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Baisse du plafond du quotient familial : pourquoi le gouvernement ne fait pas vraiment le choix de la justice sociale
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Abnégation

La baisse du plafond du quotient familial choisie par le gouvernement va entraîner une hausse d'impôts pour 12% des ménages avec enfants.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Après de nombreuses tergiversations, le gouvernement Ayrault vient d’annoncer plusieurs mesures visant à restaurer le compte financier de la branche famille. La mesure phare est une baisse du plafond de réduction d’impôt induite par le quotient familial (QF). Après avoir ramené ce plafond de 2.336€ à 2.000€ par demi-part en 2012, le gouvernement  a décidé d’aller plus loin en le réduisant à 1.500€ pour les revenus de 2013. Le principal objectif annoncé est une plus grande solidarité entre les ménages avec enfants. En bref, les familles « riches » vont devoir payer pour les familles « pauvres ». Bien que séduisant, cet argument de solidarité verticale n’est pas suffisant. En effet, la mesure est contestable car cette baisse du plafond va indéniablement accroître les inégalités entre les familles avec enfants et les ménages sans enfant. Au nom d’un principe de justice sociale, le gouvernement a choisi d’en sacrifier un autre : la solidarité horizontale.

Les inégalités de revenus entre les familles avec enfants sont indéniables. Les principales façons d’y remédier sont connues :

i)        L’impôt sur le revenu (IRPP) est progressif et a la particularité d’appliquer un taux d’imposition moyen croissant avec le revenu.

ii)      Les prestations sociales peuvent être versées sous condition de ressource (allocation de rentrée scolaire, allocation logement, etc.). Toutefois, les plafonds de condition de ressource ont le principal inconvénient d’induire des effets pervers de seuil.

iii)    Le QF est un socle important de la solidarité horizontale puisqu’il permet de corriger les inégalités de taille des familles dans le calcul de l’IRPP.

Mais il existe aussi de nombreuses inégalités de revenu entre les familles avec enfants et ménages sans enfant (les travailleurs seniors ou les retraités par exemple).

L’application d’un plafond de réduction d’impôt du QF induit qu’au-delà du plafond les enfants ne comptent plus. Les familles sont alors marginalement  taxées de la même façon que les ménages sans enfant (les seniors par exemple). A partir de ce seuil, le principe de solidarité verticale (redistribution des ménages sans enfant vers les familles nombreuses) est rompu.

Abaisser le plafond amplifie ce phénomène et plus de familles vont être touchées. Désormais, une mère d’un enfant qui percevrait le même salaire mensuel net de 2.700 € que son mari supportera un taux marginal d’imposition identique à celui d’un célibataire sans enfant ayant le même salaire. Dans la mesure où de nombreuses études montrent que l’offre de travail des femmes est souvent plus sensible aux taux marginaux d’imposition que celles des hommes, il est à craindre qu’avec la baisse du plafond, les mères de famille qualifiées soient moins enclines à travailler plus pour obtenir des promotions et des augmentations de salaire.

Et pourtant, bon nombre de ces familles ne sont pas nécessairement « riches » en termes de pouvoir d’achat. En effet, les différences de pouvoir d’achat sur le territoire français sont considérables selon qu’on travaille et habite au cœur d’une grande agglomération (Paris, par exemple) ou dans une ville moyenne de province. Un couple avec un enfant, habitant à Paris et gagnant plus de 5.400 € par mois, débourse souvent un loyer ou un remboursement d’emprunt très élevé pour une faible surface d’habitation. Sans compter, que ces revenus sont généralement le résultat de deux salaires. L’activité des deux parents se traduit par une absence du domicile qui nécessite toujours de multiples frais supplémentaires d’éducation, de loisir et de garde des enfants. La nouvelle réduction du plafond de QF va indéniablement peser lourdement sur la consommation des familles.

Un plus juste choix pourrait consister à soumettre à l’impôt sur le revenu l’ensemble des prestations familiales. Le principe de prestation universelle des allocations familiales ne serait que partiellement remis en question car la prestation continuerait à être versée uniformément. Cette mesure permettrait d’augmenter les recettes de l’Etat sans créer une injuste distorsion de traitement fiscal (disparition du QF au-delà d’un plafond) entre les ménages avec enfants et ceux sans enfant.

Ensuite, pour résorber plus amplement une partie les déficits publics et en particulier celui de la branche famille, il est aussi possible de s’appuyer sur une hausse de l’impôt sur le revenu via une augmentation des taux marginaux conjointement à une suppression de l’abattement de 10% pour frais professionnels sur les pensions de retraite (recommandation de la Cour des comptes de septembre 2012 avec un gain estimé à 2,7 milliards d’euros, ce qui correspond approximativement au déficit de la branche famille). Là encore, le principe de redistribution horizontale ne serait pas affecté. Bien au contraire, il serait renforcé dans la mesure où l’abattement pour frais professionnel pour des personnes qui ne travaillent plus paraît difficilement justifiable.

Par ailleurs, d’un point de vue politique, le signal adressé à nos concitoyens peut sembler difficilement compréhensible. En juillet 2012, la première mesure du gouvernement a été de demander aux actifs de faire un effort (augmentation des cotisations retraite) pour financer une hausse des dépenses de la branche vieillesse liées à un retour à la retraite à 60 ans pour les carrières longues. Un an plus tard, un nouvel effort est demandé, mais cette fois, aux seules familles pour financer la famille... D’un point de vue générationnel ces choix ne sont pas neutres. Il aurait probablement été plus judicieux de faire l’inverse : demander à la branche vieillesse de s’autofinancer et soutenir la branche famille par une hausse des cotisations. En effet, dépenser pour la famille, c’est également investir dans l’avenir.

Si aujourd’hui, la branche famille coûte plus cher, c’est aussi le résultat d’une hausse du taux de fécondité. En 15 ans, le taux de fécondité a augmenté de 12,5% (2,01 enfants par femme en 2011 contre 1,75 en 1996) et le taux d’emploi des femmes âgées de 25 à 49 ans a augmenté de plus de 5 points (76,4% en 2011 contre 71,1% en 1996). Puisque la politique familiale française semble efficace pour encourager la maternité et maintenir les femmes dans l’emploi, pourquoi une telle remise en cause de notre modèle de politique familiale ?

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