne.

Nous nous interrogeons donc, non pour dénoncer la juste collusion des intérêts politiques et financiers, cela nous égarerait de la focale de la crise, mais pour avancer que la crise n’est pas simplement économique et que les responsabilités sont diffuses. En effet, la crise est avant tout politique. Et elle l’est partout dans le monde.

Plus précisément, la crise est une crise de confiance, et pas celle dont on argue le plus souvent, celle que les citoyens ne conçoivent plus à l’endroit de leurs élites, mais celle que ces seconds peinent à consentir aux premiers. C’est ici que la crise est systémique, elle est une crise profonde de légitimité.

Il ne s’agit pas davantage de trouver dans les politiques la victime expiatoire, ici aussi commode et univoque, mais de concevoir que notre faillite politique est le fait d’un choix de société dont nous sommes tous les confirmateurs.

La faillite tient tout entier dans un système vertigineusement centralisé, où l’on a pensé l’extrême coïncidence entre l’intérêt public et son incarnation dans quelques grandes entités : des Grands hommes, des Grandes entreprises, des Grands projets, des Grandes écoles…  où l’on a engorger toutes les responsabilités dans un petit nombre de grands, faisant peser un risque considérable, l’(humaine) défaillance des uns entraînant celles des autres.

De ce système vertical et concentré, les motifs suivent : cristallisation messianique autour de grandes figures politiques, dont le seul égal est le peuple, renforçant le théorème ambiant assurant que « l’élection est un rapport d’un homme avec le peuple » ; les grands entreprises, et leur essaim de petits sous-traitants qu’elles peuvent emporter à la moindre adversité ; les grands projets à grands emprunts lors même que les succès de l’économie moderne naissent aussi de petites entreprises, parfois conçues dans des garages, les idées innovantes pouvant jaillir de partout.

La passion centralisatrice aura survécu aux révolutions des siècles précédents. Dans un pays à l’héritage lourd où le juriste Loyseau écrivait en 1613 : « Nous ne pourrions vivre ensemblement en égalité de condition; ainsi il faut par nécessité que les uns commandent et les autres obéissent. Ceux qui commandent ont plusieurs ordres, rangs ou degrés : les souverains Seigneurs commandent à tous ceux de leur État, adressant leur commandement aux grands, les grands aux médiocres, les médiocres aux petits, et les petits au peuple ». Pour aussi caricaturales et lointaines que nous paraissent ces phrases, indiquons malgré tout que la centralisation, peu dissimulée dans ces lignes, reste le principal rescapé de l‘ancien régime. On a dépoudré les marquis, rabotté les escarpins, mais une partie du cadastre est inchangé : un émetteur d‘ordre, des exécutants triés sur le volet.

En effet, ces vieilles bases travaillent encore notre pays. Par un jeu de substitution symbolique, une partie de cette héritage continue de tapisser en profondeur notre société, où l’on a travesti : l’élection divine par l’onction des suffrages, l’élu par les élus, l’évidence de la foi par l’inné du sentiment national, le dons par le talent, la prédestination par le mérite, le représentant de l’unité divine par des représentants d’une nation indivisible,  la singularité d’un seul par l’exception de quelques uns.

En conséquence, l’hyper-a-trophie de la société civile et des citoyens dans le débat public est à la (dé)-mesure de l’hyper-présence de quelques individus.

Aujourd’hui et assez typiquement, au-delà des programmes qui seront soumis à l‘approbation des français, la place qu’occupe les candidats et les attentes qu’ils suscitent n’appartient qu’aux temps anciens, des scènes que l’on aurait cru ne pouvoir se jouer que dans les ouvrages d’histoires : liturgie et parole comminatoire, meeting et rassemblement hystérique où culmine la conception panurgique du pouvoir, grandes émissions d’adresse aux français, où le peuple a étonnamment droit au chapître, jeux de scènes où chacun mériterait un bien-nommé César, lesquels jeux emportent l’adhésion totale de leurs acteurs, un peu comme si Majax  finissait par croire à ses tours. Dans la galerie de portrait, on croise ainsi la convulsion gaulienne, l’ambition au nom de l’ambition, l’auto-hypnose du démocrate exaltée, la haine de classe au nom de l’amour de l’homme, et pour tous, des oppositions et des affirmations sur-jouées dont plus un Français n’est dupe.

