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Bertrand Cantat et les femmes : une folie meurtrière
©Reuters

Bonnes feuilles

10 ans après la mort de l'actrice Marie Trintignant sous les coups du chanteur Bertrand Cantat, Stéphane Bouchet et Frédéric Vézard enquêtent sur la relation fusionnelle du couple et le suicide de sa femme Kristina Rady. Extrait de "Marie Trintignant - Bertrand Cantat : l'amour à mort" (2/2).

Stéphane  Bouchet et Frédéric Vézard

Stéphane Bouchet et Frédéric Vézard

Stéphane Bouchet, reporter au Parisien en 2003, fut le premier journaliste français présent à Vilnius au lendemain des faits ; il dirige aujourd'hui une agence de presse audiovisuelle. Frédéric Vézard, également reporter au Parisien à cette époque, a couvert l'affaire, assistant notamment au procès de Bertrand Cantat en Lituanie. Devenu rédacteur en chef à l’Équipe, il est l'auteur de "La France des tueurs en série" (Flammarion, 2002).

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Mars 2009. Pour la première fois depuis le procès de Vilnius, Bertrand Cantat réapparaît en public. Et, signe troublant, c’est encore un événement funeste qui le ramène à la lumière. L’un de ses modèles artistiques, Alain Bashung, vient d’être emporté par le cancer. Cantat se rend à Paris pour assister à ses obsèques en l’église Saint-Germain-des-Prés. Les photographes ne le lâchent pas. Et saisissent des images préoccupantes : on y voit le chanteur de Noir Désir raser les murs de l’église, protégé par la silhouette imposante de Denis Barthe.

Ce regard de bête traqué, ces traits creusés rappellent étrangement Vilnius. La douloureuse disparition de Bashung n’explique pas cet air fantomatique. Le chanteur de Noir Désir va mal. En panne d’inspiration artistique, il est également miné par des difficultés affectives. Car Kristina Rady est en train de lui échapper. Le monde idéal qu’il imaginait retrouver après avoir payé sa faute est en train de s’effondrer. À cette période, les relations de Kristina avec son mari sont ambiguës et distendues. S’ils partagent des moments à Moustey avec leurs enfants, ils vivent le plus souvent chacun de son côté. Bertrand est obnubilé par son travail avec Noir Désir, Kristina navigue entre Bordeaux et Paris où elle s’occupe de la programmation du prochain festival rock de Sziget, qui se tiendra au mois d’août en Hongrie. Leur contrat paraît clair : on se retrouve autour des enfants, mais chacun est libre de vivre sa vie amoureuse. C’est ainsi que Kristina, lors d’un déjeuner professionnel, a fait la connaissance de François Saubadu. Celui-ci produit des spectacles musicaux, avec une prédilection pour les groupes sud-américains. Entre eux, les sujets de conversation ne manquent pas, le coup de foudre est immédiat. Quelques messages échangés, un rendez-vous et c’est une histoire passionnée qui commence. « Notre relation a duré trois mois, raconte aujourd’hui François Saubadu. Elle était très fusionnelle. Nous avons vécu ensemble dans ma maison du Cap-Ferret, parfois avec ses enfants. Kristina semblait très épanouie avec moi, comme soulagée de quelque chose. Parfois, elle m’emmenait dans son appartement de Bordeaux. Je détestais cet endroit. C’était rempli de souvenirs de Noir Désir, une sorte de musée morbide à la gloire du groupe, très sombre et plein de mauvaises vibrations. »

Ces « mauvaises vibrations » vont vite rattraper le nouveau couple. Kristina Rady informe le père de ses enfants qu’elle est amoureuse. Très vite, Cantat assaille son « rival » de coups de fil et de SMS. La crise de jalousie est intense. « Bertrand, raconte Saubadu, me disait qu’il aimait Kristina éperdument et que c’était terrible de lui faire ça, qu’il voulait se donner une chance avec elle après toutes ces épreuves. Il me harcelait. » Stupéfait, François Saubadu s’en ouvre à Kristina. Qui se confie à son tour : « C’est là que j’ai compris qu’il faisait la même chose avec elle, poursuit-il, et même… qu’il la terrorisait ! Elle a fini par me parler de violences physiques, du fait que ses enfants dormaient souvent chez des voisins à cause de leurs disputes, du fait qu’il la torturait psychologiquement. Elle me disait qu’il faisait des chantages au suicide, menaçant de s’ouvrir les veines si elle le quittait, et aussi qu’il surveillait son téléphone portable, à la recherche des messages que je lui envoyais. Elle a vécu l’enfer. »

