Ce que la situation irakienne et les exactions du Califat révèlent des hypocrisies et angles morts de l’Europe (aux racines chrétiennes)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les difficultés de l'Europe à assumer ses racines Chrétiennes
Les difficultés de l'Europe à assumer ses racines Chrétiennes
©Reuters

Identité trouble

Alors que les Etats-Unis ont débuté leurs attaques ciblées en Irak, la France et l'Angleterre continuent de privilégier les voies humanitaires et diplomatiques. Une réaction européenne qui s'est par ailleurs fait attendre et qui témoigne des troubles identitaires qui traversent le Vieux continent.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

Voir la bio »
Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart est philosophe. Il est Conférencier à l'Ecole Supérieure des Arts de Bruxelles. Il est également auteur pour la revue MondesFrancophones.com.

Voir la bio »
Claude Sicard

Claude Sicard

Claude Sicard est consultant international et auteur de deux livres sur l'islam, "L'islam au risque de la démocratie" et "Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?".

Voir la bio »

Atlantico : Lorsque les Etats-Unis ont lancé jeudi 7 août les premières attaques aériennes ciblées en Irak, la France et le Royaume-Uni continuaient de vouloir privilégier l'aide humanitaire et la diplomatie. Comment expliquer que les puissances occidentales et plus particulièrement européennes aient attendu plus de deux mois après la prise de Mossoul pour finalement venir en aide aux minorités religieuses persécutées par l'Etat islamique ?

Claude Sicard : Trois raisons, me semble-t-il : la difficulté de trouver une réponse adaptée à la situation,  le souci toujours constant de ne pas déplaire au monde musulman, et l’ancrage de nos dirigeants dans la distinction accommodante qu’ils font entre l’islam dit "soft" et l’islam radical. Partir trop vite en guerre contre un nouvel Etat au prétexte que le dirigeant s’affiche comme descendant du prophète en s’autoproclamant "calife" aurait été interprété dans le monde musulman comme relevant d’une position fondamentalement anti musulmane. Il fallut donc attendre que se manifestent des actions répréhensibles comme cela a été le cas avec les atrocités commises par les djihadistes contre les chrétiens et les yazidis.

Gérard Bossuat : Plusieurs niveaux d’analyse sont possibles. Ont-elles les moyens militaires exigés par la situation ? Sans doute pas. Mais leur réaction hésitante est due aussi à la difficulté de se positionner correctement dans le conflit. Qui doit-on soutenir in fine et peut-être armer ? Al Maliki, le premier ministre irakien, les Peshmergas kurdes ? Comment impliquer la Turquie d’Erdogan ? D’où leur réaction de prudence car il ne faudrait pas recommencer les erreurs commises en Irak et en Syrie. Dans le fond, qui sont nos ennemis et nos amis ? Mais l’urgence humanitaire s’impose quand on apprend que 20 000 Yazidis marchent sans ravitaillement dans le désert pour sauver leur vie et que des Chrétiens chaldéens sont en passe d’être massacrés par les Islamistes de l’Etat Islamique (EI).

Jean-Sébastien Philippart : Disons-le clairement, l’Europe sur le plan politique se caractérise par l’inaction. La conscience européenne oscille entre son accaparement par le passé dans l’obsession mémorielle et son désinvestissement de l’avenir par des formules incantatoires. La répétition du "Plus jamais ça" par les consciences indignées condense bien cette mélancolie de la formule qui n’a jamais produit d’effets. Absorbée par le passé (où l’histoire disparaît en se répétant) ou la pensée magique (quand dire c’est faire), la conscience européenne ne mobilise ainsi qu’une diplomatie sans adversaire. L’action supposant la confrontation, elle ne peut "gérer" le conflit qu’en investissant le plan humanitaire, lequel n’a jamais été le début d’une politique. Et si elle admet des conflits qu’elle ne résout pas, la diplomatie européenne a banni le mot "guerre" de son discours. On ne saurait mieux passer à côté du réel.

Le Journal du Dimanche affichait ce dimanche 10 août en une "la guerre de religions". Cette pluralisation du terme "religion" témoigne-t-elle de la difficulté de la France et plus largement de l'Europe à regarder ce conflit pour ce qu'il est réellement ? Est-ce emblématique de notre difficulté à assumer notre héritage chrétien ?

