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BHL : "Cessons de parler de "diabolisation" du FN, c'est un mot avancé par les Le Pen pour se victimiser"
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Pour Bernard-Henri Lévy, la droite républicaine doit mener une "lutte à mort" contre le FN, un parti dont il rejette "le ton de haine et de violence qui l’habite".

Bernard-Henri Lévy

Bernard-Henri Lévy

Philosophe de renom, Bernard-Henri Lévy est à la fois écrivain, cinéaste, essayiste et éditorialiste.

Politiquement engagé, il s'est exprimé notamment sur le conflit au Kosovo ou sur la guerre en Irak.

Il a signé le 16 mars 2011 le manifeste intitulé Oui, il faut intervenir en Libye et vite !, rédigé par plusieurs intellectuels et publié dans Le Monde.

Son dernier ouvrage, L'esprit du judaïsme est sorti aux éditions Grasset. Il a réalisé le documentaire Peshmerga, sorti dans les salles en mai 2016. 

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A lire sur le même sujet la tribune de Chantal Delsol : Interdire ou intégrer le FN à droite ? Il est trop tard pour se poser la question...

Atlantico : Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l'élection présidentielle. Dès 1986, vous évoquiez le danger de "banalisation du FN". Après le 21 avril 2002, vous disiez "Jean-Marie Le Pen est un fasciste". Invité ce lundi sur CNN, vous avez indiqué que la candidate du FN était entourée "de beaucoup de vieux nazis" et évoqué au sujet du premier tour un "vote incroyable pour un parti crypto-fasciste". En quoi le FN est-il, selon vous, crypto-fasciste ?

Bernard-Henri Lévy :Il l’est par sa rhétorique. Par ce ton de haine et de violence qui l’habite et qui ressort à la moindre occasion. Il l’est par la tonalité très « factieuse », par exemple, des attaques de Marine Le Pen contre le Président de la République. Mais il l’est aussi par ses thèmes, son substrat idéologique, qui sont les mêmes, à peu de choses près, et moyennant quelques habillages qui ne trompent que les naïfs, que du temps de Le Pen père. Et je ne parle même pas des gens, des entourages, des hommes et femmes qui gravitent autour du FN, et parmi lesquels vous trouvez tout de même des choses assez incroyables.

Par exemple ?

Un seul exemple. Il y en aurait tant d’autres – mais je ne vous en citerai qu’un. C’est un site qui s’appelle « Les Elégances ». Il est animé, semble-t-il, par un responsable régional du Front national dans le Nord-Pas-de-Calais. Et vous y trouvez, entre autres gracieusetés, une apologie de l’eugénisme, de la collaboration et de l’hitlérisme.Il y a une rubrique, en particulier, sur ce site, intitulée « L’Occupation c’était mieux avant ». C’est une série de pages avec, d’un côté, des images de l’Occupation, de la Collaboration, de l’hitlérisme, des Waffen SS, etc  et, de l’autre, des images de femmes en burqa, ou de Nicolas Sarkozy, ou de votre serviteur – et, chaque fois, le commentaire « l’Occupation c’était mieux avant »...

Ne faut-il pas distinguer le FN de ses électeurs ? 20% des Français sont-ils, selon vous, des crypto-fascistes ?

Bien sûr que non. Mais c’est l’éternel débat. Sans comparer l’incomparable, vous aviez, à la fin des années 1920 en Allemagne, puis, encore, dans les années trente, des analystes pour dire : « ne faut-il pas distinguer les cadres du parti nazi et ses millions électeurs ? Qui peut croire que 20, 30, 50, 90% des Allemands seraient ralliés aux thèses de Joseph Goebbels ? ». Littéralement c’était vrai. Et parmi les gens qui suivaient Goebbels dans son « Combat pour Berlin » (titre de son « Journal » des années 1920), il y en avait effectivement des tas qui le faisaient mollement, ou à moitié, ou du bout des lèvres, ou par cynisme, suivisme, tout ce que vous voudrez. N’empêche. Tout cela, tous ces sentiments  mêlés, tout ce précipité de grandes folies et de petites lâchetés, constituait un cocktail explosif, une machine de guerre terrifiante contre la République de Weimar, puis contre la démocratie.

"Libération" titrait en Une de ce mercredi avec une citation de Nicolas Sarkozy : « Le Pen est compatible avec la République ». En quoi le FN garde-t-il une spécificité en termes de rapport à la République par rapport à d'autres partis français ?

