L’autorité de l’Etat selon Manuel Valls : pourquoi la “seconde voie” évoquée par le Premier ministre pour se distinguer de la droite existe surtout dans son esprit<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a défendu une "seconde voie" dans la manière d'appréhender la justice et l'autorité de l'Etat.
Manuel Valls a défendu une "seconde voie" dans la manière d'appréhender la justice et l'autorité de l'Etat.
©Reuters

Fantasme vs Réalité

En déplacement à Grenoble, Manuel Valls a relancé l'idée d'une approche de l'autorité de l'Etat à deux voies, entre celle "qui singe l'autorité", et celle qui consiste "à agir avec constance". Une deuxième voie dont se prétend le Premier ministre, mais qui ne passe pas l'épreuve des faits.

Claude  Askolovitch

Claude Askolovitch

Claude Askolovitch est journaliste à iTélé.

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Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico : Dans son discours à Grenoble vendredi 6 novembre, Manuel Valls a défendu une "seconde voie" dans la manière d'appréhender la justice et l'autorité de l'Etat, en réponse à Nicolas Sarkozy qui déplorait en début de semaine que cette dernière n'existait plus. Comment analysez-vous le rapport à la justice d'une part, mais aussi le rapport à l'autorité de l'Etat du Premier ministre ?

Claude Askolovitch : La ligne constante et permanente de Manuel Valls, c'est l'Etat. Pour lui, l'Etat est forcément justifié, les forces de l'ordre ne sont, au fond, jamais attaquables, ses interventions sont a priori louables. Quand l'Etat français est condamné en justice pour discrimination au faciès, le pouvoir va en cassation. Quand Amal Bentousi, l'une des organisatrices de la manifestation à Barbès la semaine dernière affirme que la police a tiré dans le dos de son frère, et proclame que la police assassine, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, fait un procès. La ligne constante de Valls, c'est l'Etat. Ce en quoi il se différencie d'une bonne partie de la gauche. Il se revendique de Clémenceau.

Mais regardez ce qui se passe spontanément dans l'affaire de Sivens, dans l'affaire de Notre-Dame des Landes... Regardez ce qu'il dit hier à propos des émeutes de 2005 : c'était une contestation de l'autorité de l'Etat. Habituellement, à gauche, on parle de révolte sociale en réaction à la mort de deux adolescents poursuivis indûment par des policiers ! C'est une ligne de structuration politique forte, que l'on peut valider ou contester mais elle est constante. Elle est hétérodoxe pour une partie de la gauche. Mais elle n'est pas pour autant assimilable à la droite sarkozyste. Valls est un républicain conservateur se voulant rassurant : ce qui nous structure historiquement, l'Etat, ses agents, nous sauvera à nouveau... Sarkozy, lui, était plus moderne, ou populiste, ou angoissant. Il prenait le parti du peuple agressé ou des victimes plus que celui d'un État qu'il bousculait. Quand il prononce son fameux discours de Grenoble, en 2010, suite à des émeutes qui font elles-mêmes suite à un braquage et à la mort de l'un des braqueurs, Nicolas Sarkozy commence par limoger le Préfet et le remplacer par un homme à lui.. Manuel Valls, lui, après Moirans, conforte le préfet, le couvre d'éloges, mais aussi le procureur général, les gendarmes,  les pompiers... Il ne laissera jamais dire que l'Etat a failli... Sarkozy, lui, pouvait aussi bien chasser un commissaire que moquer des magistrats. Il en tenait du peuple - ou y prétendait - et faisait personnellement sa guerre aux voyous.  Valls s'abrite derrière ceux qu'il défend (les agents de l'Etat) et dit au peuple qu'il doit avoir confiance dans le contrat social.

Comment décririez-vous les "deux voies" énoncée par Manuel Valls, à la fois à travers son message posté sur Facebook, mais aussi à travers son discours à Grenoble vendredi 6 novembre ?

Alexandre Giularis : Il est assez regrettable que le Premier ministre, ou la personne qui lui a écrit cette tribune, oppose de manière aussi caricaturale deux visions et/ou deux politiques en matière de sécurité et de justice. D’autant plus quand on sait que, par le passé, Manuel Valls a pu tenir des propos ou avancer des propositions qui sont proches de celles de l’opposition. Je sais bien que la vie politique nécessite parfois de simplifier les débats, mais alors que le reste de cette tribune semble vouloir engager un travail de réflexion et de prospection parfois intéressant, opposer grossièrement la vision du gouvernement à une autre qui serait (évidemment…) démagogique, populiste ou d’extrême-droite est profondément désuet, et pour tout dire un peu ridicule.

Quand pourra-t-on débattre sérieusement des questions de sécurité et de justice en cessant de dénoncer d’un côté le populisme et de l’autre le laxisme ? Il y a au moins deux visions qui s’opposent sur ces sujets et malgré l’intérêt d’une vision globale sur l’autorité dans cette tribune, il me semble que la vision du Premier ministre oublie un élément fondamental : la responsabilité individuelle. Elle n’est tout simplement pas évoquée, ce qui est révélateur de cette "voie" en matière d’autorité ou de sécurité.