Jean-Sébastien Philippart : L’aveuglement passe aussi par l’idéologie multiculturaliste qui, animée par le relativisme, fait fi du poids de l’histoire (qui rend l’homme responsable en tant que donataire) et jette toute entité culturelle dans le même bain, conduisant paradoxalement à l’indifférence culturelle. Au nom de cette idéologie égalitariste, il n’est pas acceptable de faire porter une faute à une seule entité : les torts doivent être partagés. De la même manière, dans ce "conflit", il vaudra mieux parler de "minorité" plutôt que de "chrétiens". En recourant à l’abstraction, on ne prend pas alors le risque de choquer la "sensibilité" d’une autre "minorité" qui pourrait faire valoir son droit à l’attention. Le politiquement correct permet donc à toutes les minorités de s’y retrouver, au détriment de la spécificité de la situation et donc de sa compréhension.

Gérard Bossuat : Comprenons-nous la complexité des relations interethniques, sociales, politiques et religieuses du Moyen-Orient, de la plaine du Tigre et de l’Euphrate, berceau de l’humanité et des grandes religions du Livre (Talmud, Ancien et Nouveau testament, Coran) ? Il faut faire un effort pour entrer dans cette complexité au risque, sinon, de voir ces conflits d’un œil trop superficiel. En fait l’Islam est utilisé à des fins politiques par ceux qui se déchirent le pouvoir. El Maliki a cru asseoir son pouvoir grâce aux Chiites irakiens contre les Sunnites, minoritaires en Irak, mais anciennement instruments de la puissance de Saddam Hussein, l’ancien dictateur, mis à bas par l’intervention américaine de 2003. Au-delà des querelles de doctrine au sein des deux familles de l’Islam se déroule depuis 10 ans une lutte pour le pouvoir entre tribus et communautés irakiennes dont les Islamistes radicaux, les djihadistes ont profité afin d’imposer un retour à une conception radicalement conservatrice de la religion et de la société et profiter des richesses pétrolières du nord de l’Irak.

Que vient faire l’héritage chrétien européen et français dans cette affaire ? Les Français, pour s’en tenir à eux, ont une histoire liée au christianisme et à sa critique par les Lumières au XVIIIe siècle. Je ne crois pas trahir la vérité de l’histoire en disant que leur conscience de cet héritage est susceptible de variations, fruits de vives émotions entretenues par la violence de l’actualité, qui ne doivent rien à leur foi. Car combien sont-ils encore chrétiens ? En fait leurs références chrétiennes sont réactivées par les attentats dont sont victimes les Chaldéens de la plaine de Ninive, par le mépris des Djihadistes de l’EI ou de leurs frères du Sahel pour une religion que l’Islam avait parfaitement respectée jusqu’alors (un respect codifié mais lié au fait que Juifs, Chrétiens et Musulmans partagent une foi en un Dieu unique, révélé progressivement aux hommes par la Parole de Dieu), par les destructions du patrimoine religieux musulman à Tombouctou, par la violence faite aux femmes et par l’atteinte au droit des gens et aux droits de l’Homme.

Je me demande si cette réapparition du sentiment d’appartenir au Christianisme, mis à part le cas des Français qui croient et pratiquent sincèrement, ne vient pas d’une tendance à lire les relations internationales à travers une fausse grille de lecture religieuse, facile à utiliser pour rendre compte de tensions violentes au Proche-Orient qui viennent de l’absence de démocratie et d’administration juste dans ces pays,  de la complexité des réseaux familiaux et claniques, des erreurs de Bush en Irak, des aspirations sans fin au pouvoir d’élites corrompues, du mépris pour les peuples abandonnés par les pouvoirs politiques, enfoncés dans leur pauvreté alors que des Islamiste radicaux prétendent les en sortir en s’attaquant aux minorités. Le "bouc émissaire" des difficultés est le Chrétien pour l’EI, le Musulman pour certains Européens. Les Français ont donc réactivé un sentiment d’appartenance au Christianisme, qu’il ne pratique plus, parce qu’ils croient retrouver des repères sûrs appris à l’école à propos de la construction de l’Etat et de la nation. Ils témoignent ainsi d’une grande angoisse devant des phénomènes qui les bouleversent : l’émigration, la haine de certains Islamistes pour la France et l’Occident, la difficile intégration dans la société française des enfants d’émigrés de religion musulmane, la crise économique et la mondialisation. Dans les faits, il n’y pas donc pas de guerre des religions, mais l’apparition d’un ennemi encore inconnu, qui peut même se cacher dans notre pays et qui agite le drapeau de l’extrémisme religieux, inquiète et trouble profondément les consciences.

