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Entre pouvoir d'achat et effets pervers, que penser d'une hausse du Smic ?
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Un mal pour un bien ?

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault reçoit ce mardi les uns après les autres les représentants des syndicats et du patronat. Parmi les sujets de discussion, un coup de pouce au Smic, promesse de François Hollande. Il devrait être modéré, selon le ministre du Travail Michel Sapin, bien que la CGT réclame un salaire minimum à 1700 euros bruts.

Bertrand  Nouel

Bertrand Nouel

Bertrand Nouel est avocat honoraire et rédacteur à la fondation iFRAP

Il rejoint l’iFRAP en 2006 et intervient transversalement sur les questions nécessitant une expertise juridique ainsi, plus particulièrement, qu’en matière d’emploi et d’économie.

Reconnue d'utilité publique, la Fondation iFRAP analyse depuis 1985 l'efficacité des politiques publiques et desadministrations afin de proposer des réformes concrètes.

 

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Atlantico : La question de la hausse du Smic sera ce mardi au cœur du sommet social promis par François Hollande. Elle est « légitime » selon le ministre du Travail Michel Sapin, qui a expliqué sur Canal + que « quand vous êtes une caissière à 70 % du Smic, vous n'arrivez pas à vivre ». Cette mesure doit-elle être un chantier prioritaire ?

Bertrand Nouel : Non, ça ne me parait pas être un chantier prioritaire, car il y a déjà des mécanismes de prévus. Il y a tout ce qu’il faut pour l’augmenter, de façon plus importante que tout le reste des salaires. J’entends bien qu’on parle de rattrapage, mais rattrapage par rapport à quoi ? On a déjà un Smic qui rattrape les salaires plus élevés, ce qui fait que la France est le pays au monde qui connait le plus gros écrasement des salaires, avec un salaire minimum qui correspond à 60% du salaire médian.

Si vous voulez bouger le Smic, il faut bouger tout les salaires. D’ailleurs, il existe depuis trois ans un comité spécial qui doit donner son avis sur l’opportunité d’un coup de pouce. Depuis qu’il existe, ce comité – qui est apolitique – a toujours dit qu’il n’y a pas de nécessité d’un coup de pouce au Smic [NDLR : il s'agit d'un groupe de 5 experts nommés par le gouvernement pour 4 ans]. Si on en parle aujourd’hui, c’est car nous sommes simplement en période électorale.

Le Smic est en plus déjà très haut, le plus élevé au monde derrière le Luxembourg, si on prend le Smic horaire. C’est bien cet indicateur qui compte, et non pas le Smic mensuel, car ce dernier est conditionné au temps de travail : dans certains pays, il est à 40 ou 42 heures par semaine.

Combien de personnes seraient concernées par une hausse du Smic ?

Au 1er janvier 2011, qui a vu une augmentation de 1,58% du Smic, 1,6 millions de salariés étaient directement concernés par cette hausse. Il y en a par ailleurs eu deux autres depuis. Il est aujourd’hui à 9,22 euros/heure.

Le problème est qu’il faut distinguer les grandes et les petites entreprises. Celles de 500 salariés et plus ne sont pas gênées, car les Smicards représentent 4,4% de leur personnel. En revanche, ils représentent 23,6% des employés des entreprises de moins de 10 salariés, et plus de 30% des entreprises de moins de 2 salariés. Et il y en a énormément en France car les entreprises aiment rester petites. Pour elles, c’est énorme : si on considère que la masse salariale compte pour 30 ou 40% du total du coût de production et que vous augmentez un tiers des salariés, cela augmente le coût de production d'au moins 9% multiplié par le pourcentage de hausse du Smic. Rappelons à ce sujet que le Front de Gauche et certains syndicats demandent une hausse immédiate de 21%.

Concrètement, quels sont les inconvénients du Smic ?

De manière générale, le Smic a trois problèmes essentiels : il est rigide, universaliste et automatique. Automatique car il augmente dès lors que l'inflation dépasse 2%. Universaliste car il s’applique à tout le monde, quelque soit le métier, l’endroit où on travaille, le pouvoir d’achat dont on a besoin pour vivre – ce n’est pas la même chose de vivre en Ile-de-France que dans la Creuse. C’est une rigidité totale à laquelle on ne peut pas toucher, car c’est un tabou absolu.

Si on prend en plus la hauteur du Smic horaire, on aboutit à un système qui a deux inconvénients considérables. Le premier est l’exclusion du marché du travail des jeunes et des personnes sans qualifications, à tel point qu’on peut dire que c’est un choix pour le chômage. Tous ceux qui ont un travail poussent le Smic vers le haut, donc plus il y a de smicards et plus il y a d’exclusion du marché du travail de tous ceux que les entreprises ne peuvent pas payer. C’est la raison essentielle du chômage des jeunes.

L’autre inconvénient, c’est le coût pour l’Etat. A chaque fois que vous augmentez le Smic, vous diminuez le montant des charges patronales payées à l’Etat, suite à l’exonération des charges patronales jusqu’à 1,5 smic. Si vous augmentez le smic, vous diminuez donc les recettes, sauf si tous les salaires qui sont au-dessus augmentent aussi, mais ce n’est pas le cas. Il y a un rattrapage par le bas.

Au contraire, quels sont les avantages du Smic ?

L’avantage, c’est qu’il y a un salaire minimum. On ne peut pas le nier. Si on n’avait pas de salaire minimum, on pourrait avoir des salaires extrêmement bas. Encore que, on n’a pas vraiment constaté cela dans les pays qui n’en ont pas, notamment en Allemagne ou en Italie. Les salaires moyens ne sont pas forcément plus bas.

Le problème, c’est qu’il y a un secteur en particulier, celui de l’agriculture, qui est dans une situation catastrophique en France parce que nous sommes entourés de pays qui n’ont pas de Smic, ou alors qui en ont un plus bas que le notre. En Espagne, il est à environ 20€/jour.

Alors, vaut-il mieux avoir un Smic élevé et pas d’emplois dans certains secteurs, ou bien créer de la richesse et pas de Smic ?

Un Smic élevé est-il néanmoins bénéfique pour le pouvoir d’achat ?

Ce n’est pas sûr. Oui, on augmente le pouvoir d’achat, mais à quoi est-il utilisé ? Si c’est pour acheter du matériel qui n’est jamais produit en France, et/ou pour épargner, ce n'est pas la panacée, car cet argent ne se retrouve pas dans l’économie française.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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