Je pense que c’est un Parti subtilement, mais profondément, anti-républicain. Et le fait qu’il soit, comme on nous le répète partout, « autorisé à se présenter et à présenter des candidats » ne change rien à l’affaire. Voilà un Parti dont les chefs s’affichent, ou se sont jusque récemment affichés, avec les antisémites Dieudonné et Soral. Voilà un Parti dont le Président d’honneur fait honneur à Faurisson quand, le lendemain de Noel 2008, il apparaît sur la scène du théâtre de la Main d’Or et, plus récemment, salue la mémoire de Brasillach. Voilà un Parti dont la Présidente, quand on lui demande si elle est prête à dénoncer Vichy et les crimes du pétainisme répond : « absolument pas ! je me refuse à dire du mal de mon pays ! ». Vous appelez ça un rapport normal à l’idée de République ?

Oui, mais les électeurs FN ? Qu’ont-ils à voir avec tout cela ? 

Pour vous dire le fond de ma pensée, j’en ai un peu assez du lieu commun répandu dans les médias sur la colère, la désespérance, la détresse des électeurs FN. En quoi la diabolisation de l’IVG, par exemple, est-elle le signe d’une désespérance ? Et le désir de revenir à la peine de mort ? Et le soutien à Kadhafi et aux dictatures arabes ? Et la haine des homosexuels ? Il faut arrêter avec ce discours débile. Le vote FN est un vote structuré. Construit. C’est, exactement comme le vote communiste autrefois, un vote qui a sa forme de positivité et qui sait, très précisément, ce qu’il fait.

Je vais vous dire mieux. S’il y a bien une caractéristique des votes « extrêmes », en France et ailleurs, c’est celle-ci. Ce sont toujoursdes votes structurés. Ce sont des gens qui savent, exactement, pour qui ils votent et pourquoi. Quand vous interrogez un stalinien hier, ou un frontiste aujourd'hui, le plus frappant est là : ce sont des gens archi branchés sur la politique, obsédés par les statistiques et par les chiffres, à l’affût des moindres informations, souvent délirantes bien sûr, mais qui vont dans le sens de leur folie. C’est un vote réfléchi. Ce n’est pas un vote d’exaspération ou de peur, c’est un vote absolument réfléchi.

Pourquoi ce parti serait-il moins démocratique ou moins républicain que d'autres partis d'extrême gauche opposés à la démocratie parlementaire, tels le NPA ou la LCR ou qu'Eva joly qui n'est guère dans la tradition républicaine lorsqu’elle propose un jour férié pour Kippour et l'Aïd-el-Kebir ? 

Pour l’instant, Eva Joly est sous les 3% ; Mélenchon, six points sous Le Pen ; et la LCR est une secte. Alors parlons, si vous voulez bien, des choses sérieuses. J’ajoute que, sans être le moins du monde partisan, c’est le moins que l’on puisse dire, ni du NPA ni d’Eva Joly, je me refuse à tout mélanger. Ni Mélenchon, ni Joly ne touchent aux fondamentaux de la République. Ni l’un ni l’autre ne sont opposés, que je sache, à la démocratie parlementaire.

La diabolisation est-elle le bon angle d'attaque vis-à-vis d'électeurs qui manifestement n'entendent pas ces arguments ?

Diabolisation n’est pas un mot à moi.C’est un mot avancé, habilement, par les Le Pen pour se victimiser. Ce que je crois, moi, c’est que le bon angle d’attaque est de dire aux gens qui votent FN ou qui sont tentés de le faire : « votre voix ne sera pas entendue ; vos candidats ne bénéficieront, dans le cadre des prochaines législatives par exemple, d’aucune alliance ou report ; voter FN c’est comme voter communiste jusqu’à la fin des années 1970 – voter pour rien, geler sa voix, se mettre en marge du fonctionnement normal des institutions, compter pour du beurre ». Le contraire de ce que certains semblent tentés de dire et de faire.

Quel bilan tirez-vous de trente ans de diabolisation ?

Je vous répète que je ne parle jamais de « diabolisation ».

Alors, quel bilan tirez-vous de trente ans de mobilisation ?

On ne fait jamais l’histoire des catastrophes évitées. Pour l’heure, la droite parlementaire tient bon. Et c’est heureux. Car, à la moindre défaillance, elle est morte. La droite fascisante de Marine Le Pen n’attend qu’un faux pas, un discours de compromis, un vague groupe de candidats à la députation annonçant que, dans le cadre d’une triangulaire perdue, ils considéreraient le candidat frontiste comme un moindre mal, pour tirer à vue et la détruire. N’oubliez jamais ce théorème qui est l’un des théorèmes du XX° siècle. Le grand adversaire de l’extrême droite, ce n’est jamais la gauche, c’est la droite. Ou, pour le dire autrement : c’est la gauche qui scande « le fascisme ne passera pas » ; mais c’est la droite qui, de fait, l’empêche ou non de passer. Regardez l’Histoire. Quand la droite libérale a tenu, le fascisme a été bloqué. Quand la droite libérale a composé, le fascisme est passé.