Claude Sicard : Tous les anthropologues s’accordent sur le fait qu’à l’origine de chaque civilisation il y a une religion. Le grand sociologue  anglais, Christophe Dawson, par exemple, nous dit : "Les grandes religions sont les fondements des grandes civilisations", et une des plus  grandes figures intellectuelles du XXème siècle fait dans son œuvre magistrale "La grande aventure de l’humanité" (Arnold Toynbee, ndlr) le constat suivant : "Une société est l’incarnation d’une religion". De toute évidence, la civilisation occidentale a pour fondement le christianisme, et la civilisation musulmane, l’islam. Vouloir faire abstraction de ces réalités c’est faire preuve tout simplement d’une grave inculture. Certes, la civilisation occidentale a fait selon l’excellente expression de Marcel Gauchet, sa sortie de religion au XVIIIème siècle, mais la Révolution française n’a fait que séculariser, en fait, les valeurs chrétiennes, valeurs qui s’expriment d’ailleurs dans la devise de la République "Liberté, égalité, fraternité".On en revient donc à la thèse que Samuel Hutington avait présentée dans son fameux ouvrage de géopolitique, si unanimement décrié par nos élites intellectuelles et par nos hommes politiques lorsqu’il parut, "Le choc des civilisations", ouvrage qui présentait une grille de lecture fondée sur la division du monde en diverses entités civilisationnelles. Avec  ce constat fait par cet universitaire : "Le choc intra civilisationnel entre idées politiques incarnées par l’Occident  est en train d’être supplanté par le choc inter civilisationnel des cultures et des religions" (page 53). Nos dirigeants ont eu le plus grand tort de ne pas prendre en considération cet important essai d’un universitaire américain, fondateur de la revue Foreign Policy, discréditant d’emblée l’auteur en l’accusant de visions belliqueuses et racistes. C’était ne pas admettre que chacun se reconnaît dans l’identité que lui confère la civilisation à laquelle il appartient. Avec la sortie de religion qui s’est faite dans la civilisation occidentale un très grand nombre d’Occidentaux ont plongé dans l’oubli de leurs racines, ce qui n’est nullement le cas des musulmans, qu’ils soient croyants ou pas. On a donc affaire  à présent à un monde occidental où une majorité de citoyens ont oblitéré leurs racines  judéo-chrétiennes, face à un monde musulman où l’islam est et reste extrêmement présent dans l’esprit de chacun. Il semblerait que les graves évènements du Moyen-Orient, avec la persécution hier des coptes en Egypte par les Frères musulmans et celle aujourd’hui des chrétiens par les djihadistes en Irak, soient de nature à rappeler aux peuples de la vieille Europe que leurs racines sont chrétiennes : les musulmans s’acharnent à le leur remettre en mémoire, bon nombre d’entre eux n’ayant jamais renoncé à les accuser de vouloir leur imposer, depuis les Croisades, leur hégémonie  culturelle et civilisationnelle.

La grille de lecture  proposée par Samuel Huntington en 1993 mérite donc d’être plus que jamais prise en considération : notre "religion" des "Droits de l’homme" qui a  remplacé dans nos sociétés le christianisme depuis la révolution de 1789, est intégralement fondée sur les valeurs apportées par le christianisme, ce que bon nombre de nos concitoyens semblent ne pas voir.

Au delà de la question de l'héritage chrétien, quels sont les éléments qui peuvent bloquer l'Europe d'un point de vue intellectuel ?

Gérard Bossuat : Si vous avez en tête la difficulté de fournir de l’aide humanitaire ou militaire aux minorités victimes des agissements des terroristes djihadistes de l’EI, il s’agit d’apprécier les conséquences politiques  d’un tel acte et ne pas se limiter à une aide sélective en faveur d’une minorité particulière. La souffrances est identique chez les victimes des raids israéliens à Gaza, celles des populations syriennes  ou celle des Chrétiens et des Yazidis d’Irak. L’aide humanitaire est évidemment plus facile à fournir.

Jean-Sébastien Philippart : Le traumatisme initial de l’Europe que nous connaissons est la Grande Guerre. L’Europe pétrie d’idéalisme s’y est prise le réel de plein fouet. Depuis, inconsciemment, elle ne veut littéralement plus d’histoire : son obsession mémorielle ou ses formules incantatoires l’abstiennent de la faire. Elle imagine se vivre, illusoirement, dans une post-histoire où l’on passe de tables rondes en tables rondes sans plus devoir faire face et empoigner d’ennemis. Son obsession marchande avant d’être le produit d’une idéologie libérale renvoie au besoin de s’évader du réel où la guerre gronde toujours potentiellement.

Dans quelle mesure la frilosité avec laquelle le Vieux continent a réagi est-elle révélatrice des troubles identitaires qui traversent actuellement l'Europe ?

