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Compagnies aériennes : la guerre mondiale du CO2 est déclarée
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Europe : 1 - Reste du monde : 0

Dès le 1er janvier, toutes les compagnies aériennes qui atterrissent ou décollent dans ou de l’Union européenne devront acheter des quotas d’émission de CO2 pour compenser leurs émissions - sous peine de sanctions. De quoi provoquer la colère des États-Unis de la Chine et la Russie.

Mikaa Mered

Mikaa Mered

Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI) à Paris. Son ouvrage Les Mondes polaires (PUF, 2019) sortira en librairie le 16 octobre.

 

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Depuis novembre 2008, la directive européenne obligeant les compagnies aériennes, même extra-européennes, à racheter 15% du coût écologique de leur activité dans l'Union fait débat. Soit, sur les 20 milliards d'euros d'empreinte écologique annuelle — d'après la commissaire au climat, Connie Hedegaard — le secteur aérien devrait rembourser 2 à 3 milliards annuels en bons -équivalent- carbone. Mieux, les réfractaires s'exposeront à une amende de 100 euros par tonne de CO2 émise et à des interdictions temporaires de vol.

Après trois ans de procédure à l'initiative des États-Unis, maintenant que la Cour européenne de justice a déclaré ce mercredi la directive conforme aux conventions internationales, Washington menace de "mesures appropriées", Pékin prévoit des "rétorsions commerciales" et New Delhi hurle. En effet, au-delà d'une petite victoire pour l'écologie et pour le budget de l'Union, l'importance de cette directive est avant tout politique.

D'un point de vue stratégique, cette législation unilatérale européenne est une affirmation du poids de l'Union sur la scène internationale malgré les innombrables pressions exercées. En équilibrant la concurrence mondiale — en supprimant unilatéralement l'avantage prix qu'avaient les transporteurs étrangers sur les lignes desservant l'Union — le Vieux continent sort gagnant à tous points de vue.

Taxer les usines du monde

L'application de cette directive créé un précédent pour d'autres secteurs. En voulant appliquer ses règles commerciales à des acteurs étrangers, Bruxelles ouvre la voie à l'application de mesures similaires pour tous les produits importés de pays n'appliquant aucune législation écologique contraignante. Dans le viseur : les usines du monde (Inde, Chine, Bangladesh, Thaïlande) mais surtout nos partenaires transatlantiques, les États-Unis et le Canada.

Au-delà de leur législation écologique laxiste — Californie mise à part —, les États-Unis et le Canada appliquent depuis des années des politiques de protectionnisme ciblé auxquelles l'Europe ne répond pas par peur d'une escalade douanière. Aujourd'hui, Bruxelles a pris conscience qu'elle était capable de ne plus être l'idiot utile de la mondialisation. Ce changement de philosophie est un événement majeur car surtout, au-delà du commerce de biens et services, une telle législation unilatérale aux frontières de l'Union ouvre une perspective pour bien d'autres domaines, en particulier la finance.

Tout comme pour le secteur aérien, l'eurozone — voire l'UE sans l'Angleterre — doit faire preuve du même courage politique et instaurer une taxe Tobin-Spahn à ses frontières à laquelle le couple Merkozy est favorable. Sur le même système coercitif que la directive sur l'aviation civile, Bruxelles peut tout à fait imposer aux acteurs financiers étrangers une quote-part à niveaux multiples à partir 0,05% sur chaque transaction en fonction des marchés, des produits échangés et du climat de volatilité du marché, sous le contrôle du Système européen de surveillance financière (SESF).

Comme sur le CO2, l'Union doit énergiquement légiférer sur la finance

Bien sûr, on peut dire qu'une telle taxe diminuerait les volumes d'échanges dans le sens où la taxe serait automatiquement répercutée d'autant sur l'écart entre le prix d'offre et de vente d'un titre. De plus, réclamant la traçabilité des transactions financières, une telle taxe boosterait l'industrie de l'ingénierie financière pour contourner les contrôles en créant des marchés libres de compensation où séviraient de nouveaux produits dérivés hors bilan à l'instar des CDS sur les titres de dette. On pourrait aussi dire que les acteurs financiers fuiront le CAC et le DAX... Soyons sérieux ! Qui pourrait se priver de la deuxième zone économique mondiale pour privilégier les instables émergents ou les déjà ultra-concurrentiels Tokyo, Londres et New York ? Plus généralement, il n'appartient qu'aux Etats de jouer leur rôle d'actionnaire dans leurs institutions bancaires comme ils l'ont joué pour d'autres fleurons nationaux dont les compagnies aériennes.

Finalement, tous ces arguments sont similaires dans l'esprit, à ceux avancés par l'aviation commerciale mondiale face à la nouvelle directive. Se disant initialement incapable de mesurer précisément ses émissions de CO2 alors qu'elle sait parfaitement répercuter ses surcoûts carburant, l'aviation civile n'est devenue docile qu'une fois mise devant le fait accompli. Il en irait de même pour l'industrie financière. Avec une taxe variable et un arsenal coercitif bien conçu sous l'égide du SESF touchant aussi le hors bilan, l'eurozone ne peut s'empêcher éternellement de se donner les moyens de ses ambitions.

A l'instar de la directive aviation-climat, maintenant que la Commission européenne se prouve à elle-même qu'elle existe, elle doit aller plus loin. Si la guerre commerciale couve, elle accouchera du retour du primat du politique sur l'économique.

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