Ce que l’analyse du blog de Jean-Luc Mélenchon révèle des méandres du personnage

Atlantico : Vous vous êtes plongé dans le blog de Jean-Luc Mélenchon. Que retenez-vous de cette lecture ? 

Lucas Jakubowicz : On a souvent tendance à dire que les hommes politiques sont des menteurs et qu’ils font de la dissimulation, ce qui n'est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon. Quand on lit son blog, tout ce qu'il dit est théorisé. Tous les dérapages qui arrivent par la suite étaient prévus par ce qui était dit dans le blog.

Par exemple, face à toute critique de LFI, la stratégie consiste à traiter l'opposition d'extrême droite. Mélenchon use de ce stratagème sur son blog.Tous ceux qui vont dire du mal de lui sont automatiquement qualifiés d'extrême droite ou de racistes. Il va accuser Marine Tondelier (qui n’est pourtant pas hyper à droite) de faire le jeu du Rassemblement National. Si on s'étonne sur le fait que Danièle Obono ne dise pas que le Hamas est terroriste, il va dire qu’on s'en prend à elle parce qu'elle est noire. Donc, c'est raciste. Quand on examine le discours de pas mal de députés insoumis, ils vont très souvent ressortir la même carte pour se dédouaner.

C'est une stratégie qui paye ?

Ça, on verra aux prochaines élections. En tout cas, l'idée c'est de dire qu'on coupe court à tout débat. Et si on nous critique, vous dites que c'est parce que les adversaires sont racistes, fachos ou autres. C'est limpide quand on lit le blog. Autre exemple sur la presse qui ne va pas soutenir à 100% la Palestine ; Jean-Luc Mélenchon va dire : « l'assaut des médias alignés sur la fachosphère » ou « La fachosphère attaque ! ».

Pourquoi tout ramener au Rassemblement national ou à l'extrême droite ?

L'idéologie de gauche ne sait pas trop où elle va. Elle est totalement désunie sur plein de choses. Le seul élément permettant encore de rassembler, c'est la peur de l'extrême droite. C'est la dernière petite ficelle qu'on peut utiliser pour essayer d'avoir une union sacrée.

En réalité, LFI est un parti politique qui ne s'inscrit pas du tout dans le jeu parlementaire. D'ailleurs, c'est encore dit écrit par JL Mélenchon dans son blog. Il parle de combat, de conflictualisation. C'est un parti qui ne veut faire aucune concession, qui ne veut négocier avec personne. Quand on s'éloigne de leurs positions, on est excommunié, on est insulté. 

Vous me parlez justement des opposants, mais prenons l’exemple de Raquel Garrido. Dans la perspective de 2027, elle prend ses distances. Raquel Garrido a d’ailleurs pris position contre JL Mélenchon dans ses récentes déclarations sur la guerre entre le Hamas et Israël. Mélenchon va essayer de la faire passer pour une frontiste ? Comment va-t-il la décrédibiliser ? 

La France Insoumise, on dit que c'est un mouvement gazeux, sans chef, démocrate, l’humain d’abord etc. Mais dès que quelqu'un s'éloigne un peu de ce que dit Jean-Luc Mélenchon ; automatiquement, il est écarté des instances. Comme cela a été le cas avec la vieille garde comme Alexis Corbière, Raquel Garrido, Clémentine Autain ou Georges Kuzmanovic. C'est le propre de tous les partis autoritaires et dictatoriaux. Que ce soit de gauche ou de droite, la vieille garde est purgée. Hitler ou Staline avait fait pareil. Tous les compagnons de la première heure sont purgés et sont remplacés par des gens beaucoup plus jeunes, beaucoup plus malléables et qui doivent tout au chef. Sur le cas de Raquel Garrido, le dernier post de Mélenchon cherche à l’humilier puisqu’elle est réduite au rang « d’ex chroniqueuse de Cnews ». Elle incarne tout ce que le mélenchonisme doit détester : la presse et l’extrême droite.

C'est un parti politique avec un fonctionnement totalitaire, avec le chef au- dessus. Quand on prend de la distance avec ce que dit le chef, on est viré d'office. Souvent, ce sont les plus vieux et les plus instruits qui sont les premiers à partir. Et par contre, les nouveaux qui montent en puissance, c'est des trentenaires de milieu plutôt CSP+ qui s'appellent David, Antoine, Clémence, Capucine, Paul, Aurélien… qui sont parachutés dans des circos de banlieue populaire et qui ensuite sont redevables à cet électorat.

La France insoumise, c'est un parti qui va imploser ou qui va faire imploser toute la gauche à cause de son alliance avec la NUPES ? 

Ce qui est fou, c'est que LFI a quand même traversé plein de tempêtes ces derniers mois. Il y a eu l'affaire Chikirou, Quatennens et maintenant les propos sur le Hamas. A chaque fois, le « navire tangue » mais il ne coule pas. Il y a vraiment une discipline partisane très forte pour protéger le chef et son premier cercle. Le parti en tant que structure, même s’il subit des désaffections a peu de chance d’exploser. Les personnes qui ont des stratégies divergentes sont traînées dans la boue et expulsées. Les autres font corps autour du chef. Souvenez-vous en 2019, des dirigeants importants sont partis : Charlotte Girard, Georges Kuzmanovic, le politologue Thomas Guénolé. C’étaient des personnes importantes pour LFI. Tout le monde pensait que le parti ne s'en relèverait pas. Ce sont des gens beaucoup plus jeunes qui sont montés et qui doivent tout à Mélenchon. Après la purge, il y a toujours une relève derrière. 

Avec ses prises de positions et ses déclarations depuis le début du conflit entre le Hamas et Israël, ses adversaires qualifient Jean-Luc Mélenchon d’antisémite. A la lecture de son blog, quel portrait peut-on dresser du leader des insoumis ?

Dans son dernier message sur son blog, il y a une phrase qui m’a fait bondir : « tout le monde ressent progressivement combien cette indignation à géométrie variable contient une trame raciste à présent évidente ». Le message envoyé veut dire que si on n’est pas à 100% derrière la Palestine et le Hamas, alors cela signifie qu’on est raciste, islamophobe et qu’on en veut aux musulmans. Il fait passer l’idée qu’il est le protecteur des musulmans en défendant le Hamas. 

Mélenchon est dans une stratégie communautaire. Il veut absolument le vote des musulmans. Et si pour ça, il faut donner des gages en tenant des propos antisémites, il n’hésitera pas à le faire. Il part du principe qu’il faut enfermer les musulmans dans une case identitaire, ethnique, religieuse et qu’il faut être antisémite pour avoir leurs voix. Pour autant, il y a beaucoup de musulmans qui ne mordent pas à l’hameçon. C’est un pseudo vote musulman en réalité. Il ne recherche que les plus essentialisés.

Jean-Luc Mélenchon sera-t-il candidat pour la présidentielle 2027 ?

Le pouvoir c’est une drogue dure dont il est difficile de se sevrer. Dire qu’on s’en va ou qu’on se met en retrait, parfois on le regrette. En réalité, il donne des instructions très strictes aux députés insoumis et aux militants qui vont répéter ses éléments de language à la lettre.

 Lucas Jakubowicz est journaliste politique et rédacteur en chef de Décideurs Magazine.

Pour retrouver l'analyse de Lucas Jakubowicz sur le blog de Jean-Luc Mélenchon : cliquez ICI