TTU : les demandes très très urgentes venues de l'Elysée auprès de la DCRI (extraits de L'espion du président)<!-- --> | Atlantico.fr
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TTU : les demandes très très 
urgentes venues de l'Elysée 
auprès de la DCRI 
(extraits de L'espion du président)
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Espion en chef

Dans "L'espion du Président, au coeur de la politique Sarkozy", la Direction centrale du renseignement intérieure, loin d'être le FBI projeté à sa création, est décrite comme une officine instrumentalisée par son chef (Bernard Squarcini) au service de l'Élysée. Les extraits du livre d'Olivia Recassens, Didier Hassoux et Christophe Labbé.

Olivia Recasens - Christophe Labbé - Didier Hassoux

Olivia Recasens - Christophe Labbé - Didier Hassoux

Olivia Recasens et Christophe Labbé sont journalistes au Point.

Didier Hassoux au Canard enchaîné.

Ils ont coécrit tous les trois L'espion du Président (Robert Laffont, 2012)

Voir la bio »

"Quand vous avez un “TTU”, vous savez tout de suite que ça vient de l’Élysée (1). »

Le rendez-vous a été fixé une semaine plus tôt. Il a fallu appeler d’une cabine téléphonique avec un nom d’emprunt, et indiquer un horaire en intégrant une décote d’une heure. Par exemple 12 heures pour se retrouver à 11 heures dans une brasserie du quartier Saint-Lazare, à huit stations de métro du siège de la Direction centrale du renseignement intérieur.

En y entrant, Thierry croyait au « FBI à la française », à cette grande agence de renseignement promise par Nicolas Sarkozy. Il dit avoir découvert une boutique instrumentalisée par son chef au service du Château. « La politisation de Squarcini a déteint sur tout l’édifice. Tout est fait pour que vous ne sachiez pas sur quoi et pour qui vous travaillez vraiment.

Ce qui met la puce à l’oreille, c’est le degré de priorité apposé sur la demande papier. “U” pour Urgent, “TU” pour très urgent, jusqu’au “TTU” qui remontera à l’Élysée. Un TTU, vous laissez tomber tout ce que vous avez d’autre en chantier. Là où d’habitude vous avez une semaine, il faut répondre tout de suite. Parfois même, le commissaire attend à la porte de votre bureau… »

Chaque jour, les 3 000 agents de la DCRI produisent des centaines de « notes blanches ». « C’est comme les fameux “blancs” des RG, sauf qu’un code identifie le rédacteur. Ce n’est pas anonyme. » Toutes ces notes de renseignement remontent à flot continu vers l’état-major où s’activent une quarantaine de personnes. C’est ici, au huitième étage, que bat le cœur de la machine. Une immense pompe qui joue aussi le rôle de filtre. Lorsqu’une note blanche est jugée suffisamment intéressante pour l’Élysée, elle est « bleuie ». Il suffit par exemple qu’y apparaisse le nom d’un politique ami ou rival, d’un capitaine d’industrie ou d’un patron de presse.

Midi. Le niveau sonore dans la brasserie est à son maximum. Les clients des grands magasins viennent d’entrer comme une vague, bousculant les portes battantes. Encouragé par cet environnement bruyant, Thierry décoche : « Notre patron en intendant du Château, on le vit de plus en plus mal. Il ignore la plupart des missions en cours, sauf celles qui intéressent le politique, ou qui le concernent lui directement parce qu’elles touchent à la Corse, par exemple. Sa boutique, ce n’est pas la DCRI, c’est l’Élysée. »

Intendant du Château, Bernard Squarcini l’assume. Comme il l’a dit lui-même : « Si le président me demande un jour de refaire la tapisserie du fort de Brégançon, je le ferai (2). » Dès que les intérêts de la Firme sont menacés, il arrive avec sa boîte à outils.

Fin juin 2010, Georges Malbrunot, évoque dans un article du Figaro, sous le titre « Le business secret d’Israël dans le golfe Persique », l’achat par les Émirats arabes unis de drones israéliens. Rien d’inédit, le journaliste a repris une information ancienne, qui a déjà fuité dans la presse israélienne deux ans plus tôt. À ce moment-là, Serge Dassault, propriétaire du journal, est en pleine négociation pour la vente d’une soixantaine d’avions de chasse type « Rafale » aux Émirats, pour 6 milliards d’euros. Fureur de l’industriel, et de l’Élysée aussi, où l’on suit le dossier de près. Aussitôt, les services ont mené une enquête sur l’impertinent Malbrunot.

1. Entretien avec les auteurs le 24 avril 2011.

2. Nouvel Observateur, 20 novembre 2008.

La demande de renseignement a été soigneusement fractionnée pour que les agents chargés de la collecte d’informations en ignorent la finalité. Il est aussi probable qu’aucun d’entre eux n’ait su que leur patron est un ami d’Étienne Mougeotte, le directeur de la rédaction du Figaro, et qu’il lui arrive de voyager dans le Falcon 7X de Serge Dassault, en compagnie d’un autre de ses amis, le Franco-Algérien Alexandre Djouhri 2. Ce proche de Claude Guéant sert aussi d’intermédiaire à l’avionneur. « Squarcini est sollicité par les premier, deuxième, troisième cercles du Château, pour des choses qui n’ont souvent rien à voir avec l’intérêt de l’État. Demander une enquête à la DCRI fait maintenant partie des signes extérieurs de pouvoir, constate Thierry avec un sourire amer. Le renseignement n’était pas moins instrumentalisé avant, sauf que les petites manip’ entre amis se font désormais à échelle industrielle. À un niveau jamais atteint à l’époque Chirac ou Mitterrand. »

3. Voir « Monsieur Alexandre », p. 156.

A lire aussi :
Bernard Squarcini a-t-il développé une police politique en France comme le soutient un livre choc ? Quels éléments tangibles ? Interview avec les auteurs.

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Extraits de L'espion du président, au cœur de la politique Sarkozy, Editions Robert Laffont (19 janvier 2012)

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