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Business France : révélations sur les détails du rapport qui établit la responsabilité de Muriel Pénicaud et Emmanuel Macron
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Révélations

Enfin le document complet sur la folle nuit à 381 000 € du ministre de l’Économie à Las Vegas le 6 janvier 2016 !

Oui, Emmanuel Macron, à l’époque ministre de l’Economie et son cabinet sont bien présents, depuis le début, dans l’affaire de la French Night Tech à Las Vegas, le 6 janvier 2016 sur laquelle la justice enquête !

Oui, Muriel Pénicaud, la directrice générale de Business France (devenue depuis ministre du Travail) qui confesse une simple  « erreur » est également bien présente dans le dossier.

Oui, ce dossier à 381 000 € la nuit, payé exclusivement avec de l’argent public comporte bien un tissu d’irrégularités (absence de mise en concurrence, délit potentiel de favoritisme…) avec à la clé des risques pénaux bien réels !

Voilà les principales conclusions-choc, contenues dans le rapport du cabinet Ernst & Young (EY) que le site d’informations lanceur d’alertes «  L’œil Pour Le Dire » publie aujourd’hui en exclusivité dans sa totalité.

Au moment où les informations successives sur l’affaire de la très coûteuse nuit d’Emmanuel Macron à Las Vegas se multiplient en faisant toute référence à cet audit, « L’œil Pour Le Dire » a choisi, afin d’informer l’opinion, de diffuser ce document on ne ne peut plus précieux pour la compréhension de l’histoire. Chacun pourra dès lors se faire une opinion claire et circonstanciée sur ce dossier qui reste accablant pour les acteurs concernés.

Soixante et une pages rédigées au scalpel par une équipe de Ernst & Young pilotée par le sourcilleux Philippe Rambal, inspecteur des Finances, ancien haut responsable de la Direction générale des finances publiques, ancien conseiller des cabinets Lagarde et Woerth. 

On comprend mieux à la lecture de l’audit pourquoi la patronne de Business France, Muriel Pénicaud, après l’avoir commandé en mars 2016 sans prévenir les instances internes de contrôle, choisira finalement de le garder sous le coude jusqu’au … 5 décembre 2016. Et encore, comme l’a rappelé « Libération », présentera-t-elle ce jour  à son comité d’audit une version synthétisée et surtout tronquée du fameux rapport EY. 

Idem pour « L’œil Pour Le Dire » : le cabinet de la ministre du Travail n’est pas joignable après notre sollicitation vendredi 7 juillet 2017 dans l’après-midi :  « il faut envoyer un mail et attendre une éventuelle réponse dans les prochains jours » nous à-t-on répondu.

« Un audit très chargé »

Cliquez ci-dessus pour consulter le document complet sur la folle nuit à 381 000 € du ministre de l’Économie à Las Vegas le 6 janvier 2016 

D'une simple phrase, les enquêteurs d’Ernst & Young, dans leur synthèse générale, résument parfaitement l’ampleur des dégâts engendrés par la fameuse nuit Macron à Las Vegas (page 8) : « L’audit de l’organisation de la soirée French Tech du 6 janvier a révélé des écarts par rapport aux dispositions de la procédure d’achat en vigueur au moment de l’organisation de l’évènement. Ces écarts ont concerné tous les stades de la procédure : de l’expression du besoin de paiement, passant par la passation du marché, la contractualisation de la relation commerciale avec les prestataires, et également la réservation des crédits budgétaires liés ».

Autrement dit, dans le jargon de Bercy où le respect des procédures en vigueur est la mère des règles, l’organisation et le financement de l’opération Las Vegas, sous couvert de « délai court », ont été montés quasi illégalement. Avec, au passage, un constat assez terrible quant à la soi-disant « bonne foi » par Muriel Pénicaud : « l’audit a relevé des carences répétées dans la formation des actes de gestion, et nous relevons que la conservation des pièces justificatives est insuffisante » (page 8). Ce qui laisser à penser que bon nombre des documents avaient déjà disparu avant même l’arrivée des auditeurs d’EY dans les locaux de Business France courant mars 2016...