Le récit de François Saubadu, qui relate des propos tenus en 2009, doit être considéré avec prudence. Cependant, les similitudes avec le comportement de Bertrand Cantat vis-à-vis de Marie Trintignant à Vilnius sont troublantes. Et la suite des événements va tragiquement confirmer cette impression.

Fin mai 2009, François Saubadu doit partir un mois en voyage professionnel à l’étranger. Il en profite pour mettre un peu de distance entre lui et Kristina. Leur histoire ne cesse de se compliquer, Kristina passe de plus en plus de temps avec ses enfants et Bertrand. À son retour en France, le 24 juin, l’amant éconduit la retrouve pourtant à Paris. Ils prennent ensemble un TGV pour Bordeaux. La jeune femme lui apparaît perdue, terriblement angoissée. Alors que le train approche de son terminus, elle demande à son ami de changer de wagon, craignant que Cantat ne l’attende à la gare et ne lui fasse une nouvelle scène de jalousie ! Une semaine plus tard, le téléphone de François Saubadu sonne. Il entend la voix bouleversée de Kristina lui expliquer qu’elle a eu, la veille, une violente dispute avec Bertrand Cantat et qu’elle s’est enfuie de leur domicile avec sa fille Alice. Son fils Milo se trouve alors en vacances à Munich, chez la soeur de Kristina. François Saubadu, qui n’est pas à Bordeaux, appelle un de ses amis bordelais, lui demandant d’aller chercher d’urgence Kristina et Alice et de les héberger provisoirement chez lui. Tout se passe comme prévu. Arrivée chez cet ami, Kristina Rady, en larmes, s’isole dans le jardin et compose le numéro de téléphone de ses parents, à Budapest. Mais Ferenc et Csilla Rady sont partis pour leur résidence secondaire, sur les bords du lac Balaton, au sud-ouest de la capitale hongroise. La messagerie se déclenche, puis le bip. Kristina se lance alors dans un long monologue en hongrois. L’enregistrement dure exactement sept minutes et trente-trois secondes. Parce qu’il jette un éclairage cru et précis sur la personnalité de Bertrand Cantat et sur le couple autodestructeur qu’il forme alors avec Kristina, le voici retranscrit dans son intégralité brute.

