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Ce qu'il manque aux Français pour avoir un vrai mental de champion
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Bonnes feuilles

"A niveau égal, disent tous les grands performeurs, le mental fait la différence." Cette part du mental, on le sait aujourd'hui, est déterminante pour réussir. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Extrait de "La force du mental" (2/2).

En France, l’intervention d’un coach mental est rare. En effet, la plupart des entraîneurs et la Fédération Française de Tennis ne donnant pas sa place à l’entraînement mental dans la préparation des joueurs, il semble que les joueurs acceptent inconsciemment cette directive implicite venue de la plus haute instance française. Par exemple, il y a une quinzaine d’entraîneurs de tennis, 5 ou 6 préparateurs physiques mais aucun préparateur mental à plein-temps qui travaille en interne pour la fédération au CNE (Centre National d’Entraînement). Mais alors, comment nos futurs champions se forgent-ils un mental de gagnant ? Les joueurs se débrouillent seuls.

Le système français est reconnu dans le monde entier pour la qualité et le nombre de ses joueurs (4 dans le top 10), la formation de ses entraîneurs tennis et physiques, son système de classement et de tournois uniques au monde, la détection, les ligues, les pôles France, l’INSEP1, le CNE et le budget colossal de la FFT2. La France est considérée comme un des plus grands pays de tennis, pourtant, elle reste le seul pays à attendre un numéro 1 mondial. L’Espagne, les États-Unis, l’Australie, l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Suède, la Russie et même la Suisse et la Serbie ont réalisé cette performance.

Alors, si la France a les meilleurs entraîneurs et le meilleur système, que manque-t-il à notre pays ? La chance d’avoir un jour en France un joueur exceptionnel ? Nous n’avons vraiment pas de chance alors, quand dans tous les pays voisins il y en a eu un.

Le manque de talents ? Pourtant, nous avons quatre joueurs dans le top 10 et Gasquet qui était apparemment le plus grand prodige du tennis, même devant Nadal étant jeune.

Nos entraîneurs ou notre système qui n’est pas assez performant ? Pourtant tout le monde s’accorde à dire que notre système est le meilleur du monde. En tous les cas, sûrement meilleur que le système de bien des pays cités ci-dessus.

S’il restait un point à améliorer : le travail MENTAL ! Savoir jouer son meilleur niveau dans les points et les matchs qui font la différence. À l’image d’un Gasquet qui est considéré comme un prodige depuis qu’il a 12 ans, mais qui n’a à ce jour toujours pas gagné de titre majeur (Grand chelem ou Master 1000) alors que Nadal en a gagné plus de trente. Et pourtant depuis dix ans, tous ses entraîneurs et la fédération répètent que la seule solution pour qu’il réalise cet exploit serait de travailler plus sa condition physique.

Cette obstination est stupéfiante et démontre à quel point la préparation mentale est mise au second plan ou ignorée en France.

Chez les hommes, le dernier Français à avoir gagné un Grand Chelem est Y. Noah et cela fait déjà 30 ans. Vu le talent de nos joueurs et cette génération incroyable (J.-W. Tsonga, R. Gasquet, G. Monfils, G. Simon…) il y a des chances qu’ils arrivent un jour à gagner un Grand Chelem et remettre le compteur à zéro, mais que d’occasions ratées.

Alors que les déclarations des champions étrangers montrent à quel point ils sont conscients depuis longtemps de l’importance du mental : – Djokovic : « Tout n’est que mental », « le mental fait la différence ». – Nadal : « Mon jeu s'adapte bien à cette surface, mon déplacement et mes amorties conviennent à la terre battue, mais c'est l'aspect mental qui est le plus important. »

Nadal, catalogué comme un joueur de terre battue, a réussi à dépasser ses limites mentales pour se donner le droit d’aller battre le plus grand joueur de gazon par deux fois dans son jardin de Wimbledon. Est-ce que Nadal, s’il avait été français et avait grandi avec des croyances limitantes, se serait autorisé à gagner Wimbledon ?

Exemple

Entretiens avec Luc, classé 150e mondial après Rolland Garros :

– Tu sais, malgré tout ce que j’ai appris depuis 1 an, et même si je crois de plus en plus que le mental est déterminant, il y a quand même des failles dans ton approche ! Luc était souvent provocateur, il voulait éprouver les limites de chaque idée avant de l’adopter.

– D’accord, à propos de quoi ?

– Regarde, par exemple, tu dis que ce sont nos propres limites qui nous bloquent et que nous pouvons faire bien plus que ce que nous croyons.

– Oui.

