Black Lives Matter : ces millions de dollars donnés puis « détournés », nouvelles indulgences que s’offrent les Blancs riches en proie à la culpabilité<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants participent à un rassemblement dans le cadre du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis.
Des manifestants participent à un rassemblement dans le cadre du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis.
©GEORGE FREY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

BLM

Après la mort de George Floyd, la fondation Black Lives Matter Global Network a levé plus de 90 millions de dollars. Patrisse Cullors a confié que de nombreux dons venaient de personnes blanches se sentant coupables. Comment cette manne financière a-t-elle été utilisée ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : À la suite du meurtre de George Floyd, la fondation Black Lives Matter Global Network a levé plus de 90 millions de dollars. Dans une interview accordée au podcast américain Into America sur la chaîne MSNBC, Patrisse Cullors, l’une des dirigeantes du mouvement a avoué qu’un grand nombre de dons venait de personnes blanches se sentant coupables. Ces dons viennent-ils d’une certaine frange progressiste de la population ? Que cherchent ces personnes en faisant de tels dons ? Y a-t-il d’autres exemples de cela ? 

Guylain Chevrier :Dans cette interview, Patrisse Cullors, en vue d’expliquer des erreurs commises dans la gestion des sommes récoltées, a pris à témoin les millions de dons qui ont afflué, ce à quoi elle, comme d’autres dirigeants du mouvement, n’auraient pas été préparés. "Ce fut un choc majeur", a-t-elle déclaré, et l’a justifié en donnant une explication assez édifiante à cet afflux de dons : « C'était beaucoup d'argent de la culpabilité blanche. Il y a beaucoup de Blancs qui se disent : « Nous devons juste mettre l'argent ».

Si la condition des Noirs américains s’était améliorée selon des enquêtes d’opinion réalisées quelque peu avant que soit tué Georges Floyd par un policier, celle-ci a tout balayé. Un an plus tard, l’opinion travaillée par l’énorme émotion relayée par les réseaux sociaux et de nombreux journaux, avait largement fait basculer l’opinion de l’autre côté. Dans un pays alors très divisé, derrière ce qui peut apparaître comme une sorte d’hypocrisie d’un système dont les personnes noires sont les principales victimes, l’opportunité de surenchérir sur la culpabilité n’a pas été à aller chercher bien loin. Elle a ainsi été relayée par une campagne d’appel aux dons qui a connu un succès considérable pour les organisations du mouvement Black Lives Matter. C’était l’occasion pour des blancs « progressistes », pour lesquels la question des « minorités opprimées » est la grande cause, de participer à une sorte de rachat de la société américaine, un militantisme purificateur. Le besoin de déculpabilisation peut être un sentiment très puissant, y compris collectif, quasi cathartique. N’oublions pas non plus que cela est dans une certaine continuité avec la discrimination positive (affirmative action) qui a été la réponse choisie pour l’intégration des noirs dans la société américaine après la fin de la ségrégation, leur donnant des avantages supplémentaires par compensation. On s’est en quelque sorte débarrassé du problème de manière matérialiste, un peu comme avec les dons. Ce qui n’a rien réglé sur le fond de la question du racisme.

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En France même, on a vu apparaitre la pratique de réunions en non-mixité organisées dans le cadre du mouvement décolonial, où on retrouve cette même démarche de culpabilisation, comme le titre de l’un des ateliers du stage en non-mixité du syndicat SUD-Education 93 de 2017 l’énonçait : "Enseignant-e-s blanc-he-s : interroger nos représentations et nos postures dominantes". Mais si en France il n’y a pas eu de campagne et de mouvement de même ampleur qu’aux Etats-Unis, c’est bien parce que notre pays n’a jamais pratiqué de système de ségrégation, c’est-à-dire un racisme d’Etat, comme ce fut le cas outre-Atlantique. On n’a fait qu’importer en plaquant sur la France un modèle qui lui est heureusement étranger, même s’il y existe des discriminations, c’est sans rapport. En Amérique la police tue 13 à 14 fois plus qu’en France dans les interactions avec celle-ci. De plus, aucun des décès de cet ordre ne peut être dans notre pays défini comme intentionnellement raciste. Alors que les Noirs américains ne constituent que 14% de la population, ils représentent 34% des décès dans les interactions avec la police de leur pays.

Dans cette même affaire, 12 millions de dollars ont été dépensés pour l’achat de biens immobiliers et sa dirigeante a elle-même utilisé des fonds pour sa famille. Comment cette manne financière est-elle utilisée ? Des dérives existent-elles ? 

D’après certaines sources, Patrisse Cullors a été critiquée « pour avoir elle-même acheté quatre maisons haut de gamme », donnant une image quelque peu décalée avec la cause de BLM, qui défend particulièrement les noirs des quartiers déshérités, les plus en risques d’interaction avec la police. Elle aurait utilisé des fonds caritatifs pour payer des services divers à son frère et au père de son enfant, des sommes d’argent démesurées de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de dollars, selon des documents fiscaux vus par The Post.