Gérard Bossuat : Oui, sans doute est-ce le résultat d’une crise de leadership en Europe. L’Union européenne, car je comprends ainsi le terme "Vieux continent", est incapable de définir son rôle dans les relations internationales que ce soit en Ukraine, en Afrique noire ou au Proche et Moyen Orient. La faillite récurrente de la diplomatie européenne de Mme Ashton demanderait une explication plus longue évidemment. Mais résumons : l’Union européenne souffre de n’être pas une fédération dotée d’institutions fédérales. Je sais bien que la mode est de revenir aux frontières nationales, au territoire national. La vérité est que sans cette fédération postulant l’existence d’un mode de décision commun, avec vote à la majorité, les crises du monde seront traitées, contre nos intérêts, par les seules grandes puissances politiques extra-européennes.

Jean-Sébastien Philippart : A nouveau, au lieu de se confronter à l’altérité en n’hésitant pas à polémiquer, en provoquant l’autre à devoir s’expliquer tout en acceptant qu’il puisse nous remettre en question, ce qui s’appelle dialoguer vraiment, on préfère dissoudre l’espace public dans une sorte de neutralité, c’est-à-dire en le délestant du poids de l’histoire et des perspectives qu’elle offre. Dans cette  neutralisation de l’espace public, tout ne peut que nous être égal. Dès lors, dans l’indifférence générale, on se "retrouve" sans cette identité dont on a pourtant besoin pour se positionner.

Claude Sicard : L’Europe, on le sait bien, peine à s’organiser. Le mode de fonctionnement à 27 est générateur d’indécision, puisque tout doit se faire selon un consensus toujours très laborieux à obtenir. Cet ensemble que l’on nomme l’UE n’a ni politique étrangère ni force militaire. La France et la Grande Bretagne sont les deux seuls pays qui ont la volonté d’agir, avec des moyens de plus en plus limités d’ailleurs  au plan militaire. Les réactions face à la situation créée par l’émergence subite de ce nouvel Etat appelé EIIL ont donc été tardives et restent très prudentes : il s’agit pour l’instant d’une aide humanitaire. Les combattants peshmerga réclament plus que de bonnes intentions : ils ont un urgent besoin qu’on leur fournisse des armes.

L'Europe, et plus particulièrement la France, est l'héritière d'une longue tradition de relations avec le Proche-Orient mais aussi d'accueil des chrétiens d'Orient. Peut-on considérer qu'elle refuse aujourd'hui d'assumer cette part de son histoire diplomatique, ce qui la conduit à prendre une certaine distance quant à la situation actuelle ?

Jean-Sébastien Philippart : Depuis le XVIIe effectivement, la France a toujours maintenu sa tradition de protection des chrétiens d’Orient. Mais dans la situation absolument tragique qui nous préoccupe, il s’agit bien plus que de protéger les lieux saints. La situation est sans précédent : il s’agit de dizaines de milliers de persécutés dont l’accueil, par ailleurs, signerait la disparition de la communauté en Irak.

Gérard Bossuat : On ne ne peut pas dire qu’elle refuse puisqu’elle accueille officiellement des Chrétiens d’Orient persécutés pour leur religion. Mais on ne sait pas combien, et je doute que ce soit un nombre important. D’autre part les positions prises par Laurent Fabius et François Hollande me paraissent justifiées parce qu’ils font appel à la responsabilité de l’ONU et de l’Union européenne. La France ne peut agir unilatéralement comme le font les États-Unis ; ce sont les limites de la puissance française qui a tout de même montré son efficacité pour arrêter les Djihadistes au Mali et en Centre-Afrique. Elle est engagée aussi au Liban. Qui d’autre parmi les Européens fait aussi bien ? En revanche il est juste de dire que l’action de la France au Proche-Orient ne peut ressembler à ce qu’elle fut au siècle passé. Bref l’histoire est bien du passé ! Elle n’impose pas de réactions identiques, mais, en effet, il faut être fier de cet engagement et l’honorer avec les moyens actuels dont nous disposons (diplomatie internationale, solidarité intereuropéenne, action militaire commune).

Claude Sicard : La France assume-t-elle sa responsabilité dans cette affaire ? Elle s’était à juste titre opposée à l’intervention américaine en Irak visant à abattre Sadam Hussein. Effectivement, le fil directeur de la conduite à tenir face au monde musulman doit consister, pour nous Occidentaux, à soutenir du mieux qu’on le peut les dirigeants qui s’affichent comme étant des laïcs, ce qui n’est nullement la vision des Américains. C’est, en effet, par la régression de l’islam traditionnel dans les pays musulmans que ces pays pourront  parvenir à se développer : l’exemple de la Turquie n’est pas suffisamment connu, alors qu’il est extrêmement parlant. Mustapha Kémal, le Père de la Turquie moderne, a dit, il faut le faire savoir, le plus grand mal du prophète Mahomet, et il a doté son pays d’institutions démocratiques en "encasernant" l’islam faute de pouvoir l’éradiquer. Dans une mesure moindre, la Tunisie a, elle aussi, profité pleinement de l’action de son grand leader, Habib  Bourguiba, qui a su prendre ses distances avec l’islam, en modernisant notamment le statut de la femme. Et on sait qu’il tenta d’abolir le ramadan, bien que ce soit l’un des cinq piliers de l’islam.

