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Bonnets rouges : aucun gouvernement ne devrait céder au chantage de militants anonymes ou mal identifiés
©Reuters

Anonymous

Par la dimension qu'il a pris et le soutien populaire qu'il a acquis, le mouvement des "bonnets rouges" s'est obscurci. Y sont regroupées des factions de tous bords, certaines profitant de leur anonymat pour semer le désordre.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’annonce faite d’une aide de 3 milliards à Marseille constitue évidemment un rebondissement inattendu dans la crise bretonne. Alors que le temps et la raison faisaient leur œuvre dans l’opinion pour apaiser la sédition, le gouvernement a jeté encore un peu d’huile sur le feu pour raviver un mouvement improbable et dont les motivations sont difficilement acceptables non seulement par une majorité de Français, mais par une majorité de Bretons eux-mêmes.

Ces grossières et grotesques fautes de communication, tout entières imputables aux limites du personnage Ayrault, sont regrettables parce qu’elles compliquent le dénouement d’une crise régionale dont les tenants sont au fond plutôt simples.

Les Bonnets rouges sont un mouvement au carrefour de quatre séries historiques aux séquences différentes et dont la coexistence n’est pas durable.

Première série, extrêmement courte : l’exaspération des Français, et singulièrement des classes moyennes et des patrons de TPE ou de PME contre une méthode de gouvernement fondée sur le déni et l’enfumage permanent. De toutes parts, remonte le rejet viscéral de cette caste technocratique parisienne au pouvoir, qui peuple les cabinets ministériels et les allées des jardins gouvernementaux, et dont les travers se sont durcis depuis plusieurs années: refus d’entendre, certitude d’avoir raison, mépris pour les PME, pour les problèmes quotidiens, sectarisme social, langue de bois insupportable et défense pied à pied de ses privilèges et de l’immobilisme étatique.

>>>> Sur le même sujet : Mais qui sont les "bonnets rouges" qui mènent la fronde en Bretagne ?

Ce rejet viscéral explique pourquoi des chefs d’entreprise bretons que je rencontrais jeudi à Quimper, et qui jamais de leur vie n’auraient imaginé manifester dans les rues, appellent ouvertement à battre le pavé devant la préfecture. Ils ont face à eux un État qui veut décider de tout avec arrogance, mais qui ignore tout de la vie économique et du fonctionnement quotidien d’une entreprise.

Deuxième série historique, un peu plus longue: le déclin économique breton, qui est réel, mais largement imputable aux Bretons eux-mêmes. L’exemple de Doux est de ce point de vue particulièrement éloquent. Doux a fait faillite, en ruinant des milliers de petits agriculteurs bretons. Mais Doux a, pendant des années, perçu annuellement 65 millions d'euros de subvention de la PAC. Voilà donc une économie qui a vécu sur un modèle polluant, non durable, qui a fabriqué des produits bas de gamme à coups de subventions publiques, et qui se trouvent aujourd’hui contrainte à l’adaptation, comme avant elle le Nord ou la Lorraine.

Reprenons le taux de chômage par villes. On ne trouvera aucune ville bretonne parmi les plus touchées. Le chômage à Quimper, à Carhaix, à Morlaix, à Brest est partout à un niveau inférieur à la moyenne nationale. Ce n’est pas une consolation, mais aujourd’hui rien ne justifie que la Bretagne bénéficie d’un plan d’urgence là où la Lorraine ou le Nord ont longtemps été les grands oubliés d’un État dominé par des fonctionnaires venus du sud de la Loire (rappelons que le Nord ou la Lorraine sont des régions sous-administrées par rapport au Sud).

Troisième série historique, beaucoup plus longue: l’indépendantisme breton. Pour des raisons qu’on peut comprendre sans les partager, les Bretons se vivent comme un peuple étranger à la France, et injustement dominé par Paris. Nous retrouvons là le ferment des mouvements spécifiques à cette région, qui animent périodiquement l’histoire de France, à commencer par la Révolution dont l’un des faits les moins glorieux fut la brutalité avec laquelle les «bleus» y écrasèrent les «blancs».

Lorsque les manifestants de Quimper défilent au son du « A bas l’État jacobin », on voit bien que les bonnets rouges retrouvent soudain les accents qui déchirèrent l’Ouest dans la décennie 1790, à cause de la faiblesse de l’État central. Cette faiblesse revient, incarnée par une noblesse incompétente et courtisane au pouvoir. Changeons les gens au pouvoir, et la revendication bretonne disparaîtra.

Quatrième série historique, toute nouvelle: l’alliance tactique passée entre une multiplicité de forces locales pour bouter les Parisiens hors de Bretagne. Dans ce magma improbable, on trouve Christian Troadec, maire indépendantiste de Carhaix, homme de gauche qui a lutté becs et ongles pour le maintien d’un hôpital microscopique dans sa ville, et qui s’est désisté au second tour pour empêcher la victoire de candidats UMP.

Troadec fait alliance avec la FDSEA locale, truffée d’indépendantistes, mais grande amatrice de subventions publiques, européennes ou nationales - qu’importe ! Dans le mouvement des bonnets rouges, on trouve aussi les activistes de Jeune Bretagne, les nationalistes d’extrême droite admirateurs des mouvements frères en Europe, dont on voit mal quel projet ils peuvent partager avec Troadec, autre qu’une revendication indépendantiste de circonstance.

Tout ce fatras de circonstance a-t-il un avenir ? Il est évident aujourd’hui que peu de Bretons, notamment dans le tissu économique, suivront un mouvement qui dépassera des revendications fiscales pour remettre en cause le régime. Le gouvernement Ayrault, lui-même fortement occupé par des élus Bretons, a donc tout intérêt à segmenter l’opposition locale pour l’affaiblir et l’épuiser sans concession majeure.

Le gouvernement en a-t-il la capacité effective ? Il est très probable que ce pari soit à sa portée, mais ce sera probablement le dernier qu’il relèvera. L’équipe au pouvoir a manifesté, cet automne, son sous-dimensionnement vis-à-vis des exigences politiques imposées par les réformes à mener. Cette faiblesse a catalysé des mouvements que l’on croyait disparus, en particulier une fronde fiscale et des revendications régionales qui s’engouffrent dans le boulevard ouvert par le vide du pouvoir à Paris.

Les révolutions n’arrivent jamais en hiver. En revanche, on peut sans risque prédire un printemps chaud, voire torride, porté par les mauvais chiffres du chômage et les dégâts de l’austérité fiscale. Le gouvernement passera l’hiver, mais il ne passera pas l’été.

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