Au plan politique, la conséquence est immédiate. La force de rappel de la légitimité toute entière conférée à quelques entités, trouve sa solution d’équilibre dans une vigilance épidermique du peuple, la haine de ceux dont le bilan n’est pas jugé satisfaisant, la faible tolérance à l’erreur, dont il est coutume de dire qu’il est suicidaire pour un responsable que de l’avouer. Un dogme d’infaillibilité plus ou moins implicite dans lequel tout un système s’est établi. D’où l’on peut déduire une cascade de conséquences contraintes : moins l’on choisira d’impliquer les citoyens dans les circuits de décisions, plus les conditions exigées par les électeurs seront draconiennes, et plus en retour les responsables tâcheront de présenter des propositions intenables. Tel est le résultat d’un choix collectif misant sur autant  de chefs charismatiques, de sauveurs providentiels,  produisant mécaniquement une démocratie assommée d’impératifs et criblée de certitudes.

Au total, en supposant valide la théorie qui confère deux corps au roi, on aura décapité le corps du roi, sans se débarrasser de la partie la plus problématique du cadavre : son corps mystique, que l’on retrouve sous différents avatars : les postures empruntées de la geste présidentielle, ce que l’usage courant  appelle « faire président ». Dans un déchaînement de critiques sur-délirant, n’a-t-on pas accusé un actuel président d’avoir désacralisé la fonction… ?

Pendant ce temps…, dans le monde… la décennie qui  s‘est écoulé a vu l’irruption de la société civile, sans doute du fait de la formidable libération de la parole permise par Internet, et de la capacité de celui-ci à casser les intermédiations. Le monde que nous décrivions plus haut n’est plus, et la crise actuelle est précisément celle de sa légitimité. De quoi procède cette dernière aujourd’hui ? l’élection, l’expertise et le Verbe, dont la maitrise peut suffir seule à asseoir une légitimité politique. Tout ceci ramène à une portion congrue d’élites ceux qui pourraient avoir la main sur le changement. Portion congrue car les élus en situation de responsabilité réelle sont peu nombreux et notre système éducatif fournit au compte goutte une élite rare.

L’ensemble de ce système est perpétué et peut-être généré tous les jours à et par l’école, car cette dernière doit fournir à un système centralisé une poignée de « meilleurs » triés sur le volet. 

En effet, au plus profond, c’est parce que l’on pense que seules quelques hommes ont les dispositions les destinant aux plus hautes fonctions, parce qu’on a la certitude que seule l’exception compte, qu’on la prépare dès l’école. L’exception devenant le supposé et la manifestation de notre société.

Dans un tel système tout entier à la recherche de la perle rare, le savoir devient, triste sort, un outil de sélection, où l’on multiplie les obstacles pour trouver les futurs graines de star, où l’on assure la promotion du zéro fautes, où l’on chiffre les enfants par des notes, dossards pour toute une vie qui pour beaucoup fixeront à jamais les regards qui se porteront ou qu’ils porteront sur eux-mêmes.

Or, et c’est là que le système devient cohérent, ceux qui sont en situation de peser sur les choix d’un pays, de faire l’opinion, de changer le système sont précisément ceux qui y ont survécu et auquel ils doivent reconnaissance de leur exception.

Si c’est dans le chaudron qu’est l‘école que se forme la société de demain, l’on ne dira jamais assez la violence d’un système éducatif bâtissant le succès des uns sur l’humiliation des autres… Serions-nous maximaliste et polémique que nous dirions que dans un tel système, l’échec est une convention.