Qu'y a-t-il de dérangeant dans cette tendance de l'Europe à rejeter la responsabilité de la situation actuelle sur les Etats-Unis et qu'est ce que cela révèle de nos hypocrisies ? Est-ce lié au fait que l'Europe est aujourd'hui devenue un ensemble trop disparate, compliquant ainsi des prises de position s’inscrivant dans une tradition intellectuelle et diplomatique cohérente ?

Jean-Sébastien Philippart : Entre l’intervention américaine sous l’ère Bush et l’état actuel de l’Irak, seuls des esprits simplistes peuvent y déceler une relation directe de cause à effet. Si les Américains ont leur part de responsabilité, les dirigeants irakiens étaient assez grands pour participer pleinement à la précipitation de leur pays dans le chaos et les islamistes n’avaient pas besoin de l’Oncle Sam pour haïr les chrétiens. Mais quand on a l’inaction comme politique, il est préférable d’accuser le voisin pour qu’il "termine" le sale boulot.

C’est le propre du projet politique que de vouloir rassembler des voix disparates. L’inaction européenne ne traduit que son absence de volonté politique. Le Vieux continent n’est pas fatigué, il est profondément déprimé et tente de l’oublier en s’exaltant à travers l’indignation, une formule creuse criée dans le désert.

Gérard Bossuat : L’action déstabilisante des États-Unis de Bush au Proche-Orient est une réalité. Le travail politique pour l’après Saddam n’a pas été fait. Je crois , malheureusement, que le quant-à-soi de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, les affres économiques de l’Italie, encore en récession, et de l’Espagne, affectée d’un chômage étourdissant, le relèvement bien lent de la France interdisent à l’Union européenne d’être forte et de devenir un pilier efficace pour la résolution des crises. La faiblesse du discours en Europe contre les prétendues guerres de religion est aussi un signe inquiétant d’un mal profond affectant  les représentations que l’Union européenne, la France et chacun des membres de l’Union se font de ce que doit être cette communauté née en 1950 : une démocratie, un espace de prospérité, un facteur permanent de paix et de respect intransigeant des droits individuels des personnes.

Claude Sicard : Rejeter sur les Etats-Unis la responsabilité du chaos qui règne à présent en Irak ne constitue pas une politique : la France, et l’on doit en féliciter le ministre Fabius, inscrit son action dans la ligne de ses traditions. Elle s’efforce de porter secours aux chrétiens irakiens, mais les moyens dont elle dispose sont des plus limités : elle n’est plus la grande puissance qu’elle était autrefois. Elle peut et doit apporter des secours sur place, et elle doit surtout ouvrir très largement ses frontières à l’accueil sur son territoire de tous ces réfugiés. Ce sera l’occasion de  prendre conscience, puis de constater, que pour que des immigrés provenant du monde islamique s’intègrent pleinement dans nos sociétés, en Europe, il faut qu’ils soient de culture chrétienne, c'est-à-dire, pour ces personnes venant de terres aujourd’hui musulmanes, qu’elles aient rompu avec l’islam. La civilisation occidentale et la civilisation musulmane sont deux très grandes civilisations : mais elles sont en opposition depuis plus de treize siècles, sur le plan doctrinal, sur le plan historique, et sur le plan actuellement psychologique. Avec le succès de la décolonisation, et avec la montée en puissance de l’islam dans le monde, montée confortée par les immenses richesses pétrolières dont disposent par la grâce d’Allah  des pays musulmans, les musulmans qui arrivent en Europe veulent absolument conserver leur identité musulmane. Et on ne peut le leur reprocher : d’ailleurs la Convention des Droits de l’Homme les y encourage. Que la France ne rechigne  donc pas à accueillir sans réserve tous les chrétiens du Moyen Orient qui solliciteront le privilège de venir s’intégrer dans notre société. Ces  personnes, on en est certain, ne se retrouveront pas, demain, dans les banlieues en train de brûler des voitures et de caillasser nos pompiers. Ces personnes seront les bienvenues.

Propos recueillis par Carole Dieterich

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !