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En 2011, il y a eu 20 règlements de comptes (16 morts) dans la région marseillaise.
En 2011, il y a eu 20 règlements de comptes (16 morts) dans la région marseillaise.
©Reuters

Relève

Ils ont 16 ou 17 ans, manipulent aisément les armes à feu et ont déjà intériorisé les codes du milieu. Ces jeunes des cités, plus violents que leurs aînés, sont les nouveaux visages de la délinquance marseillaise.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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Au contraire de la Corse où les victimes sont issues du grand-banditisme traditionnel, les règlements de comptes à Marseille ont surtout concerné le "néo-banditisme des cités", lié au trafic de drogue. En 2011, il y a eu 20 règlements de comptes (16 morts) dans la région marseillaise ; en 2012, il y a eu 24 morts, issus surtout des cités. Il faut néanmoins remarquer que des règlements de comptes ont également eu lieu dans d’autres régions, mais ont moins attiré l’attention des médias, Marseille étant "victime" de sa réputation sulfureuse… et de ses cités en plein cœur de la ville et non en zone péri-urbaine comme en Ile-de-France.

Si l’arme de poing et le fusil de chasse sont aussi utilisés, l’usage régulier de la kalachnikov a marqué l’opinion publique. Ces règlements de comptes sont facilités par un accès relativement aisé aux armes à feu, et notamment aux fusils d’assaut de type kalachnikov. Cette situation marseillaise s’explique par plusieurs facteurs. D’abord le Milieu traditionnel s’est déporté vers d’autres activités que la drogue et laisse donc une place à la nouvelle génération, souvent issue des "cités" (pour Marseille, les célèbres "quartiers Nord"). L’opération policière menée en 2010 contre le clan corso-marseillais Barresi-Campanella et les enquêtes qui ont suivi (établissant des contacts entre ce clan et le monde politique, économique et sportif), ont fortement déstabilisé le grand-banditisme traditionnel. C’est dans ce contexte que s’est développé encore plus facilement le "néo-banditisme des cités". Ce vocable utilisé par la police judiciaire recouvre en fait des groupes criminels qui se sont structurés autour du trafic de résine de cannabis et ont créé des entreprises criminelles relativement structurées. Ce phénomène concerne l’ensemble du territoire national, et pas uniquement les "quartiers Nord" marseillais. Des affinités culturelles, voire familiales, existent entre ces trafiquants de cités et les producteurs marocains de cannabis, ou les grossistes installés au Maroc ou en Espagne, favorisant des "circuits courts" de trafic, sans intermédiaire supplémentaire.

A la base de ce trafic se trouvent des "points de deal", souvent des halls d’immeuble dont les habitants se trouvent ainsi "pris en otage" par les revendeurs. Outre un "terrorisme de rue" au quotidien, certains habitants deviennent, de gré ou de force (ou un peu des deux…), des "nourrices" pour accueillir les stocks de stupéfiants, des caches d’armes ou d’argent. La récente opération policière contre le deal à la cité de La Castellane (16e arrondissement) a ainsi permis de saisir plus d’1,3 million d’euros, dont 850 000 euros chez une de ces "nourrices". Ces halls, ces cages d’escalier, ces immeubles et ces quartiers sont des territoires criminels et ont donc une valeur économique certaine. Les règlements de comptes s’expliquent par la valeur (et la rentabilité…) de ces territoires, âprement disputés.

De plus, la rivalité entre dealers est exacerbée par un marché des stupéfiants en profonde mutation. En Europe, on relève ainsi une tendance à un ralentissement voire à une baisse de la consommation de cocaïne, même chose pour la résine de cannabis. Le trafic de stupéfiants reste la base des activités criminelles des cités, même si ces groupes sont également impliqués dans des affaires de braquages, de vols avec violence, de cambriolages, de recel, de trafic de voitures volées, d’escroquerie à la carte de crédit,… La moindre évolution du marché des stupéfiants (qui reste toutefois à confirmer sur le long terme) a de fortes conséquences sur l’économie criminelle de ces quartiers. En plus de cette baisse de la consommation, il y a un déplacement des consommateurs de résine vers l’herbe de cannabis, ce qui modifie également le panorama du trafic en France, et au-delà. Les trafiquants marocains, qui ont également constaté l’apparition de cet "euro-cannabis" sous forme d’herbe, déportent ainsi leurs filières en direction des marchés du Proche et du Moyen-Orient. Les circuits traditionnels d’acheminement et de distribution des produits en sont donc profondément modifiés.

Dans ce contexte de concurrence économique violente, on se retrouve donc face à une jeune génération, évoluant dans un environnement dur voire violent et peu habituée à la "culture de la légalité" (les récentes affaires marseillaises ne sont pas la pour montrer l’exemple : enquêtes sur les frères Guérini, condamnation de Sylvie Andrieux,…). Les jeunes, à l’avenir professionnel souvent bouché, ont également en tête une certaine histoire du Milieu marseillais, avec ses grandes figures, symboles de la "réussite sociale". C’est cette réussite sociale que les jeunes délinquants de cités veulent atteindre, et rapidement, au besoin par la violence.

En matière de criminologie comme ailleurs, ce qui est nouveau, c’est souvent ce qu’on a oublié. Car les grandes figures historiques du Milieu marseillais étaient également issues de "quartiers populaires" (que l’on n’appelait pas encore "cités" ou "quartiers sensibles"). A l’époque, il s’agissait souvent d’immigrés italiens, de corses ou pieds-noirs déracinés ; aujourd’hui, il s’agit d’immigrés maghrébins ou sub-sahariens. En fait, la logique n’a pas vraiment changé, à part la jeunesse des auteurs et leur violence (mais la société n’est-elle pas plus généralement violente ?).

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