2022
Candidature Zemmour : l’art difficile de la vidéo politique
Eric Zemmour a annoncé sa candidature pour l'élection présidentielle de 2022 dans une vidéo publiée sur Youtube le mardi 30 novembre. Le videoclip politique est un genre hybride.
Jean-Paul Gourévitch
Jean-Paul Gourévitch est depuis 1987 consultant international sur l'Afrique, les migrations et l'islamisme radical. Il a enseigné à l'Université Paris XII Créteil. Écrivain, essayiste et formateur il est également spécialiste de la littérature de jeunesse. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).
La prestation Zemmour était très attendue. Le dynamiteur d’idées allait-il dynamiter aussi la forme de sa déclaration de candidature ? Le candidat avait besoin d’une nouvelle séquence pour effacer le Bataclan, le doigt d’honneur et la chute dans les sondages. Quand on apprit qu’il avait choisi un videoclip de 10 minutes sur You Tube posté sur les réseaux sociaux, ce qui ne s’était jamais fait, l’attente devint fébrile. Allait-il continuer à décliner sa thématique du Grand Remplacement (« vous n’êtes plus aujourd’hui chez vous ») quitte à en dire moins et à en montrer plus ? ou proposer une rupture qui lui donnerait la stature présidentielle, ce costume dans lequel il avait peine à entrer ? Réussirait-il l’exploit du clip Mitterrand de 1988, cette épopée qui en 500 images et 80 secondes avait institué le Président comme dépositaire de deux siècles d’héritage révolutionnaire et contribué à rajeunir son image ?
Le videoclip politique est un genre hybride. Il se situe entre le spot de propagande qui matraque une brève démonstration énoncée avec manichéisme de la thématique (bien/mal, hier/aujourd’hui, moi/les autres) et le clip politique, spectacle plus long avec mitraillage d’images emblématiques peu ou pas commentées, pour magnifier la dimension charismatique du leader qui n’apparait que sur le packshot final. Dans le videoclip, le candidat, présent à l’écran, s’exprime devant un défilé d’images significatives, assez nombreuses pour témoigner de sa palette idéologique, mais pas trop pour qu’elles puissent être envisagées. Un exercice difficile à maîtriser, quand on désire passionnément convaincre mais qu’on n’en a pas l’habitude.
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La première image est stupéfiante. Surgi du noir, Zemmour est assis à une table à côté d’un ancien micro et devant une bibliothèque, références à De Gaulle et à Mitterrand, et les yeux fixés sur son papier dont il tourne ostensiblement les pages. Retour aux débuts de la Ve République? Les images arrivent très vite scandant la chronique d’un présent qu’il trouve difficile ou insupportable (attaque au mortier d’un commissariat, genou en terre des bleus…) en regard d’un passé idyllique et glorieux conjugué en noir et blanc et couleur, où le polémiste embouche la trompette épique pour conclure que ce pays est en train de disparaître. « vous êtes des exilés de l’intérieur».
Aujourd’hui c’est l’évidence même si la France a mis du temps à s’en rendre compte. Vient alors le défilé des méchants depuis l’Union Européenne jusqu’à Dupont-Moretti et la contradiction entre les discours du pouvoir et des médias et la « tiersmondisation » de notre peuple, victime du déclassement et du remplacement, symbolisé par les prières des musulmans dans la rue. Tout n’est pourtant pas perdu et la séquence suivante énumère tout ce que nous devons faire en termes d’action pour vivre la modernité et conserver notre héritage.
A la 7e minute, c’est la déclaration. Zemmour résume sa vie et explique pourquoi il a quitté son rôle de lanceur d’alerte. Il ne s’agit plus de réformer mais de sauver la France ce que ni les principaux autres candidats (parmi lesquels sont curieusement oubliés Mélenchon et Marine Le Pen) ni le Président Macron, « synthèse de ses deux prédécesseurs et en pire » ne sont capables de réaliser, mais que lui accomplira grâce au soutien des foules qui l’entourent et l’acclament. Le futur se transforme en présent comme si c’était déjà fait (« le peuple chasse ses mauvais bergers »), l’indicatif en impératif ( avec un « aidez-moi » aux accents gaulliens) et le videoclip se clôt sur le slogan « Zemmour 2022 » inscrit naturellement en rouge et blanc sur fond bleu et qui persiste longtemps à l’image.
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On passera sur les polémiques concernant la musique (allemande), l’utilisation d’ images sans avoir demandé les droitsou l’ambiguïté de certaines (les gilets jaunes, les bancs vides de l’assemblée) pour analyser comment, dans ce videoclip, Zemmour envisage sa campagne. Le texte est très travaillé avec des clins d’œil littéraires (ce « sentiment étrange et pénétrant ») des énumérations longues mais soignées, une composition en spirale avec syntagmes alternés (aujourd’hui / hier / aujourd’hui / demain / aujourd’hui / demain). Le rapport avec l’image est au contraire lourdement pléonastique. Zemmour veut nous mettre les points sur les i comme s’il pratiquait une pédagogie pour les Nuls.
Là où certains attendaient une vision de l’avenir, on découvre le discours d’un écrivain solitaire au milieu de ses fidèles, soucieux avant tout d’un patrimoine à préserver et d’une souveraineté à reconquérir. Point de départ ou point de chute ?
Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur l’Afrique et les migrations et spécialiste de l’image politique. Dernier ouvrage paru "La tentation Zemmour et le Grand Remplacement" (éditions Ovadia novembre 2021)
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