Que pensez-vous des résultats du mouvement anti-raciste ? Celui-ci s'est-il révélé finalement contre-productif en étouffant tout débat sur l'immigration sous des accusations de racisme ? 

Vous trouvez, vous, que ce débat a été étouffé ? L’invention, en 2007, de ce « ministère de l’identité nationale et de l’immigration » que j’ai fermement dénoncée... La faute du discours de Grenoble... Ou la théorie de la gauche sur les « bonnes questions » et les « mauvaises réponses »... Tout cela ne témoigne pas, je trouve, d’une censure outrageusement pesante sur ces questions d’immigration...

Nicolas Sarkozy avait réussi à faire reculer le Front national jusqu'à 10,44% en 2007. Comment expliquez-vous ce rebond de 2012 ?

Par la banalisation des thèses du FN. Et la campagne de premier tour, à mon avis, beaucoup trop complaisante. Comment voulez-vous, quand on reprend ses thèmes, que Marine Le Pen ne pavoise pas en disant : « Vous  voyez ? Si même nos plus irréductibles adversaires reprennent nos thèmes, ça prouve qu’on avait raison ! » ?

Le "combat politique" contre le FN doit-il évoluer, voire changer de nature ?

Il doit se durcir. Et, en particulier dans la famille politique dont vous êtes, à Atlantico, proche. Car, entre vous et eux, entre la droite républicaine et les factieux, je vous répète que c’est la lutte à mort. Je dis bien à mort. Ce sont des gens qui ont tenté, jadis, de tuer le Général de Gaulle. Ce sont les mêmes, ou leurs héritiers, qui vont tenter aujourd'hui de tuer symboliquement Sarkozy et de faire imploser, de discréditer de mettre à genoux, les droites traditionnelles.

Vous me direz que ce n’est pas mon affaire, puisque cette droite traditionnelle n’est pas ma famille et que ce n’est pas pour son candidat que je vote ?Eh bien si, justement. C’est l’affaire de tout le monde. Voir une femme qui fait huer des noms juifs dans ses meetings, qui valse avec des néonazis à Vienne et qui s’entoure, à Paris, d’authentiques cryptofascistes, mener le jeu à droite, ce  n’est une bonne nouvelle pour personne. Pendant des décennies, j’ai invité la gauche à maintenir la « barrière d’espèce » entre la gauche totalitaire et la gauche social-démocrate – et ce combat, d’ailleurs, est peut-être moins gagné qu’il n’y paraissait. Eh bien c’est la même chose à droite : il y a la même « barrière d’espèce » entre la droite antidémocrate de Marine Le Pen et la droite centriste ou UMP – et faire sauter cette barrière d’espèce, faire comme s’il s’agissait de deux variétés de la même espèce et se laisser par exemple, les lendemains d’élection, au geste apparemment anodin qui consiste à additionner les deux électorats, voilà la pente fatale.

Désormais, la gauche doit-elle suivre une ligne mesurée telle que celle engagée par François Hollande qui envoie de discrets signaux aux électeurs du FN ou suivre la tendance engagée par Benoit Hamon qui parle de "xenophobie" et d' "islamophobie" chez les électeurs du FN, voire d'Eva Joly parlant de honte pour la France en évoquant le score de Marine Le Pen au premier tour ?

Ce sont les seconds qui ont raison. Je n’ai aucune sympathie, je vous le répète, pour Madame Eva Joly. Mais c’est vrai que ce score lepéniste est un score qui fait honte.Alors, après, les « discrets signaux » envoyés aux électeurs du FN ? Je n’aime pas ça non plus. Je pense que c’est une autre erreur. Mettez-vous, une seconde, dans la tête d’un de ces électeurs FN voyant s’agiter, autour de lui, tout ce ballet de prétendants, toutes ces attentions, ces prévenances, ces signaux plus ou moins discrets, ces analyses à n’en plus finir, ces appels du pied dans tous les sens. Il se dit quoi, l’électeur en question ? Qu’il a drôlement bien fait de voter FN. Et qu’il faudra, la prochaine fois, le faire plutôt deux fois qu’une et être, si possible, encore plus nombreux à le faire. Voilà où il en est. Voilà où nous en sommes. 

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

A lire sur ce même sujet, l'interview de Malika Sorel : 
30 ans de diabolisation du Front national, pour en arriver là...

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