"Allô, salut maman, salut papa, c’est Cini [le diminutif de Kristina] qui parle… Ici beaucoup de choses se sont passées et des pas bonnes, c’est pourquoi je ne savais vraiment plus quoi vous dire, et donc je ne vous appelais pas, et après ça faisait si longtemps que je ne vous avais pas appelés que je n’osais même plus vous rappeler sans savoir que dire, comment vous expliquer la raison pour laquelle je ne vous avais pas appelés, le cercle vicieux, même quand on a quarante ans… Hélas, je n’ai pas grand-chose de bon à vous offrir, et pourtant il aurait semblé que quelque chose de très bon m’arrive, mais en l’espace de quelques secondes Bertrand l’a empêché et l’a transformé en un vrai cauchemar qu’il appelle amour. Et j’en suis maintenant au point – alors que j’avais du travail pour tout ce mois-ci, ce qu’il ne supporte pas – qu’hier j’ai failli y laisser une dent, tellement cette chose que je ne sais comment nommer ne va pas du tout [mot inaudible], mon téléphone, mes lunettes, il m’a jeté quelque chose, de telle façon que mon coude est complètement tuméfié et malheureusement un cartilage s’est même cassé, mais ça n’a pas d’importance tant que je pourrai encore en parler. « Mais… puisque nous avons donc décidé de revivre ensemble et que Bertrand, n’est-ce pas, est à nouveau amoureux de moi et ne peut vivre qu’avec moi, ce qui serait bien s’il était possible de vivre avec lui, mais on ne peut pas, et voilà… J’ai essayé et j’essaye de vivre de telle manière que je ne sois pas obligée de fuir, car soit il sera déjà trop tard pour fuir faute d’être encore en état pour le faire, soit je réunis mes forces maintenant et je m’enfuis avec Liszka [le diminutif d’Alice], mais sans même savoir où. Entre-temps, j’ai loué l’appartement à notre nounou avant-hier, donc à partir de juillet, mais de toute façon, nous ne devrions pas aller à Budapest, peut-être à Györök, que sais-je… Nous ne voudrions pas revenir vivre à Budapest, plutôt partir pour un autre pays, seulement, avec Bertrand dans un état aussi grave, on n’arrive pas à réfléchir la tête claire et, de peur, on ose à peine respirer. Ainsi, je ne sais pas, mais il est possible que nous apparaissions soudain pour rester un temps à Györök, et puis je repars en laissant là-bas Liszka, je ne vois pas comment faire autrement. Ensuite, avec un peu de chance, si j’en ai la force et qu’il n’est pas trop tard, je déménagerai dans un autre pays et je disparaîtrai simplement, car je dois disparaître, et j’enverrai quelqu’un pour récupérer mes affaires et me les transporter avec mon autorisation, je ne sais pas, tout simplement je ne sais pas comment je dois faire, je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire dans ces cas-là. « Mais je n’ai pas voulu vous parler de tout ça, naturellement vous pouviez deviner qu’une série d’événements encore plus regrettables que ceux de 2003 a eu lieu, car à l’époque cela ne m’était pas arrivé à moi, tandis que maintenant cela m’arrive, et déjà à plusieurs reprises j’ai échappé au pire, et puis c’est intenable, les enfants n’en peuvent plus, et Furi [le diminutif d’Andrea, sa soeur] était au courant, mais bien sûr il s’agit d’un énorme dérapage, je l’ai appelée peut-être deux jours après son anniversaire et elle m’a promis de ne rien vous dire, même si parfois c’est pire de fantasmer sur quelque chose que d’apprendre la vérité, mais vous ne sauriez imaginer pire que ma vision de la chose, et Bertrand est fou, il croit que c’est là le plus grand amour de sa vie et que, mis à part quelques petits dérapages, tout va bien. Et tout le monde, bien sûr, dans la rue le considère comme une icône, comme un exemple, comme une star, et tout le monde désire que pour lui tout aille bien, et après il rentre à la maison et il fait des choses horribles avec moi devant sa famille."

(...)

« Maman a fait une blague. » L’enfant, affolé, secoue son père. Bertrand Cantat, encore abruti par les somnifères, émerge brutalement de son sommeil. Nous sommes le dimanche 10 janvier 2010 à Bordeaux, il est presque midi. La veille au soir, Kristina Rady et Bertrand Cantat ont dîné avec des amis dans un restaurant du quartier de Nansouty où ils vivent dans une « échoppe », ces petites maisons caractéristiques de la capitale girondine. Le couple est rentré tôt car leur fils avait une compétition sportive le lendemain matin. Une vie de famille presque normale. Qui s’effondre atrocement lorsque Cantat pousse la porte de la chambre de Kristina, au premier étage.

La jeune femme s’est pendue avec une corde de hamac. Paniqué, il détache son corps, tente de la réanimer, puis alerte immédiatement les secours. Mais il est trop tard. Sordide impression que le cauchemar de Vilnius se répète. Quand les policiers, rejoints rapidement par un magistrat du parquet de Bordeaux, arrivent sur place, le chanteur est dans un état d’agitation épouvantable. Une infirmière doit lui injecter deux doses de calmants. Les enquêteurs inspectent la chambre de Kristina et découvrent, dans un cahier, deux pages griffonnées à la main dans lesquelles elle justifie son suicide. Puis Bertrand Cantat et son fils sont emmenés au commissariat central de Bordeaux, rue Castéja, pour y être interrogés. Ils en ressortent rapidement. Devant le bâtiment, des photographes de presse, alertés par leurs « sources policières », sont aux aguets. Ils captent l’image d’un Cantat hagard et hirsute. La même qu’à Vilnius. Encore.

Extrait de "Marie Trintignant - Bertrand Cantat : l'amour à mort", Stéphane Bouchet et Frédéric Vézard, (Editions l'Archipel), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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