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CAC 40 et inégalités : pourquoi la question des dividendes n’est pas la bonne
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Débat de fond

Un rapport publié lundi par l'ONG Oxfam et le Basic montre que les groupes du CAC 40 ont redistribué à leurs actionnaires les deux tiers de leurs bénéfices depuis le début de la crise, et ce, au détriment des investissements et des salariés.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Selon un rapport rendu public par OXFAM, les groupes du CAC 40 auraient transféré 67.5% de leurs bénéfices à leurs actionnaires depuis 2009, tandis que les salariés n'en récupèrent que 5% au titre de l'intéressement et de la participation, et que 27.5% sont disponibles pour l'investissement. Comment expliquer un tel résultat ? Derrière la condamnation morale de celui-ci, quel est le processus économique qui le rend possible ?

Alexandre Delaigue : Dans un premier temps, il faut bien noter que l'on parle ici de la répartition des bénéfices, qui sont théoriquement, de toute façon, réservés aux actionnaires. On peut se poser la question de la répartition entre dividendes et investissements, mais la partie pour les salariés est par nature relativement modérée parce qu'ils ne sont pas censés récupérés la part du capital. Cela reste un point que l'on a un peu tendance à oublier dans ce débat.

Lorsque l'on parle de la répartition entre capital et travail, on observe des tendances assez variées. Globalement, il y a une certaine stabilité de ce rapport entre capital et travail en France mais ce n'est pas du tout le cas dans d'autres pays en particulier dans le monde anglo-saxon, aux Etats-Unis par exemple ou la part du capital a tendance à augmenter. Cela est globalement révélateur du rapport de force entre salariés et actionnaires mais également de l'état de la situation macroéconomique. Quand il y a du chômage, il est extrêmement difficile pour les salariés d'obtenir des augmentations salariales, et la part qui leur revient a donc tendance à diminuer.

Le deuxième problème est cette question de la répartition du bénéfice entre d'un côté les dividendes et de l'autre côté le réinvestissement. Ici on n'est quand même sur quelque chose d'assez artificiel parce que si une entreprise touche un bénéfice, qu'elle décide de le reverser sous forme de dividendes ou qu'elle décide de le conserver dans ses comptes, quoi qu'il arrive, c'est de l'argent qui reste pour ses actionnaires. On est plus ici sur une question de la forme comptable que prend la part que vont toucher les actionnaires, des dividendes ou des augmentations de la valeur de l'action parce que l'entreprise garde l'argent pour elle. C'est donc plus une question sémantique que véritablement importante. Après il y a cette idée à gauche que le dividende serait le mal absolu alors que le réinvestissement dans l'entreprise serait très bien, mais fondamentalement, cela est la même chose. Pour les actionnaires, que leurs actions valent plus chères ou que l'on leur verse des dividendes, c'est quasiment la même chose. Enfin, un point que cette étude met en évidence, le fait que les entreprises investissent relativement peu leurs bénéfices. Plutôt que de réinvestir, elles ont beaucoup plus tendance à le reverser directement. Et là, le problème de fond n'est pas tellement de dire qu'elles versent beaucoup aux actionnaires, mais de se rendre compte qu'elles ne savent pas quoi en faire en termes d'investissements. C'est ce sous-investissement qui est un fait important.

Dans le même temps, Eurostat publiait ses statistiques relatives à l'investissement en Europe, avec un niveau inférieur en % de PIB à ce qu'il était en 2007. Quel est le lien entre faiblesse de l'investissement et transfert des bénéfices aux actionnaires. Comment expliquer que ces derniers semblent préférer une distribution plutôt que le réinvestissement ? Faut-il y voir une faible confiance dans l'avenir ?

La faible confiance dans l'avenir peut être un facteur. Plusieurs points peuvent expliquer ces sous-investissements. Un premier point est que les biens d'investissement ont tendance à voir leur valeur diminuer, les entreprises modernes sont moins intensives en capital et le facteur capital qu'elles utilisent, c’est-à-dire les technologies de l'information voient leurs prix diminuer sans arrêt. Le résultat, c'est que dès que les entreprises investissent plutôt dans du matériel ou dans des technologies de l'information, cela va se manifester par des taux d'investissement qui baissent alors que celui-ci reste important. Ensuite, le deuxième facteur, effectivement, nous sommes dans des pays qui ont tendance à vieillir, il y aura donc moins besoin d'infrastructures productives – si vous êtes en Allemagne vous constatez que la population diminue, et si vous êtes un fabriquant de réfrigérateurs, vous vous dites qu'il y aura moins d'acheteurs à l'avenir - ces perspectives démographiques dégradées peuvent expliquer aussi cela. Il y a aussi un facteur structurel qui est que l'investissement dans l'innovation ne paye pas énormément depuis un certain temps. Investir fortement dans l'avenir, pour beaucoup d'entreprises, cela n'est pas une opération très payante, c'est une opération qui consiste à inventer quelque chose et à voir quelqu'un d'autre vous imiter. Il est donc possible qu'il y ait ici une certaine réticence à l'investissement. Enfin, dans ce cas-là, on pourrait imaginer une substitution de l'investissement public à l'investissement privé mais les États en Europe n'ont pas tendance à investir et les politiques budgétaires sont plutôt austéritaires, et cette austérité touche en priorité l'investissement public.

Quelle serait la dynamique économique qui permettrait une distribution plus équilibrée, entre actionnaires et salariés, et une progression de l'investissement ?

Il y a d'abord une question du côté de la demande. Si les politiques macroéconomiques aboutissaient au plein emploi, c’est-à-dire que si on poussait véritablement dans cette direction -ce que l'on n'a pas vraiment tendance à faire, les Banques centrales sont relativement timorées de ce point de vue-là, et aux Etats-Unis nous sommes tout juste au plein emploi – on assisterait à une hausse des salaires et automatiquement cela aboutirait à une diminution de la part des profits et on pourrait alors peut-être envisager une sorte de dynamique favorable dans laquelle les entreprises seraient alors incitées à investir pour satisfaire une nouvelle demande. Cela est un peu hypothétique mais au départ le plein emploi est quelque chose de désirable pour rééquilibrer le rapport de force entre employeurs et salariés.

Ensuite, sur le second point, on peut se poser la question des facteurs liés à l'offre. Est-ce que les entreprises sont véritablement incitées à investir ? Et de ce point de vue-là, on assiste à une augmentation du pouvoir de monopole dans pas mal de secteurs. Or, dans une telle situation de monopole, une entreprise a tendance à engranger des bénéfices de plus en plus importants et à moins investir parce qu'elle en a tout simplement un peu moins besoin. Ces monopoles sont liés à la nouvelle structure des entreprises, par exemple pour des entreprises comme Google ou Facebook, qui sont en position très forte parce que la structure de ces activités génère des gros gagnants. Et dans certains secteurs, on peut noter qu'il y a moins de concurrence donc beaucoup de concentration, par exemple les secteurs pharmaceutiques et bancaires. De ce point de vue-là, on pourrait favoriser l'investissement que pourrait générer un surcroît de concurrence.

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