Ce que la personnalité borderline de l’assassin d’Yvan Colonna révèle des redoutables angles morts de la psychiatrie et de la justice française<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 06 mars 2022 à Corte montre des manifestants rassemblés pour rendre hommage à Yvan Colonna.
Une photo prise le 06 mars 2022 à Corte montre des manifestants rassemblés pour rendre hommage à Yvan Colonna.
©Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP

Réalité dans les prisons

Yvan Colonna a été agressé au sein de la maison d’arrêt d’Arles par Franck Elong Abé qui serait atteint de troubles du comportement, selon les experts. La santé mentale des individus incarcérés en France est-elle sous-estimée ?

Guillaume Vlamynck

Guillaume Vlamynck

Guillaume Vlamynck est psychiatre praticien hospitalier. Il exerce sur le SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) de Metz et l'UHSA (Unité Hospitalière Spécialement Aménagée) de Nancy. Il est également expert auprès de la Cour d'Appel de Nancy.

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Atlantico : L’agression mortelle d’Yvan Colonna, le 2 mars dans la maison d’arrêt d’Arles, a été perpétrée par Franck Elong Abé, qui aurait un comportement psychotique et énigmatique. Selon les experts, il serait atteint de troubles du comportement et son entourage fait état d’une "possession diabolique" qui aurait commencé à l’adolescence. La santé mentale des individus incarcérés en France est-elle sous-estimée ? Que sait-on du nombre d'individus qui auraient besoin d’un suivi psychiatrique dans les prisons françaises ? 

Guillaume Vlamynck : On sait qu’il y a une surreprésentation des troubles mentaux dans la population carcérale. Les troubles psychotiques sont entre 7 et 10 fois plus présents dans la population pénale que dans la population générale (on estime la prévalence de la schizophrénie autour de 1 à 2 % dans la population générale). En prison, la problématique est que les plans de dotations alloués historiquement n’ont pas été réévalués avec les nouvelles missions confiées aux unités sanitaires : la radicalisation, la prise en charge spécifique des auteurs de violences sexuelle, la prise en charge des auteurs de violences intrafamilliales, l’évolution des profils des détenus, etc. Les UHSA ont été installées pour garantir une offre de soin similaire à la population générale. Mais on observe que comme il y a la possibilité d’hospitaliser des détenus dans des unités spécialisées, cela entraîne une pénalisation plus importante des troubles mentaux.

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Guillaume Vlamynck : Il y a d’abord un problème de démographie médicale en psychiatrie. Cela fait partie des trois spécialités les plus touchées par le déficit de médecins. C’est encore plus vrai en milieu pénitentiaire car les contraintes sont très particulières et les patients ont certaines spécificités: comorbidités addictives, profils psychosociaux particuliers, etc.

Deuxièmement, il y a un problème de formation. Il n’y a pas de spécialisation en psychiatrie légale ou médico-légale. Or quand on n’est pas formé pendant son cursus, on ne se dirige pas naturellement vers ce domaine une fois diplômé. Il y a un vrai problème de valorisation et d’attrait de cette filière. Plus il y a de médecins, plus les patients sont accompagnés. Cela est également vrai pour les autres professionnels , infirmiers, psychologues, éducateurs…

Comment expliquer que des profils comme celui de l'agresseur d'Yvan Colonna soient dans une situation où ils peuvent agresser d'autres détenus ?

Guillaume Vlamynck :Je ne connais pas le profil de son agresseur et elle fera sans doute l’objet d’une procédure pénale donc je préfère m’abstenir de commentaires. Mais la remarque qui s’impose est la suivante : pour une personne qui a des troubles psychiques, il y a deux solutions. Soit on estime que son état est compatible avec la détention, et lors de passages à l’acte il faut se demander si ce dernier a un lien avec son état psychique ou si il s’agit d’un passage à l’acte rentrant dans le cadre d’une problématique strictement criminologique. Soit on estime que son état n’est pas compatible avec la détention et dans ces cas-la le détenu doit être pris en charge dans une unité spécialisée (SMPR/UHSA).

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Est-ce qu'on a du mal à identifier justement les patients qui doivent être en prison et ceux en établissement ? Et en population générale ?

Guillaume Vlamynck : Un dispositif relativement fluide existe entre l’administration pénitentiaire et les unités sanitaires notamment avec le système de signalements. Il permet une évaluation par l’unité sanitaire. C’est quelque chose qui n’existe pas en milieu ouvert. Si un proche présente des propos étranges, sauf à l’amener aux urgences, il n’aura pas un rendez-vous avec le psychiatre dans les heures qui suivent. En milieu pénitentiaire, la vulnérabilité des personnes est prise en compte. Ainsi toute situation à risque mène normalement à une évaluation. Le problème peut en revanche être le délai quand il n’y a pas de psychiatre disponible. Cela étant en cas d’urgence, l’extraction médicale reste la régle, c’est d’ailleurs ce qui se passe en dehors des horaires d’ouverture des unités sanitaires.

Il y a aussi un problème d’expertise psychiatrique pour les personnes en garde à vue. Il n’y a soit pas d’experts, soit des professionnels non formés à la spécificité médico-légale ; et de fait les conclusions ne tiennent quelques fois pas compte de la réalité de l’organisation des soins en milieu pénitentiaire et/ou de la spécifité de ce qu’est le monde carcéral pour certains profils (notamment les déficience intellectuelles).

Y-a-t-il une difficulté à identifier et à apporter le traitement adapté aux profils psychiatriques problématiques ?

Guillaume Vlamynck :Quand ils sont hospitalisés à temps complet, notamment sous le mode de la contrainte, non. C’est valable tant en milieu ouvert qu'en pénitentiaire. La problématique est quand ils reviennent dans leur établissement d’origine et qu’il n’y a pas de contrainte pour la prise du traitement. En milieu ouvert, la psychiatrie de secteur peut mettre des mesures d’accompagnement psycho-social, des délivrances à domicile de médicaments, etc. Tout cela est plus complexe en milieu pénitentiaire du fait notamment de contraintes inhérentes aux modalités d’incarcération.

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