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Aveuglement ou mauvaise foi ? Pourquoi l’adaptation de l’État de droit à un état de guerre peut se faire sans tomber automatiquement dans l’arbitraire comme le clame la gauche
©Reuters

Un peu de bon sens

Alors que la droite demande des mesures nouvelles pour lutter et prévenir les attaques terroristes, l'exécutif refuse en invoquant l'Etat de droit. Une logique difficilement tenable si l'objectif est l'efficacité.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : La prise en otage d'une église en Normandie qui a donné lieu au meurtre d'un prêtre a ravivé les demandes sécuritaires de la part de l'opposition de droite. En réponse, l'exécutif a affirmé qu'il n'y aurait aucune modification des cadres légaux, et que l'Etat de droit devait absolument être respecté. Qu'en pensez-vous ?

Philippe Bilger : Cette attitude est regrettable. Que l'on ait un débat, si possible de haute tenue sur l'Etat de droit alors que nous sommes en "guerre", pour reprendre l'expression du président de la République, cela me paraît tout à fait légitime. Quand la droite laisse entendre que la démarche politique et judiciaire n'est pas la bonne, à cause d'une conception de l'Etat de droit discutable, cela me semble encore une fois relever d'un débat nécessaire.

Le garde des Sceaux l'a dit récemment : dans la conception qu'en a la gauche, l'Etat de droit est une sorte de socle, de bloc inaltérable fait de principes et de valeurs qui n'auraient jamais à être adaptés à la réalité de la menace et de la "guerre". Je rejoins en cela les dernières observations de Nicolas Sarkozy même si je n'utiliserai pas le terme d'"argutie" : un Etat de droit n'est pas une rigidité, il a tout à fait le droit d'être adapté à la situation de guerre et à la menace qui semble s'installer.

Deux choses me paraissent capitales : la conception du président de la République qui consiste à mener une "guerre" dans le respect de l’Etat de droit, c'est finalement ce que nous avons connu depuis l'affaire Merah en 2012. Et si nous avons pu déjouer certains attentats, nous n'en avons à l'évidence pas dissuadé d'autres, de terrifiants, et qui se répètent de plus en plus.

D'autre part, je crois profondément que le droit doit s'adapter à l'état de guerre, notamment concernant la "zone grise" comme l'a justement soulevé Nicolas Sarkozy : il y a les coupables, il y a les innocents et la particularité du terrorisme islamiste est qu'il y a un entre-deux, une zone grise qui est composée de jeunes personnalités prêtes à se projeter dans le crime dès qu'on leur en donnera l'opportunité. C'est cette zone grise qui pose des problèmes et qui impose une pénalisation, même si je reconnais qu'elle est difficile à mettre en œuvre.

Je crois qu'il y a aussi un problème judiciaire... On ne peut plus fonctionner dans ce registre, avec des logiciels anciens ou datés qui n'ont plus de caractère suffisamment opératoire face à une criminalité atypique, et dont la particularité est de mentir avec une totale mauvaise conscience devant l'appareil judiciaire qui ne l'impressionne pas. la plupart de ces jeunes gens sont prêts à mourir. La justice pour eux, c'est un tigre en papier devant lequel ils sont fondés à mentir, à travestir, à jouer la comédie. Si la justice continue à regarder ce phénomène avec ses pratiques anciennes et sa philosophie classique, elle sera en permanence manipulée.

Israël, la Grande-Bretagne sous Churchill... Quels sont les pays qui ont pu s'adapter à la logique de guerre tout en conservant leur identité démocratique ?

Je le soutiens, le répète, l'écris : je n'ai pas une vision intangible de l'Etat de droit. Pour moi, l'Etat de droit n'est pas inaltérable. L'Etat de droit, pour moi, c'est justement ce qui surgit d'une démocratie, qui est créé par une structure politique qu'on a le droit de qualifier de démocratie, et on ne peut pas nier que la France en soit une. Par conséquent, tout ce que cette démocratie décréterait pour sa sauvegarde est légitimée. J'ose dire que ma perception de l'Etat de droit est évolutive : elle a le droit de s'ajuster aux menaces que la démocratie subit. Tout cela renvoie au devoir qu'à une démocratie : celui de se défendre en étant vigoureuse et dans la fermeté.

Je ne peux donc qu'approuver ces États qui essayent d'être vigoureux et fermes pour se défendre, sans scrupule de conscience, et en étant persuadé de leur bon droit, et à juste titre. La France y est-elle prête ? Même si l'on est persuadé que la menace sera durable, je crois que très peu de gens accepteraient l'idée que notre pays soit contraint de vivre en permanence, même dans sa quotidienneté apparemment la plus tranquille, dans cet état et sous cette menace.

Les mêmes personnes qui disent aujourd'hui qu'il faut protéger l'Etat de droit votaient il y a un an la loi de renseignement... Ne peut-on pas y voir une indignation à géométrie variable ?

Il y a une sorte de pudeur absurde de la part de la gauche à l'heure actuelle, celle qui consisterait à aller jusqu'au bout de la démarche qui serait seule efficace, alors qu'elle est sincèrement indignée par le terrorisme. Je suis frappé de voir qu'elle a quand même fait des choses depuis les attentats. Mais elle ne sautera jamais le pas pour accepter le fait qu'il faut adapter le droit à la guerre qu'on veut mener. Et au fond c'est absurde, parce qu'elle répète qu'il faut mener la guerre contre l'islamisme, et qu'elle a la preuve que sa conception, mise en place depuis 2012, n'a pas apporté de réussite.

En réalité, la gauche a besoin d'une efficacité partielle, et de la pompe des mots. Je suis frappé de voir François Hollande dire que la démocratie a été ciblée à travers ce prêtre, mais qu'en même temps la démocratie est notre bouclier. C'est une ânerie somptueuse ! Ce n'est pas la démocratie qui est notre bouclier. Ce qui pourrait l'être, c'est une démocratie qui saurait s'armer sans état d'âme et qui réfléchirait à une définition de l'Etat de droit, c'est-à-dire du socle indispensable au-delà duquel nous tomberions dans un état de sauvagerie. Il faut qu'il soit réduit à des principes fondamentaux sur lesquels on peut tous tomber d'accord.

Si nous avions un président de la République capable de talent politique, il n'hésiterait pas, au lieu de laisser des polémiques se dérouler en-dehors du périmètre de la démocratie comme celle à laquelle nous avons assistée entre Bernard Cazeneuve et Jean-Jacques Urvoas contre Nicolas Sarkozy, j'aurais pensé qu'il aurait pu avoir la sagesse de créer une commission d'instance pluraliste, technique et politique au sein de laquelle tous les partis auraient pu donner leur solution pour lutter contre cette menace terriblement consensuelle. Je suis persuadé qu'il y a des solutions qui demeurent en close au sein des partis. Cette commission, au-delà du gain politique qu'elle représenterait pour Hollande, pourrait permettre les débats aussi bien philosophiques que techniques et que politiques. Cela serait plus intéressant qu'une union nationale. Là, nous aurions une véritable aptitude à l'union politique, à un consensus fort et nécessaire pour une France qui pourrait trouver de nouvelles armes contre le terrorisme, ou valider celles qui existent par une sorte d'accord qui donnerait du sens à la politique d'aujourd'hui. Au lieu de prôner une union nationale qui n'aura pas sa place chez nous, il faudrait engager l'opposition, entraver la règle du "il n'y a qu'à", et montrer que la menace terroriste est tellement grave qu'elle sort du champ politique traditionnel et des clivages partisans. Si nous avions un Président à la hauteur des événements, cela aurait été fait depuis longtemps.

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