D’ailleurs, ici aussi, la centralisation  prend forme dans une identité improbable entre le savoir et une même figure, l’enseignant. C’est alors que le parcours scolaire se déploie le long d’un face à face interminable et déroutant entre des élèves cloués sur leurs chaises et celui qui professe, et où, dans un endroit qui doit regorger de fraîcheur et de vie, l’on ne recherche que le silence, devenu le signe distinctif des « meilleurs » (tout un symbole). Nous ne pouvons le formuler autrement : la messe est dite.

Pourtant, aussi cloisonnée soit-elle, la configuration de notre système ne résistera pas aux évolutions actuelles. Des expériences finlandaises, dont on peut regretter qu’elles soient pour que l’on y porte attention, ont formé le pari de la massification de l’excellence selon une hypothèse des égales aptitudes de chacun. De récentes expériences en Inde montrent que, par la pénétration des outils numériques, des enfants au capital social et culturel faible, développent des capacités inattendues, pour peu que l’enseignant choisisse d’accompagner plutôt que de transmettre unilatéralement. Plus surprenant, armés d’ordinateurs, ces élèves développent des stratégies de partage pour évoluer dans leur parcours de connaissance : de l’intelligence collective pure, loin de l’esprit de compétition comme moteur essentiel de l’apprentissage. 

On l’aura compris, notre propos ne consiste pas à résumer nos difficultés par un « c’est la faute à la société », mais que celles-ci procèdent de choix bien précis et politiques sur lesquels nous pouvons et devons agir. 

La responsabilité ne peut être celle des élites, la responsabilisation outrancière de ces dernières serait un élitisme de substitution, créerait une rupture là où l’on cherche des solutions de cohésion, de complémentarités entre tous les savoir-faire.

Au prix de l’insistance, nous avançons que le cœur de notre dispositif est assis sur une centralisation, qui hier justifiable, est aujourd’hui un système totalement inefficace et dangereux. Inefficace en ce qu’il rend largement compte de notre incapacité béante à innover, à réagir avec souplesse, par exemple à affronter la mondialisation autrement que par le repli. Dangereux car la gestion des risques liés à une réalité de systèmes complexes commande que l’on puisse les absorber selon une répartition plus distribuée du pouvoir.  

Essentiellement, l’architecture d’un pouvoir mieux réparti suppose que nous interrogions tous ensemble un système dont tout le monde s’accorde à dire qu’il n’est pas représentatif. La solution ne consiste pas à forcer la représentativité, à reproduire ou à faire rentrer toute la diversité de la société dans un hémi-cycle, mais à interroger la représentation elle-même. Cette dernière, vieille de plusieurs siècles, n’a été imaginée que dans la mesure de contraintes pratiques, qui peuvent en partie être circonvenues par les remarquables possibilités qu’offrent les nouvelles technologies. Indiquons ici qu’une démocratie référendaire ne suffira pas du seul fait qu’elle mettrait en rapport direct le grand homme et le seul interlocuteur à sa dimension, le peuple, dont la marge d’expression consiste à hocher pour dire oui ou non, mettant à vif l’état de minorité dans lequel il se trouve.

Mais il est raison d’espérer : à l’ère des processus collaboratifs, de ce qu’il convent d’appeler le User Generated Content, où l’on co-produit de plus en plus, où foisonnent des outils numériques de co-création politique, où l’on crowd-source des constitutions, où le savoir est totalement accessible, où il ne s’ordonne plus mais se partage, où des insurgés des récentes révolutions arabes, en partie grâce aux technologies d’aujourd’hui, n’ont pas eu besoin de grand leader pour renverser l’ordre établi, nous pouvons deviner les outils qui nous permettront de surmonter une crise majeure et qui seront sans doute les pointes avancées d’une reformulation complète de notre système. 

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