D'ailleurs, s’il évoque brièvement les côtés positifs avec (page 9) « l’adéquation de la soirée aux objectifs de la convention French Tech » (une convention a été signée en juillet 2015 entre la Caisse des Dépôts (qui finance à hauteur de 12 millions d’euros annuels) et Business France, l’audit pointe essentiellement la foultitude d’irrégularités dans le corps du rapport (pages 11 à 16) puis à travers sept fiches d’observation en annexe (pages 21 à 61). 

« La bonne opération de com’ pour Macron »

Bref retour en arrière… Depuis des années, le gouvernement et des acteurs privés financent des opérations de promotion de l’attractivité et de l’influence internationale de la « French Tech », la technologie française développée notamment par ses start-up.

C’est désormais l’organisme « Business France » issus de la fusion en 2014 de l’ex-Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et d’Ubifrance, qui est en charge de cette promotion. 

Et, courant 2015 quand il constate que « Business France » (qui est sous sa tutelle) sera présent en 2016 sur le célèbre salon « Consumer Electric Show » de Las Vegas (où sont présentées début janvier les dernières trouvailles mondiales en matière d’électronique grand public ), le cabinet Macron flaire l’excellence d’une opération de communication, tant en France qu’à l’international.

À l’été 2015, la cheffe de cabinet d’Emmanuel Macron, Sophie Ferracci, prend langue avec la patronne de Business France, Muriel Pénicaud qui charge sa directrice Promotion et Communication, Fabienne Bothy-Chesneau, (l’ancienne chargée de com’ du Trésor à Bercy) de suivre le dossier. En septembre 2015, un comité stratégique présidé par Business France, valide le principe d’une soirée évènementielle « French Tech Night » sans autre précision sur les modalités opérationnelles.

« Pas de pilote dans l’avion »

Dès le début, le dossier part en crabe … « Nous constatons que Business France et, plus particulièrement, la direction de la promotion et de la communication, ne sont pas en position de s’affirmer pour assumer seules l’organisation de la soirée face à leurs partenaires... » écrivent les rapporteurs (page 11). Une absence de leadership qui a créée, selon eux, une « période d’incertitude sur le choix du porteur du projet, période allant de septembre à novembre 2015… » (page 11).
D’autant comme le constatent les enquêteurs que « le cabinet ministériel est impliqué à de multiples reprises dans l’organisation de la soirée afin de caler les éléments de langage et le mode opératoire de l’intervention du ministre au cours de la soirée. Cette intervention influe sur le cours de l’organisation de la soirée ». (page32)
Autre exemple concret de l’engagement des équipes Macron (page 24) : « Dans un courriel du 17 décembre 2015, Yves-Laurent Mahé, conseiller économique à l’ambassade de France à Washington, écrit à Fabienne Bothy-Chesneau, directeur exécutive ProCom, et à 8 autres destinataires, que « la conseillère presse du Ministre était à une réunion – la veille- chez BF pour caler tout ça », étant donné « l’attente d’éléments plus précis sur le déroulé et l’organisation de la soirée French Tech ». Autrement dit, le cabinet Macron donnait déjà le cap et les services exécutaient...
Face à l’équipe Macron «  le chef de projet, la directrice adjointe et la directrice exécutive de la direction de la promotion et la communication constituent un même niveau de décision qui ne permet pas la prise de recul et l’exercice d’un contrôle de premier niveau dans l’organisation des évènements ». (page 32)
Preuve du flou généralisé, l’audit note (page 23) qu’ « aucune instance n’existe entre le Medef (NDLR : qui avait organisé la French Tech Night en 2015), le cabinet du ministre de l’économie et Business France afin de rendre l’arbitrage sur l’attribution de l’organisation des évènements French Tech ». 
S’en suivra, à en croire le rapport, une succession de bourdes lourdes de conséquences.
Exemple : en contradiction avec la législation et les procédures en vigueur, le service des achats et le service juridique de Business France n’ont pas « été impliqué par la direction de la promotion et de la communication dans le processus relatif à la mise en publicité du marché et à la sélection des prestataires » note l’audit (page 12). De même, la Direction Finance et Gestion sera également mise sur la touche. Une succession d’oublis qui n’a « pas permis un suivi rigoureux des imputations d’engagements sur les ordres internes » (page 12).