– Mais je suis sûr que jamais Nadal ne gagnera Wimbledon, et là-dessus tu ne peux rien dire.

– Ah bon, mais comment sais-tu qu’il ne gagnera jamais Wimbledon ?

– (Rires). C’est impossible, il ne peut pas bien jouer sur herbe, il n’a pas le jeu pour.

– Je ne sais pas s’il gagnera un jour Wimbledon, par contre je suis sûr que s’il pense comme toi, effectivement, il ne gagnera jamais.

– Ah oui, et bien je te parie qu’il ne gagnera jamais.

– OK, si tu veux. Cette année-là, Nadal arrive en finale et perd en 5 sets contre Federer. Je décide donc d’en reparler à Luc, pour voir si sa croyance a évolué.

– Alors Luc, tu as vu Nadal ?

– Oui, j’avais raison, il n’a pas gagné ! L’année d’après, Luc revient à la charge (comme quoi nos croyances ont la vie dure) :

– J’ai regardé le tableau de Nadal, et je peux te dire que cette année, il ne dépassera même pas le 3e tour.

– Ah bon ?

– L’année dernière, il a eu de la chance, car il n’a pas joué un seul spécialiste de gazon, mais cette année, vu son tableau, il n’a aucune chance de passer les trois premiers tours (il me cite les adversaires de Nadal, car il avait déjà décidé qui gagnerait…).

– Donc, d’après toi, un joueur arrive en finale d’un Grand Chelem car il a eu de la chance ? Cette année, j’espère vraiment qu’il va gagner, car tu ne te rends pas compte à quel point ta façon de penser à propos de Nadal te bloque dans ta carrière.

– C’est impossible qu’il gagne !

– OK, on verra. Cette année-là, Nadal remporte Wimbledon en réalisant un match incroyable en fi nale contre Federer. Il regagnera même une autre fois le tournoi, prouvant par là-même que ce n’était pas « un coup de chance ».

Cet exemple montre à quel point certains joueurs français ont des croyances limitantes qui viennent de plusieurs sources (éducation, presse…) et ne s’autorisent donc pas à réaliser de grandes performances.

Malgré tout, de plus en plus de déclarations faisant référence à des carences mentales apparaissent dans la presse : « J’ai craqué mentalement », « Je n’y ai pas cru », « Je me sentais mal sur le court », « Je me suis déconcentré », « J’ai eu peur ». Alors, jusqu’à quand vont-ils passer outre ce constat édifiant ? Quand vont-ils commencer à traiter ce point ? Il est impensable qu’un joueur de tennis qui perd un match à cause de nombreuses fautes de coup droit, ne se remette pas à l’oeuvre immédiatement sur cet aspect de son jeu après cette prise de conscience. Mais par contre, craquer mentalement ou avoir peur ne les interpelle pas.

Plusieurs explications sont possibles. Comme les sportifs réduisent la force mentale à de la hargne et de la combativité, ils pensent la travailler en souffrant lors d’entraînements très durs. « Il faut en baver à l’entraînement pour savoir se battre » répètent leurs entraîneurs. Ils ne travaillent donc pas de façon spécifique le mental.

Il y a également des idées reçues sur les champions : « Un champion n’a pas peur et se doit d’être fort en toutes circonstances. » Donc, si je ne suis pas fort mentalement, c’est que je ne mérite pas d’être un champion. Si je perds parce que j’ai tremblé ou que je n’ai pas osé m’engager dans les moments importants, c’est que j’ai une faiblesse et que je ne peux rien y faire. C’est étrange comme le mental serait pour beaucoup le seul domaine qui ne peut ou ne « doit » pas être travaillé. Dans n’importe quel autre apprentissage, si nous n’arrivons pas à faire quelque chose, on va le travailler. Pourquoi le mental ne serait-il pas traité de la même façon ?

La connotation psy d’un travail mental fait que le sportif qui a souvent un ego fort ne souhaite pas faire une démarche qui le ferait passer pour un faible aux yeux des autres.

Enfin, et à la décharge des joueurs et des entraîneurs, le métier de coach ou de préparateur mental est récent. Cela n’est pas encore entré dans les habitudes françaises, comme le métier d’ostéopathe il y a 15 ans, qui était décrié par les médecins. Le coach se doit d’être au service du sportif, avec un devoir de réserve. Il ne peut donc pas se mettre en avant médiatiquement et partager son résultat et ses expériences. Il n’est pas facile de trouver des coaches mentaux français qui font référence.

Extrait de "La force du mental - Être gagnant s'apprend, dans l'entreprise comme dans le sport", Pier Gauthier, Jean-Marc Sabatier (Dunod Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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