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Jusqu'en 2020 explique-t-on, BLM était un projet politique travaillant à sensibiliser de nombreux Américains qui ne connaissaient que peu ou pas l'ampleur de la tension entre les Noirs américains et la police. Ce projet avait d’ailleurs bien avancé puisque, comme cela est rapporté, des sénateurs américains s’étaient emparés du problème : « Le sénateur Lindsey Graham a commencé à solliciter des propositions pour améliorer le maintien de l'ordre et lutter contre la « discrimination raciale concernant l'usage de la force ». Le sénateur Mitch McConnell a déclaré aux journalistes que "[nous] sommes toujours aux prises avec le péché originel de l'Amérique". Il est parfaitement clair que nous sommes loin de la ligne d'arrivée. Et lors d'un déjeuner pour les sénateurs républicains, Tom Cotton de l'Arkansas s'est levé et a déclaré : "Les jeunes hommes noirs ont une expérience très différente de l'application de la loi dans ce pays que les Blancs, et c'est leur impression et leur expérience". Ce qui rendait compte d’une certaine prise de conscience et de la sortie d’une opposition binaire sur le sujet, entre le point de vue des noirs et des blancs. En quelque sorte, BLM au moment où Georges Floyd a été assassiné, avait rempli une partie importante de sa mission. Mais cet événement tragique a fait reculer cette démarche, par-delà les grandes manifestations de soutien, BLM passant à une autre dimension qui lui a fait amasser une manne financière considérable, qui l’a en quelque sorte polluée, fait dériver semble-t-il aussi de ses buts.

La cible des critiques est qu'une plus grande partie de cet argent aurait dû aller aux familles des victimes noires de brutalités policières qui n'ont pas pu accéder aux ressources nécessaires pour faire face à leur traumatisme et à leur perte. On se remémorera ce qu’a déclaré le révérend T Sheri Dickerson, président d'une section BLM d'Oklahoma City et représentant du #BLM10, un groupe national d'organisateurs qui a publiquement critiqué la fondation sur le financement et la transparence. "C'est l'aspect le plus tragique (…) Je sais que certaines [des familles] se sentent exploitées, leur douleur exploitée, et ce n'est pas quelque chose avec lequel je veux être affilié".

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Dire qu’on a fait un don, ne l’oublions pas, peut aussi constituer une protection contre un moralisme « woke », terme anglo-américain censé désigner le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l'égalité raciale, au sens de la défense de « minorités opprimées », dont le sujet chasse celui des classes sociales, et est très agressif envers ceux qui ne s’y plient pas. Comme la « cancel culture » peut en rendre compte, cette pratique apparue aux États-Unis qui consiste à dénoncer publiquement, en vue de leur ostracisation, des individus, groupes ou institutions, non conformes à l’idéologie de ses militants.

La révélation sur la mauvaise gestion financière des fonds de Black Lives Matter Global Network témoigne-t-il d’un problème idéologique de ce type d’association. Les blancs progressistes alimentent-ils ces associations sans savoir ce qu’elles défendent réellement ? Quels buts recherchent-elles vraiment ? 

En fait, il semble que l’utilisation de ces fonds relève, pour les donateurs, d’une dimension émotionnelle, attachée plus à l’identité des destinataires qu’à la maîtrise de ceux-ci au regard de buts précis, politiques. Le fait de « donner » pour se déculpabiliser, met en mauvaise position au regard de l’exigence de contrôle sur la façon dont cet argent a été dépensé. D’ailleurs, c’est à l’image du fait que face aux révélations sur la mauvaise gestion financière de BLMGNF, on ne voit pas beaucoup d’indignation de la part de la « gauche américaine ».

On découvre aussi que, des personnes qui font aux Etats-Unis un don, sont susceptibles de financer des organisations très radicales. Par exemple, une organisation partenaire, le Movement for Black Lives, ou M4BL, très influente, appelle à « l'abolition de toutes les polices et de toutes les prisons », et à « la dépénalisation rétroactive, la libération immédiate et la radiation de toutes les infractions liées à la drogue et à la prostitution et des réparations pour l'impact dévastateur de la « guerre contre la drogue » et la criminalisation de la prostitution ». Les donateurs partagent-ils vraiment ce projet qui conduirait au chaos en servant les intérêts des gangs et du crime ? On notera que les manifestations de BLM sont parfois devenues violentes, avec des pillages et des incendies criminels.

Sur un plan plus culturel, sur le site Web de Black Lives Matter, dans la liste des revendications, on trouve le refus de « l'exigence de la famille nucléaire comme structure familiale prescrite par l'Occident en nous soutenant mutuellement en tant que familles élargies et « villages » qui prennent collectivement soin les uns des autres. » Est-il bien certain que les donateurs souhaitent encourager une telle fracture entre les Américains, un tel modèle de société, en versant leur obole à un combat censé être celui de la lutte contre les discriminations raciales concernant l'usage de la force par la police ?

Il y a eu indéniablement un effet Georges Floyd, qui a créé une émotion considérable, dont ont usé et abusé certains groupes pour introduire ce nouvel antiracisme qui n’est plus celui de la lutte pour l’égalité, mais qui a retourné les discriminations d’hier en « fiertés », pour revendiquer le statut de minorité et des réparations. D’où, certaines pratiques admises, comme celle de faire payer les blancs à l’entrée d’un événement Pride BLACK AND BROWN QUEER TRANS CENTERED, PRIORITIZED, VALUED, EVENT (Noir et Brun Queer Trans Centré, Priorité, Valorisé) à Seattle en juin 2021, « jusqu’à 50 dollars en « réparation », pendant que cela est gratuit pour BLACK AND BROWN Trans and Queer COMMUNITY". Une démarche qui ne peut qu'encourager l’Amérique à être encore plus fracturée, au risque d’affrontements.

Le mouvement BLM, en remplaçant un antiracisme pour l’égalité des droits par un antiracisme qui reproduit les mêmes concepts raciaux que ceux qui ont été combattus pour donner les droits civiques aux noirs, mais là tournés contre les blancs, s’éloigne des principes humanistes qui sont à bien des égards des garde-fou. Si la brutalité policière concerne plus particulièrement les noirs aux Etats-Unis, le sens qu’à pris ce mouvement ne sert que très mal des changements qui sont résolument à espérer. 

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