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Bail-in des banques fragiles, le remède qui était pire que le mal : pourquoi toucher aux dépôts bancaires est une décision extrêmement dangereuse
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Apprentis sorciers

L’insolvabilité des gouvernements met les banques en faillite, tandis que l’insolvabilité des banques, par le transfert des dettes et le soutien apporté, met les gouvernements en faillite également. D’où l’idée qui consiste à briser le couple en introduisant un tiers payant, qui n'est autre que les simples déposants.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Cet article a également été publié sur le Le blog A Lupus un regard hagard sur Lécocomics et ses finances

Ils sont arrogants, prétentieux, irresponsables, mais le pire c’est qu’ils sont incompétents. Il faut être singulièrement prétentieux pour dire comme Barnier l’a fait la semaine dernière que c’était un jour historique, que "les bail-out publics étaient une pratique du passé". Les Maîtres non élus et non fiscalisés de la Commission Européenne ont décidé, pour résoudre les futures crises bancaires, de se donner le droit de confisquer jusqu’à 8 % des dépôts des citoyens arguant du fait que le dépôt dans un compte bancaire est en fait un prêt à cette banque. Le déposant est un créancier comme les autres, juste un peu plus faible, juste un peu plus vulnérable. On appelle cette possibilité de confiscation, un bail-in, par opposition au bail-out qui lui, est assuré par des fonds extérieurs à la banque. 

A lire également :Alerte rouge du Jeudi 12 Décembre 2013:  Banques, la spoliation des déposants est décidée, un accord historique! Par Bruno Bertez

Ainsi donc nos zozos croient faire l’Histoire! Ils croient que leurs  artifices techniques à la petite semaine peuvent transformer le plomb en or et l’eau des égouts en eau claire. Pauvres d’eux ! Ils tombent dans la même illusion que les génies du subprime, ils croient que l’on peut fabriquer du solvable avec de l’insolvable et qu’il suffit de faire un peu de technique monétaire et financière pour changer la réalité de la déconfiture. Les alchimistes des prêts subprime, de la "junk" du logement  américain ont eu beau faire, malgré les modèles mathématiques, les calculs de probabilités et les pseudo mesures de risque, l’édifice s’est effondré. On a eu beau faire des cantonnements, des tranches, des assurances, rien n’y a fait , la poids du réel a fait s’effondrer ces constructions. 

Tout cela fait penser au réaménagement des chaises sur le pont du Titanic, un peu plus sur la droite, un peu plus sur la gauche et pendant ce temps le navire file droit sur  l’iceberg. On n’échappe pas à la pesanteur des dettes. Ou qu’il soit,  le mistigri, il est là dans le système et c’est quelqu’un, une classe sociale, une institution qui doit le porter. Et dans un monde global, corrélé, interconnecté, il n’y a jamais ségrégation du risque voilà ce que nos incompétents ignorent. A ce niveau le risque est total, global ; peu importe celui qui le porte, cet aspect ne joue que sur le calendrier. De la même façon dans le monde réel, le risque n’est jamais un chiffre, c’est un événement. On a beau assurer, il faut toujours se poser la question , mais qui assure les assureurs? On a beau spolier, il faut toujours se poser la question, mais qui va assurer la croissance si on prélève sur ceux qui sont censés l’assurer. L’imbécillité de l’austérité, à laquelle il a fallu renoncer, n’a pas suffit, elle revient sous une autre forme, avec des bretelles et des moustaches. 

Le rêve de ces incompétents depuis 2010 est de découvrir la pierre philosophale, le Saint Graal qui permettrait de mettre la construction européenne et les Etats souverains à l’abri des crises financières d’une part et bancaires d’autre part. Ils veulent éviter l’enchaînement logique, organique, dialectique inéluctable: difficultés financières de l’ensemble que forment les souverains, les marchés, les banques égale crise totale avec remise en cause de la construction européenne, de l’ euro.

Avec remise en cause de leurs voitures avec chauffeurs, logements de fonctions, spéculations secrètes d’initiés, revenus sans impôts, passe droits multiples…plaisirs furtifs et honneurs immérités. 

Peu importe que tout soit lié, le monde peut s’écrouler ce qu’ils veulent c’est préserver leur édifice, le leur. Que les sociétés se délitent, se disloquent, que la pauvreté revienne, que les gens désespérés comme les bonnets rouges et porteurs de piques italiens soient dans la rue n’est pas leur problème, ils œuvrent au nom d’un intérêt supérieur, le leur. Comme Goldman Sachs, ils accomplissent l’œuvre de Dieu ! Puisque Dieu c’est Goldman.

