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Les banques sont-elles donc en si mauvais état qu’elles ne sont plus capables de financer l’économie ?
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Pas prêteuses...

Depuis décembre, le montant des sommes déposées par les banques de la zone euro auprès de la Banque centrale européenne va de record en record, pour atteindre 485,898 milliards d'euros entre mardi et mercredi. Comment expliquer que les banques préfèrent placer auprès de la BCE, malgré un rendement plus faible, plutôt que d'investir sur les marchés ?

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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Le pari des dirigeants européens lors du sommet du 9 décembre semble avoir été perdu. La forte demande pour l'opération de financement à 3 ans mise en place par la BCE (qui s'est conclue par l'octroi de 500 milliards d'euros de prêts à des conditions avantageuses aux banques de l'eurozone) s'est traduite par le gonflement des dépôts auprès de la Banque centrale. Le "Merkozy trade" devait pousser les banques à emprunter à 1% pour prêter aux Etats de la zone euro à des taux supérieurs. La réalité est très différente, les banques semblent préférer réinvestir les liquidités dans les coffres de la BCE, à des taux plus faibles (et au passage perdre de l'argent), au lieu de réouvrir le marché interbancaire, investir dans les dettes des Etats ou relancer le crédit à l'économie.  Quelles peuvent être les raisons d'une telle décision, qui semble irrationnelle au vu des différentiels de taux d'intérêts ?

Il est difficile, dans des conditions de marchés financiers disloqués, d'envisager une réponse unique à cette question. Cependant nous proposons quatre pistes de réflexion qui devraient se confirmer (ou être infirmées) dans les prochains mois et trimestres, selon le développement des solutions mises en œuvre par les gouvernants de l'eurozone pour sortir de la crise la plus grave que la zone monétaire n'ait jamais connu.

La première raison de cette défiance des banques peut être issue de la crainte sur leurs capacités à refinancer leurs dettes arrivant à échéance à court ou moyen terme. En effet, les banques doivent refinancer leurs activités dans un contexte où les investisseurs craignent l'accroissement des pertes et la réduction du champs des investisseurs (les fonds américains ont limité drastiquement leurs prêts en dollar dès cet été). Récemment, le gouvernement Rajoy a annoncé la nécessité d'un effort de provisionnement significatif de la part des banques espagnoles pour couvrir les pertes futures sur les créances immobilières. Un effort de 50 milliards d'euros a été annoncé par le nouveau ministre des Finances.

Ces nouvelles provisions pour créances douteuses constituent autant de pertes qui viendront crever la solvabilité des banques, d'ores et déjà mise à mal par la nécessité d'un renforcement des fonds propres, consécutive à l'introduction des nouvelles normes bâloises. Le régulateur européen avait estimé un besoin de fonds propres de plus de 100 milliards d'euros d'ici à fin juin, pour que les banques européennes puissent respecter les nouvelles exigences réglementaires mises en place à la suite de la crise financière de 2008.

La seconde justification réside dans la préparation des banques à constituer un matelas de liquidités en vue de l'introduction à horizon 2019 de contraintes sur la liquidité. Les banques devraient, au vu des exigences de la norme Bâle III, disposer de liquidités suffisantes pour faire face à des exigences à court et moyen terme. Ces exigences de liquidités ne sont pas encore totalement arrêtées. Cependant, il est fort à parier que les banques qui ne disposeraient pas de liquidités investies dans des actifs sûrs (sans risques) seront attaquées par les investisseurs, ce qui pourrait à terme se traduire par des faillites (dans un scénario similaire à la débâcle de la banque Lehman Brothers, qui a souffert en septembre 2008 de rumeurs incessantes sur ses liquidités, faisant sombrer  cette banque dans l'abîme). Les banques ne peuvent plus se permettre d'investir leurs liquidités dans des titres d'Etats (considérés dans le récent passé comme des investissements sans risque) sans s'attirer les foudres des investisseurs, qui considèrent depuis l'été 2011 les dettes des Etats de l'eurozone (exception faite pour l'Allemagne, pour le moment) comme de nouveaux actifs toxiques.

Les déclarations récentes de la FED sur sa future demande aux banques de fournir des informations sur leurs expositions aux dettes souveraines de la zone euro est en soit un constat de la sortie de ces actifs du paradis des actifs peu risqués. Les banques privilégieraient le dépôt à la BCE en considérant cet investissement comme le seul dans la zone euro qui bénéficie du statut d'actif sans risque, compte tenu de la garantie solidaire des Etats membres pour assurer la solvabilité de la Banque centrale.


La troisième raison réside dans la disparité de l'évaluation des risques. Dans une tribune récente publiée dans le Financial Times, Vikram Pandit, CEO de Citigroup, constatait à juste titre la disparité des publications de besoin de fonds propres par les banques. Le même risque ou le même actif est vu différemment en terme de risque selon l'institution financière qui effectue cette évaluation. Cette différence contribue à la cacophonie sur la réalité des risques pris par les banques, et conséquemment sur la solvabilité de celles-ci. Le manque de comparabilité de la solvabilité des banques contribue à attiser les craintes sur leur capacité à honorer leurs créances vis-à-vis des institutions prêteuses.

Les banques se tournent alors vers la BCE pour placer leurs excédents de liquidités ou privilégient des opérations de crédit avec nantissement
(opérations qui ont quasiment remplacé le marché interbancaire) pour réduire leur risque, surtout que ces institutions ne se font plus confiance. Les banques semblent avoir perdu confiance aussi bien dans les régulateurs, pour établir un référentiel stable et juste, que dans les agences de notation, pour évaluer convenablement les risques de contrepartie, après la débâcle des notations des produits structurés notamment.

Une dernière raison consiste dans la mise en place d'opérations spéculatives qui empruntent en euro (dont les taux sont supposés rejoindre le peloton américain, britannique et japonais dans le clan des économies avec des taux d'intérêts à zéro) pour investir dans des pays où les taux d'intérêts et le rendement financier sont plus élevés (en particulier en Australie ou dans les pays émergents).
Ce type d'opération a contribué  à la faiblesse du yen, durant les douze dernières années et à la mise en oeuvre de la déflation au Japon durant cette période.

Ces pistes de réflexion tournent toutes autour de trois axes : transparence, solvabilité et homogénéité. La situation délicate dans laquelle entrent les pays européens (une récession devenue de plus en plus probable en 2012 au vu des dernières statistiques, notamment chez le meilleur élève de l'eurozone, qui a publié mercredi une baisse de sa croissance au quatrième trimestre 2011) semble exiger de manière urgente la mise en œuvre :

1°. d'une meilleure transparence sur la réalité des risques dans les banques,

2°. d'une réforme en profondeur des mesures de risques, de telle sorte que celles-ci soient homogènes et compréhensibles par tous les opérateurs financiers,

3° d'une plus grande pénalisation des mécanismes de détournement des politiques monétaires, qui ont fait l'inefficacité des plans de relance monétaire mis en place aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon.

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