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Ce que le débat sur l’augmentation du salaire minimum promise par Joe Biden nous apprend sur la France
©Jim WATSON / AFP

Soutien financier face à la crise

Joe Biden a annoncé son souhait de vouloir augmenter le salaire minimum américain à 15 dollars de l’heure. Quel pourrait être l'impact d'une telle mesure aux Etats Unis ? La France aurait-t-elle également intérêt à relever son salaire minimum ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico.fr : Joe Biden a annoncé vouloir augmenter le salaire minimum américain à 15$ de l’heure. Quel est l’intérêt et le risque d’une telle mesure aux Etats Unis ?

Gilbert Cette : C’est un pari. Joe Biden a été élu grâce à une mobilisation des Démocrates, y compris une aile très à gauche personnifiée par Sanders, qui l’a rallié. Il fallait faire des propositions qui permettent la mobilisation de tout un camp, y compris de son aile la plus à gauche. Le fait de le monter à 15 dollars le porterait à peu près au niveau français, en tout cas dans cet ordre de grandeur.

Avant la pandémie de laCOVID-19, en fin d’année 2019, les Etats-Unis sont au plein emploi, cela offre une marge de manœuvre colossale. La question qui se pose est : veut-on fragiliser la situation en emploi de personnes déjà fragiles ? Les pays qui ont encore plus de marge de manœuvre sont des pays comme l’Allemagne. Ils sont alors au plein emploi et ils ont un excédent courant. Les Etats Unis ont un peu moins de marge de manœuvre car ils ont un déficit courant abyssal. En France, la marge de manœuvre est très faible car on est en chômage massif et que la priorité c’est l’emploi. Par ailleurs, nous avons alors un déficit courant depuis 14 années. Il y a donc trois catégories de pays, ceux qui alors pourraient se permettre d’être un peu plus allants, qui sont dans une bonne situation sur le plan des déficits et du marché du travail. Des pays qui ont l’un des deux comme les Etats-Unis et ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre, comme la France. Et la crise de la COVID-19 a frappé tous les pays, certes de façon inégale. La priorité de l’emploi est maintenant au premier plan, quelle que soit la situation structurelle plus ou moins favorable qui existait avant la crise. Le pari est renforcé : les entreprises déjà stressées par la crise doivent subir un autre choc. Le pari est risqué.
Michel Ruimy : Au pays de l’opportunité et de l’entreprenariat, la question du salaire n’est pas, a priori, celle qui vient à l’esprit en premier. Cette prise de position, qui était un projet d’Obama et une revendication syndicale, n’est pas étonnante vu qu’une grande majorité des Démocrates et près de la moitié des Républicains sont favorables à une augmentation du salaire minimum. Les mérites du salaire minimum commencent donc à être reconnus aux Etats-Unis !

Rappelons qu’aux Etats-Unis, pays fédéral, il existe déjà un salaire minimum fédéral (7,25 dollars bruts de l’heure depuis 2009). Celui-ci n’a pas suivi l’inflation. Mais, en pratique, les Etats l’adaptent largement. Il faudrait parler plutôt de plusieurs salaires minimums ou d’un SMIC à géométrie variable.

La hausse envisagée vise à accroître le niveau de vie des travailleurs les plus pauvres, qui ont vu leurs salaires stagner depuis 1980. Ce coup de pouce serait ainsi le bienvenu. Cependant, il y a, en théorie, un problème potentiel. Cette hausse du salaire minimum pourrait diminuer l’emploi du fait du renchérissement du coût du travail, et donc les entreprises sont moins tentées d’embaucher. Pour autant, cette augmentation va vraisemblablement avoir peu d’effets sur l’emploi dans la mesure où beaucoup d’Américains sont sous-payés. Les entreprises peuvent ainsi se permettre d’augmenter les salaires sans recourir aux licenciements.

La France aurait-t-elle intérêt, elle aussi, à relever son salaire minimum ? Qu’est ce qui dans les situations française et américaine diffère et fait qu’une solution envisageable outre-Atlantique ne l’est pas chez nous ?

Gilbert Cette : Les Etats Unis en 2019, avant la crise Covid, était un pays en plein emploi. Ce qui n’est pas le cas de la France qui a un chômage massif. Des 36 pays de l’OCDE, il n’y en a que 4 qui avaient, avant la crise Covid, un taux de chômage supérieur à celui de la France. Donc les situations sont radicalement différentes sur le marché de l’emploi. La question que se pose le groupe d’experts sur le Smic, que j’ai l’honneur de présider, c’est de savoir quelle elle la priorité. Pour nous, elle est de lutter contre le chômage et la pauvreté.

Considérons ces deux objectifs : lutter contre le chômage et contre la pauvreté laborieuse. La lutte contre la pauvreté laborieuse est bien plus efficace via d’autres dispositifs que le SMIC, comme la Prime d’activité qui a été fortement relevée début 2019. Et sur le marché du travail, la lutte contre le chômage n’est pas renforcée, bien au contraire, par une hausse du SMIC. 