« Absence de mise en concurrence du marché »

Pas étonnant dans ces conditions de grand flou organisé que « la règle générale de la publicité et de la mise en concurrence pour tous les achats n’a pas été respectée » dénonce le rapport (page 13). Qui enfonce le clou après avoir chiffré avec précision l’estimation réelle de la nuit Macron à Las Vegas à 379 319 euros HT (page 13) : « les carences constatées dans l’application de la procédure d’achat au stade de la passation du marché n’ont pas permis de constater que les offres retenues étaient les mieux disantes au regard du prix demandé et des prestations proposées ».

Avec deux beaux risques financiers et juridiques à la clé : 

« Business France peut encourir un risque de remise en cause de la régularité de la passation du marché par un tiers » (page 13)

« il est rappelé que la méconnaissance des prescription de l’ordonnance du 6 juin 20015 peut relever d’un délit de favoritisme » (page 14). Et les enquêteurs de rappeler en note de bas de page les peines prévues et la jurisprudence de la Cour de Cassation : « est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public... de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires...».

« Le flou absolu dans le choix d’Havas »

Toutes ces failles dans l’organisation de la soirée, vont en tout cas faire le bonheur de l’Agence Havas qui, au terme d’une procédure incompréhensible, sera retenue pour gérer l’aspect opérationnel et communication.

« Jusqu’à mi-décembre 2015, retracent les auditeurs (page 31), Business France ne souhaite pas recourir à une agence de relations publiques que pour lui demander une prestation relative à l’élaboration du contenu RP/eRP (NDLR : relations presse traditionnelles et sur Internet). A partir de mi-décembre 2015, un glissement s’opère par lequel l’agence retenue, Havas Sports & Entertainment, et ses affiliées, prennent en charge l’ensemble des aspects logistiques et organisationnels de l’évènement ». Et ce sans « aucune trace écrite de la décision qui a pu être prise d’accroître le périmètre de l’agence », ni mise en concurrence digne de ce nom.

En matière de concurrence, le rapport est particulièrement précis (page 13) :

« la règle générale de la publicité et de la mise en concurrence pour tous les achats n’a pas été respectée.

- S’agissant de la publicité, la procédure d’achat P5 de juillet 2014, en vigueur au moment des faits, prévoit la publicité obligatoire au JOUE ( NDLR : Journal Officiel de l’Union Européenne) et la consultation d’au moins 4 prestataires différents.

- S’agissant de la mise en concurrence, la procédure d’achat P5 de juillet 2014 prévoit un appel d’offre ouvert ou restreint.

- S’agissant de la décision d’attribution du marché, celle-ci revient à la directrice générale après avis de la Commission des appels d’offres selon les critères objectifs principaux du cahier des charges et l’avis du contrôleur budgétaire.

Aucune de ces trois dispositions découlant de la règle générale n’a été appliquée… »

Pas étonnant, note encore l’audit que cette multiplication d’entorses aux règles les plus élémentaires «  permet à un prestataire de se présenter en position force dans la proposition de services qu’il formule, voire d’inverser la relation client-fournisseur » (page 33). 

Prestataire au demeurant bien connu du cabinet du ministre : Ismaël Emelien, conseiller en communication d’Emmanuel Macron, arrivait tout droit d’Havas Worldwide (où il venait de travailler, plutôt mal paraît-il, avec le successeur d’Hugo Chavez à la tête du Venezuela, le président Madero). Pour mémoire, c’est encore l’agence Havas qui épaulera ensuite le candidat Macron pendant sa campagne présidentielle…

Toujours est-il que rien dans les éléments consultés par les auditeurs ne leur permet de comprendre comme le choix d’Havas s’est véritablement opéré. Simple, la formule est accablante (page 25) : « nous n’avons pas pu identifier la formalisation de la relation contractuelle convenue avec le prestataire Havas » !

« Irrégularités à la pelle »

Entre les différentes prestations (relations publiques France 53 725 €, relations publiques New York 20 068 €, Evènementiel Paris 52 245 €, Evènementiel Havas New York (dont l'Hôtel the Linq) 239 781 €, fournisseurs annexes 13 500 €) Havas présentera cependant une addition totale de 379 319 € dès février 2016.

Pour la petite histoire, les enquêteurs d’Ernst & Young constatent, comme la presse l’a déjà évoqué, que le choix de l’hôtel the Linq (au détriment de l’hôtel the Venetian) a été fait à la demande expresse de l’équipe Macron (page 40) : « le cabinet du ministre souhaite plutôt le Linq car la salle proposée par l’hôtel the Venetian est trop kitsch ».