Un jour, on passera de la critique à la masse critique, l’Italie est sur la voie.

Les mouvements de foule sont imprévisibles, mais ce n’est pas pour autant que l’on ne peut pas les analyser. Ils présentent à la fois un caractère surdéterminé et un caractère aléatoire. Les conditions de fond jouent un rôle en formant le terrain favorable aux révoltes, mais la personnalité d’un leader, son charisme, la maladresse des répressions etc , tout cela peut jouer un rôle important. L’Italie est précurseur dans cette voie des révoltes de masse.

Vous entendez peu parler en France de la rébellion en cours en Italie, les instructions sont données aux agences et médias leaders français de ne pas insister afin de ne pas susciter d’effet de contagion.

Le mouvement des fourches est puissant, il s’étend géographiquement et sectoriellement.

Il est parti de fermiers siciliens, a gagné les camionneurs, les artisans, les patrons de PME et TPE, les étudiants, les chômeurs, l’extrême droite, les mal payés etc. etc. Le réservoir de rebelles est colossal. On arrive maintenant à mobiliser à Rome et à Turin.

Ce mouvement n’est pas conduit par Beppe Grillo de Five Arrows, mais ce derniers participe et invite la répression policière à se solidariser des rebelles avec ici et là des succès locaux.

Les rebelles protestent contre les impôts, les baisse de niveau de vie, les prébendes des politiciens, la politique européenne, l’euro... .Leurs cibles sont les politiciens et les dictateurs européens, l’UE et la BCE.

Le chômage est à 12% en Italie, les jeunes sont chômeurs à hauteur de 41% pour les moins de 25 ans.

Les députés européens de la Ligue du Nord soutiennent ce mouvement. Comme le dit l’un d’entre eux : "Le vent de la révolte souffle sur l’Italie et c’est le résultat des mauvais choix imposés par l’UE et la BCE".

La situation du monde forme un tout, voilà le grand secret qu’ils ignorent, c’est comme la peste:

"Tous n’en mourraient pas mais tous étaient touchés".Quand les USA font des dettes irrécouvrables, tout le monde devient non-solvable, quand ils font des QE, tout le monde sourit, quand ils parlent de restreindre la drogue monétaire, alors tout le monde panique. Pourquoi ? Parce que structurellement, dans un système monétaire planétaire ou les actifs des uns sont les passifs des autres,  tout se transmet, tout s’enchaîne, tout fait boule de neige. Avec 780  trillions de dérivés, le risque est ici, là, partout ! On peut se sauver temporairement sur le dos des autres, c’est ce que tentent les USA et le Japon et l’Allemagne  par exemple, mais le jeu est à somme nulle, ce que les uns s’attribuent , les autres le perdent. 

Et c’est la même chose à l’intérieur des sous-ensembles, qu’ils soient européens ou nationaux. Faute de s’attaquer à la racine du mal, l’excès de dettes dans le système, faute d’oser restructurer, on reste dans le jeu de mistigri, jeu de chaises musicales dans lesquels celui qui perd est... le plus faible. C’est ainsi qu’il faut analyser les dernières procédures de résolution des crises bancaires mises en place par ceux que nous appelons à titre de plus en plus juste: les zozos. 

Une crise bancaire c’est quand une banque ne peut plus faire face à ses engagements parce que son passif est devenu supérieur à ses actifs, parce que ses créanciers cessent de poursuivre leurs concours, bref parce qu’elles ont un excès de dettes qu’elles ne peuvent ni honorer ni refinancer, parce que tout le monde se débine, ce que l’on appelle "le run". 

Donc la solution aux crises bancaires, c’est de refiler le mistigri des dettes à d’autres! 

Et l’autre le plus faible, qui est-ce ? Ben voyons, c’est le public, les déposants. Ce naïf croit que son argent lui appartient, qu’il est disponible à vue, et bien non ! Cet argent ne lui appartient plus dès lors qu’il l’a mis en banque, son statut est celui de créancier de la banque. A son insu, en fait il est prêteur de la banque. On devrait d’ailleurs cesser de tricher sur le vocabulaire, ce n’est pas un dépôt, c’est un prêt. Et c’est grâce à ce tour de passe-passe que l’on va lui refiler le bébé de l’insolvabilité. C’est grâce à ce tour de passe-passe, sans vote, sans loi, sans consultation que l’on se donne le droit de réaliser le plus grand transfert de richesses que l’histoire aura jamais connu. D’après nos calculs, la menace pèse sur une somme comprise, au niveau européen, entre 700  milliards et 1 trillion. 