Enfin, je souligne que le salaire minimum a été relevé au premier janvier, de façon automatique, ce relèvement permettant un gain de pouvoir d’achat d’environ 1%, à un moment où la priorité est l’emploi et la baisse du stress financier auquel sont soumises les entreprises. 
Michel Ruimy : Le salaire minimum vise à équilibrer la relation salariale entre l’employeur et le salarié, et à garantir une rémunération socialement acceptable du travail. De fait, en déterminant une valeur travail minimale, il aide à réduire les inégalités en bas de l’échelle des revenus du travail. Toutefois, excepté la situation où l’évolution du salaire minimum est inférieure à celle de la productivité du travail, je ne crois pas qu’il faille augmenter, de manière conséquente, le SMIC. En effet, cette initiative n’est pas une mesure impliquant l’argent public, mais celui des entreprises, et la loi garantit déjà la prise en compte de l’évolution des prix. Aller au-delà est risqué car ceci impacterait la compétitivité des firmes françaises.

Par ailleurs, alors qu’un peu plus de 10% en France touchent le salaire minimum, un peu moins de 2% environ de la population active d’outre-Atlantique sont dans la même situation. Tandis que dans notre pays, le SMIC s’est banalisé et concerne tous les salariés, quel que soit leur âge, cette rémunération n’est absolument pas généralisée aux Etats-Unis et ne concerne qu’une petite partie de la population. Près de la moitié des salariés américains payés au taux minimum sont âgés de moins de 25 ans contre environ 30% en France. Cette description n’est pas exhaustive. On voit donc qu’il y a d’importantes disparités de situation avec les Etats-Unis et qu’une mesure envisageable aux États-Unis n’aura pas nécessairement les mêmes effets en France.

Plusieurs rapports, dont celui de Arindrajit Dube, estiment que jusqu’à 60 % du salaire médian, le salaire minimum n’a pas d’effet négatif sur l’emploi. La France est au-dessus de ce seuil, constate-t-on actuellement en France cet effet ?

Gilbert Cette : Le Groupe d’experts rend compte de ces études dans notre rapport 2020. Effectivement, quand le salaire minimum est très bas par rapport à la distribution des salaires, ça a moins de conséquences défavorables. Dans ces situations, une hausse du salaire minimum peut avoir des effets réduits voir nuls sur l’emploi. Le seuil de 60 % n’est pas un seuil magique. Plus ce pourcentage augmente, plus les effets de hausses de SMIC peuvent être forts. En France, on est à 64%, l’un des taux les plus élevés des pays développés. Donc probablement celui où les effets sont les plus forts et défavorables. Un certain nombre d’analyses nous permettent de penser qu’il y aurait un effet défavorable sur l’emploi. Car elles montrent qu’à l’inverse les baisses de contributions sociales employeur au niveau du SMIC ont un impact favorable sur l’emploi de personnes peu qualifiées.
Michel Ruimy : Dans une perspective historique, les hausses de salaire minimum n’ont, le plus souvent, pas d’effet sur l’emploi, avec parfois des effets négatifs et parfois des effets positifs. Dans la mesure où une augmentation du salaire minimum ne diminue pas l’emploi, le salaire minimum joue son rôle en garantissant une élévation du niveau de vie parmi les salariés les plus pauvres. En fait, la théorie économique prédit que, plus les salariés sont sous-payés, plus il y a de chances qu’une augmentation du salaire minimum augmente l’emploi (Les entreprises sous-paient les salariés quand ceux-ci ont peu de chances de trouver un job équivalent. On peut alors augmenter le salaire minimum sans détruire l’emploi).

L’écart entre le SMIC et le salaire médian est déterminant. Il est deux fois plus important aux Etats Unis qu’en France. Ceci a deux conséquences. D’une part, en resserrant l’éventail des salaires, le SMIC rend le salaire d’un travailleur qualifié comparativement bon marché. Priorité ira donc dans l’embauche aux personnes ayant une meilleure qualification, et les moins qualifiées, dont les jeunes, attendront. D’autre part, gagner plus n’est pas de nature à décider un « smicard » à chercher une meilleure qualification, car il évitera les efforts d’une formation et compensera le moindre gain par des allocations diverses (et un peu de travail non déclaré et non imposé).

Quelle alternative peut-on envisager en France à l’augmentation du salaire minimum ?

Michel Ruimy : Si la France, grâce à son modèle social, est un des pays d’Europe où les inégalités sont les moins marquées, 5% des Français détiennent, selon une récente étude de l’INSEE, un tiers du patrimoine brut de l’ensemble des ménages.

Mais le vrai débat est la question des inégalités sur les enjeux de pouvoir au sein des entreprises. En effet, la question centrale aujourd’hui n’est plus comment produire davantage, mais comment mieux répartir la richesse créée. C’est pourquoi, il faut profiter de cette période extraordinaire pour repenser le partage des richesses, à la veille d'un probable appauvrissement d’une partie de la population.

Divers dispositifs existent actuellement pour associer les salariés à la réussite financière des entreprises (primes d'intéressement, plans d’épargne d’entreprise…). A noter que, ces dernières semaines, certains dirigeants ont diminué leur rémunération quand une partie de leurs salariés était en chômage partiel, et des entreprises ont suspendu ou réduit le versement de dividendes, parfois contraints par le gouvernement qui en a fait une des conditions de son soutien.

Il n’en demeure pas moins qu’il conviendrait d’avoir une meilleure représentation des salariés dans les organes où se décident les évolutions de salaires, les montants versés en dividendes, etc.

Gilbert Cette est professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille. Président du groupe d’experts sur le Smic. Co-auteur avec Jacques Barthelemy de « Travailler au XXIème siècle », Editions Odile Jacob, 2017. 

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