Une addition dont le paiement va déclencher à nouveau toute une série d’entorses et d’illégalités vis-à-vis des règles de la comptabilité publique externes et du règlement interne à Business France. 

Et ce alors que, comme le rappellent opportunément les enquêteurs (page 27) les délégations de pouvoir et de signature ont été faites dans les règles de l’art ( « Délégation de signature de Muriel Pénicaud, Directrice Générale de Business France, à Fabienne Bothy-Chesneau, Directrice Exécutive de la promotion et de la communication à BF le 5 mai 2015 »…). 

Cette dernière, selon nos informations, sera d’ailleurs remerciée de Business France par Muriel Pénicaud début 2016, avec quelque 70 000 euros d’indemnités. Pour moins d’un an de présence, la prime était juteuse...

Il n’empêche, concernant le dossier « Las Vegas », personne chez Business France, aux dires des auditeurs, ne respectera les modalités de paiement (voir page 29). Pendant que la Direction promotion communication se débat pour faire honorer la demande d’avance d’Havas ( 30% du total), les rapporteurs constatent (page 29) : 

« Nous n’avons obtenu aucune pièce montrant l’implication de la directrice générale de Business France- seule titulaire du pouvoir d’engager l’Etablissement dans une opération de la direction de la promotion et de la communication d’un montant supérieur à 90 000 € HT – dans le processus de validation des budgets ou de la signature de l’éventuel bon de commande qui aurait été émis par la suite, dont nous n’avons pas eu la copie ». 

Leur conclusion (page 30) : «  Nous constatons donc le non-respect des seuils des délégations de signature en vigueur dans la partie relative à l’approbation du budget ». Suivi d’une affirmation sans concessions quant à l’engagement juridique de Business France dans ce dossier (page 31) : « Nous constatons donc que la chaîne de la dépense publique n’est pas respectée : la prestation est réalisée sans formalisation de l’engagement par les contractants ».

« Risques juridiques pointés du doigt »

« Absence de suivi du budget » (page 33), « dilution de la relation client-fournisseur conduisant à une possible inversion de celle-ci »,  « risque relatif à la justification des dépenses à posteriori », « absence de maîtrise de l’achat public », « absence de relation contractuelle » (page 34)… 

La liste des irrégularités constatées par la mission d’audit fait froid dans le dos… D’autant que tout cela a probablement coûté très cher en argent public (page 38) : « au regard de la documentation que nous avons consulté, Business France n’a pas été en mesure de s’assurer que les prestations réalisées l’ont été au meilleur coût ».

À ce stade, l’audit d’Ernst & Young met en perspective l’existence de « risques juridiques » (page 38) : « risque financier potentiel : en cas de remise en cause du contrat pour défaut de respect des obligations de publicité et mis en concurrence dans le cadre de sa passation ». Puis « risque pénal de délit de favoritisme » (page 39) puni on l’a vu de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros. D’autant que les auteurs l’écrivent très clairement (page 43) : « nous constatons donc une volonté de la direction de la promotion et de la communication de contourner les conditions générales d’achat et de paiement ». 

En tant que gestionnaire de Business France, la question de la responsabilité de sa directrice générale va immanquablement se poser. Idem pour celle du ministre de l’économie et de son cabinet désigné dans l’audit (page 49) comme ayant été une «  des parties prenantes » au « processus décisionnel dans l’organisation de la soirée ».

Mobilisée par le ministre des Finances, Michel Sapin, après les révélations de décembre 2016 du « Canard enchaîné », l’Inspection générale des Finances, sans refaire l’enquête du cabinet Ernst & Young, a confirmé à son tour en avril 2017 « que les règles de la commande publique n’avaient pas été respectées pour les prestations de cette manifestation ».

Voilà qui limite très sérieusement la portée des réponses d’Emmanuel Macron qui affirmait pendant la campagne des présidentielles « je n’ai pas pris connaissance de cela, mais je ne pense pas que ce soit mon ministère qui ait organisé un évènement sans appel d’offres ». En tout cas, avec la publication du rapport Ernst & Young par « L’œil Pour le Dire », le président de la République pourra en prendre connaissance d’un simple clic.

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