L’idée de nos simplets, sous la conduite de Barnier est de couper le lien entre les banques et les états souverains, c’est leur obsession  et aussi leur illusion. Les banques et les gouvernements forment un couple maudit car les uns prêtent aux autres pour financer leurs déficits et gabegies.

Et normalement l’insolvabilité des gouvernements met les banques en faillite, tandis que l’insolvabilité des banques, par le transfert des dettes et le soutien apporté met les gouvernements en faillite également. D’où l’idée de génie qui consiste à briser le couple, en introduisant … un tiers payant. Et ce tiers payant, c’est vous, c’est moi. 

On décrète que les bail-out c’est fini, et on introduit le bail-in. 

En décrétant la fin des bail-out, on signifie que les Etats ne seront plus responsables de dettes des banques ; en imposant les bail-in on dit que ce sont les créanciers et surtout les clients des banques qui paieront. Le tour de passe-passe consiste à dire : avant c’étaient les contribuables qui payaient, maintenant ce sera plus juste puisque ce seront les détenteurs de comptes bancaires. Avant c’étaient les citoyens avec leur casquette de contribuables, maintenant ce sont les même mais avec leur casquette de… titulaires de comptes bancaires ! Or les deux populations sont les mêmes!  Ah les braves gens ! 

Dans la pratique qu’est-ce que l’on cherche à faire et que l’on ne dit pas ? 

  • On cherche à cantonner les problèmes bancaires à l’intérieur d’un seul pays puisque ce sont les déposants du pays qui paient. 
  • On cherche à briser la solidarité des débuts de crise, solidarité qui a donné l’illusion que les créditeurs allemands et les pays du Nord paieraient. Les pays du Nord ont dit "nein", nous refusons de prendre en charge vos risques bancaires passés, débrouillez-vous, entre vous. Faites votre ménage, lavez votre linge sale et pourri entre vous, chez vous. Nous, nous voulons continuer à prospérer comme avant, piller votre demande, sans que cela nous coûte. 
  • On cherche à préserver le profiteur suprême et ses clients, le gouvernement, l’Etat, ses fonctionnaires, ses assistés, ses marginaux ; on cherche à les protéger de la remontée d’insolvabilité qui interviendrait si ils devaient soutenir les banques. Si ils devaient soutenir leurs banques, celles qui ont fait leurs fins de mois, alors, ces souverains  seraient dégradés, alors le crédit deviendrait plus rare et plus cher, ils pourraient moins dépenser pour arroser leur clients politiques. Ils devraient se serrer la ceinture. 

Voilà le rêve des Maîtres non élus et de leurs complices, fonctionnaires exonérés d’impôts et responsables devant personne. 

C’est une imbécillité de technocrate qui n’a aucune expérience du monde réel aucune culture financière, aucune connaissance du monde de fonctionnement des marchés. 

Premièrement la solvabilité d’un pays est globale. Tout y contribue, tout à une influence. On ne peut isoler un élément d’un système complexe, interconnecté, étroitement corrélé. 

Deuxièmement, on a créé des monstres incontrôlables : les marchés. Nos zozos croient avoir à faire à un couple maudit alors que ce couple pratique le triolisme, le troisième partenaire étant les marchés. Et ces monstres de marchés fonctionnent mondialement, instantanément, à la vitesse de la lumière; et ces monstres véhiculent en un éclair toutes les émotions, toutes les craintes. Si il y a le moindre indice de difficulté dans un pays, tout ce qui concerne ce pays est mis immédiatement sous pression: les actions de tout le secteur bancaire, les dérivés, les couvertures de risque, les contreparties, les obligations d’Etat du souverain, tout, absolument tout. 

Dans un monde dominé par les marchés, on vend d’abord, on réfléchit après. Pourquoi ? Parce que l’expérience de la crise c’est la fusion, la mise en résonance, en phase de toutes les corrélations. Face au moindre doute, face à la moindre rumeur, et il y en aura, on vendra, on attaquera non seulement tout ce qui est proche du problème, mais  tout ce qui de près ou de loin,  de proche en proche, peut y être associé. La désolvabilisation de certains créanciers et déposants pris au piège du bail-in  fera tache d’huile car tous les grands du Smart money savent que le système tient sur la pointe. Que la chaîne n’a pas une solidité supérieure à celle de son maillon le plus faible. 

