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Benalla, un caprice (d’Etat) de Jupiter
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Fait du prince ?

L’affaire Benalla est plus grave qu’une affaire d’État, c’est un caprice d’État.

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Si le Monsieur sécurité de Macron était intervenu pour se défendre, il n’y aurait pas eu d’affaire du même nom. Si le conseiller casqué avait neutralisé un terroriste, personne ne se serait soucier de légalité bafouée et de brassard usurpé. Et s’il était agi d’un véritable policier, nous aurions été dans le cas d’une banale bavure.

L’État est dans son rôle lorsqu’il fait usage de la force. Cependant, comme l’a justement rappelé un syndicaliste de la grande Maison, lorsqu’un policier frappe un homme à terre, il déshonore sa profession.  Et lorsqu’un faux policier, envoyé et couvert par la présidence se rend coupable d’une telle iniquité, n’est-ce pas le chef de l’État qui se déshonore ?
L’affaire Benalla n’est pas seulement liée au recours disproportionné et illégal à la force mais surtout à son usage parfaitement illégitime. Rapide retour en arrière.
Le directeur adjoint du cabinet de l’Élysée, alors en congés, sollicite l’autorisation de se rendre comme observateur dans une manifestation.
Qui accède à sa demande et pourquoi ? Est-ce un geste de militance ou de dévouement à l’égard du « Chef » ?
Qu’Alexandre Benalla obtienne cette autorisation constitue une première anomalie.
Vient alors le scandale : le missi dominici du château profite de sa présence sur le terrain pour se défouler. Passer à tabac une femme lorsque l’on a un casque, quelle bravoure !
Il est reconnu et filmé. Aussitôt, il prend la fuite. Quelle exemplarité !
Un conseiller du président usurpe la qualité d’agent détenteur de la force publique et s’en prend des manifestants désarmés : c’est gravissime. Mais alerté de l’existence d’actes aussi graves et pénalement répréhensibles, l’Élysée tente d’étouffer l’affaire, voilà qui est ahurissant.
La légèreté de la sanction infligée à Benalla est également incroyable. Les privilèges qui lui sont accordés postérieurement à ses « galipettes » ne le sont pas moins : un véhicule digne d’un haut fonctionnaire de police, un traitement mirobolant et un logement de fonction quai de Branly. Et puis sa présence surréaliste dans le bus des Bleus : Notre lieutenant-colonel était-il encore en congés ce jour-là ou bien Macron a-t-il évité de creuser le déficit en faisant appel à un réserviste ?
Tout dans cette histoire transpire le rocambolesque. Le Président de la République confie à un non professionnel sa sécurité et celle de sa famille, c’est déjà baroque. Mais que l’Élysée intervienne auprès de la Préfecture pour que l’on délivre un port d’arme à l’ancien chauffeur d’un Ministre (Arnaud Montebourg), congédié parce qu’il voulait prendre la fuite après avoir provoqué un accident, est stupéfiant.
A titre de comparaison, pour être autorisé à accéder à des informations sensibles, il faut faire l’objet d’une enquête de sécurité du DPSD ou de la gendarmerie qui dure plusieurs mois et peut aller jusqu’à mobiliser le réseau de nos ambassades.
Au-delà de l’amateurisme, c’est le favoritisme et le fait du prince qui sidèrent.
C’est parce que Benalla est proche du château que des passe-droits lui ont été octroyés. C’est parce qu’il est un membre du cercle rapproché que l’on n’ose rien lui dire. C’est parce que l’on a peur de déplaire au monarque qu’on laisse faire.
Il est peu probable qu’un lien amical ou affectif relie Emmanuel à Alexandre.
Le plus plausible et ce qui serait finalement le plus édifiant, c’est que le petit Prince de l’Élysée soit intervenu parce que tel était son bon plaisir.
Pas touche pas à mes gens !
Autrement, il n’y aurait aucune raison pour que ce patron autoritaire laisse un membre de sa garde prétorienne violer la loi et la morale publique.
Pour une parole de trop, le chef d’État-major s’est fait démissionner.
Même le précédent locataire de l’Élysée, que l’on appelait méchamment Flamby, n’a pas hésité une seconde à congédier son conseiller politique accusé, sans doute à tort, d’avoir fait cirer ses souliers au Palais.
Et encore Aquilino Morelle jouait un rôle essentiel dans le dispositif Hollande.
Benalla, lui, semble n’être qu’une sorte de videur de boîte de nuit égaré au Palais. Un gars qui a confondu Scarface et la Cinquième République, alors comment expliquer l’indulgence coupable de Jupiter à son endroit ?
On se trompe en parlant d’affaire d’Etat au sens de l’assassinat de Ben Barka, du Rainbow Warriors ou des Irlandais de Vincennes. Durant ces déplorables épisodes, le pouvoir exécutif avait bafoué la loi au nom de la raison d’État. Des enjeux politiques graves, justifiés ou pas, c’est un autre débat, commandaient aux dirigeants de sortir de la légalité au nom des intérêts supérieurs de la nation. Ici, rien de tel. Il s’agit vraisemblablement pour le Président d’une République qui se voulait exemplaire de défendre un coquin et un copain. Finalement, c’est pire qu’un crime comme l’aurait dit Talleyrand, c’est une erreur.
Comme le révèlent l’affaire des costumes de François Fillon, celle des diamants de Bokassa ou encore du collier de la reine, les Français ne pardonnent jamais au pouvoir son caprice privé.
La seule grâce dont ce Président bénéficiait et qui vient de s’évaporer, c’était d’incarner dignement, sobrement et élégamment sa fonction.
Sans doute une grande majorité de nos concitoyens n’étaient pas d’accords avec la politique de Macron mais nous étions nombreux à lui être reconnaissants d’avoir restauré l’image de la France.
Le jeune quadragénaire était fringuant et volubile mais aussi impérieux voire provocateur mais soucieux de redorer le blason de la République.
On se souvient de ses premiers pas, solitaires et graves, dans la cour du Louvre. On se rappelle de l’accueil grandiose et impeccable du tsar Poutine dans le salon des batailles, à Versailles. La séduction de Trump ébahi par autant de soldats et de tanks défilant sous ses yeux de grand enfant était également une indéniable réussite. Et cette photographie d’un amateur de foot en chemise laissant éclater sa joie de voir son équipe marquer était parfaite. Et pourtant ces images, si flatteuses, semblent si lointaines à présent.
La séquence d’un collaborateur du président qui après avoir battu comme plâtre des manifestants inoffensifs se sauve comme un voleur vont durablement et peut être définitivement ternir la réputation de Macron.
Tout est symboliquement et politiquement d’une incroyable violence dans ce que symbolise l’inconduite de Benalla. Ce super garde du corps, émargeant à 10 000 euros par mois et logé aux frais de la princesse, était jusqu’à peu protégé par un président prompt à fustiger les privilégiés.
Des manifestants défilent le premier mai pour défendre le service public. Et un proche du Président les tabasse.
Ce marcheur des premières heures, au coup de matraque facile, frappe des citoyens inoffensifs. « En même temps », sur des pans entiers du territoire, d’autres citoyens sont abandonnés à leur triste sort et doivent baisser la tête car des petits caïds tiennent leur hall d’immeuble.
Et qu’est-ce que l’État sinon le monopole de la force légitime ? L’image de Benalla, c’est celle d’une violence d’autant plus inacceptable qu’elle semble avoir été minorée voire couverte par copinage.
Emmanuel Macron vient de l’apprendre à ses dépens : qui vit par l’image meurt par l’image.

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