Tout le monde sait que les bail-in seront déflationnistes en chaîne, la frilosité se répandra, tout se gèlera d’abord par anticipation, ensuite par obligation de survie. La liquidité disparaîtra, et avec elle tous les échafaudages qui ne tiennent que par l’assurance que, in fine, il y aura toujours bail-out. Le système ne peut durer encore un peu que par la certitude que toujours, face aux difficultés, on créera de la base money ; pourquoi croyez-vous que les banques américaines entretiennent 2,5 trillions de réserves non employées ? Parce qu’elles  savent, elles connaissent le Grand Secret! 

Tout l’échafaudage financier global repose sur le postulat, auquel il ne faut surtout pas toucher, du bail out. Nos idiots ignorent cet aspect, ils croient que la confiance existe réellement, ils ne savent pas que c’est une fausse confiance fondée sur la certitude et l’inéluctabilité des bail-out. Ils prennent le cynisme pour de la confiance! 

De même, les bureaux d’études des grandes banques et des grandes institutions savent calculer, mieux que les fonctionnaires et les gouvernements, ils savent que la garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros est bidon dans la plupart des pays vulnérables. Ces pays  n’ont pas les moyens de cette assurance. Tout le monde sait que la promesse d’assurer les petits dépôts ne vaut rien. Cette garantie mettra en péril le rating, le refinancement des souverain sur les marchés, on leur coupera les vivres. 

Il faudra comme dans le cas de Chypre prendre des mesures scélérates, autoritaires, cela créera un climat de panique qui rejaillira sur tout, la situation bancaire, les marchés, les dépenses du public.

L’activité économique ralentira ce qui augmentera les effets déflationnistes directs. Un gigantesque contre-effet de richesse réel ou supposé se mettra en branle. 

La méfiance va se répandre comme une traînée poudre avec son cortège des rumeurs sur les prêts non performants de banques, leurs besoins de capitaux propres, leurs dégradations supposées de rating, le moindre licenciement sera interprété, amplifié…

Il faudra, bien entendu, instaurer un contrôle des mouvements de capitaux, limiter les retraits, stopper les virements électroniques, tout la machine va se gripper et sombrer dans l’attentisme. 

Ce que voulons dire, c’est que l’idée du cantonnement des problèmes et de leur ségrégation est une illusion criminelle. Une illusion criminelle de gens qui ne connaissent rien à la psychologie des foules, au fonctionnement des marchés et à l’importance essentielle de ce que l’on appelle la confiance. Prélever sur les comptes c’est reconnaître implicitement les limites des gouvernements, des institutions et c’est briser un mythe. 

Nous avons soutenu en son temps que Merkel était l’une des principales responsables de l’aggravation de la crise européenne lorsqu’elle a voulu obtenir la participation du secteur privé aux pertes grecques. C’était une erreur colossale qui a déclenché toute la suite, y compris la nécessité de l’intervention de Draghi pour promettre le fameux "coûte que coûte". 

Les deux pierres blanches de la crise globale sont :

1) l’erreur de jugement de Bernanke sur Lehman

2) la remise en question du caractère sacré des dettes d’état par la participation du secteur privé aux pertes exigée par Merkel. Cela ne suffit pas, on prétend en ajouter une troisième. 

Merkel est une politicienne, elle croit que l’optimisation politique produit et équivaut à l’optimisation économique et financière. Elle est incapable de comprendre le profond développement inégal dans lequel nous vivons. Il y a des secteurs comme la finance et l’informatique  qui sont dans un autre monde, qui ont des dizaines d’années d’avance sur le sens commun et des années d’avance sur la classe politique. La crise, entre autres, est une crise de ce développement inégal entre certains secteurs très avancés de la société et le retard des masses et de leurs représentants. 

La volonté de faire payer le public est une erreur encore plus colossale, c’est la bombe atomique, inspirée par l’incompétence, l’égoïsme, la courte vue. La bombe atomique, mise entre les mains des Ayatollahs de l’Europe. 

Si on fait payer le public, on tue les sous-jacents de l’édifice du crédit en Europe, d’abord la confiance, ensuite l’activité économique. Enfin, on met même en péril ce qui reste de consensus social. 

L’imbécillité est venue de Chypre, Chypre conçue comme un test, un laboratoire. Or le test ne vaut rien, on ne peut extrapoler les observations faites sur un pays minuscule, marginal à ce qui se passera dans un pays majeur, inséré, déterminant, clef de voûte de l’architecture financière mondiale.

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