Si l'on devait définir une différence structurelle entre ces deux approches ce serait celle de la responsabilité individuelle. En effet, très schématiquement, la pensée de gauche à tendance à considérer que c'est la société qui est "responsable" de la délinquance à travers des inégalités notamment alors qu'une pensée de droite considère que c'est avant tout l'individu qui est responsable de ses actes, et donc de ses délits ou crimes. 

Nicolas Sarkozy s'inscrit dans cette école de pensée et Manuel Valls plutôt dans l'autre, notamment au regard de l'absence d'évocation de responsabilité individuelle dans sa tribune alors qu'il évoque de nombreuses autres sphères concourant à "l'autorité". 

Mais si l'on devait définir le sarkozysme vis-à-vis de l'autorité, je dirais pour reprendre les termes de Max Weber  que c'est avant tout la conciliation entre une éthique de responsabilité et une éthique de conviction. 

Depuis son passage au ministère de l'intérieur, en dehors de ses propos politiques ou polémiques comme Manuel Valls peut en tenir dans sa tribune, Nicolas Sarkozy est soucieux d'assurer la sécurité des Français par l'affirmation d'un état assumant une plus grande fermeté et ayant pris conscience, en particulier durant sa présidence, comme le montre le livre de son ancien conseiller Maxime Tandonnet, que la principale difficulté repose aujourd'hui sur l'inexécution des peines. 

Le sarkozysme est donc plutôt qu'une théorie, une pratique et une conviction qui s'inscrit dans une certaine lignée philosophique historique à droite. Enfin, ajoutons que l'auteur qui aujourd'hui réconcilie tout le monde, sans pour autant voir ses idées directement appliquées, est le philosophe des Lumières Cesare Beccaria, qui dès le 18ème siècle écrivait que plus que la gravité d'une sanction éventuelle c'est sa certitude et sa rapidité qui compte dans l'affirmation d'une autorité juste et légitime en matière judiciaire.

Cette adhésion à une seconde "voie" dont Manuel Valls prétend s'inspirer passe-t-elle le test de la réalité de son action ?

Alexandre Giularis : Force est de constater que le volontarisme du Premier ministre lorsqu’il était ministre de l’Intérieur n’a pas suffi… On constate tout d’abord que la criminalité n’a pas diminué, bien au contraire. En particulier en ce qui concerne les violences physiques à la personne.

Par ailleurs, dans les différents "actes" qui renforcent la "chaîne de l’autorité", Manuel Valls se contente d’éléments purement quantitatifs, un peu décevants. Beaucoup de gens s’accordent à dire qu’il y a un problème d’autorité à l’école par exemple, ce que Manuel Valls évoque. Je ne suis pas sûr qu’augmenter le nombre de personnels dans l’éducation nationale, comme il le revendique, soit la réponse la plus adaptée et surtout la plus efficace pour renforcer ou restaurer l’autorité à l’école.

Surtout si dans le même temps, vous avez une garde des Sceaux qui prépare un projet de réforme de la justice des mineurs qui tend à renforcer le sentiment d’impunité dont les mineurs délinquants peuvent jouir. Deux exemples très concrets : alors que le Premier ministre ne cesse de dire, et depuis longtemps, qu’il faut que la justice des mineurs soit la plus rapide possible, Christiane Taubira souhaite rendre obligatoire une césure dans le procès pénal des mineurs, c’est-à-dire une pause de 6 mois à un an. C’est une lourde erreur alors que tout va si vite à l’adolescence.

Autre exemple, l’autorité légitime s’appuie sur la responsabilité individuelle. Or, la garde des Sceaux a envisagé d’appliquer la justice des mineurs jusqu’à 21 ans. En déresponsabilisant les mineurs et les majeures de leurs actes, on affaiblit l’autorité légitime, on affaiblit l’autorité de la loi et celle de la justice.

Comment analysez-vous donc le sens de la justice du Premier ministre au regard de son action ?

Alexandre Giularis : C’est assez difficile à dire car lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, nous avions, à plusieurs reprises, noté que ses propositions allaient dans le bon sens. Je me souviens que dans une lettre, rendue publique par le journal Le Monde, Manuel Valls exprimait, avec beaucoup de justesse, son opposition à la réforme pénale de Christiane Taubira. Il indiquait que notre pays manque clairement de places de prison et que la récidive nécessite une réponse plus ferme.

Malheureusement, son arrivée à Matignon semble avoir mis fin à ses convictions puisque la réforme pénale de Christiane Taubira, qui allait à l’encontre de ses idées, a été adoptée. C’est tout à fait regrettable.

Enfin, je crois que Manuel Valls a bien compris que le problème majeur de notre chaîne pénale, c’est l’exécution ou plutôt l’inexécution des peines qui créent et renforcent l’impunité ressentie par les délinquants et les criminels. A titre d’exemple, rappelons que chaque année entre 80 000 et 100 000 peines de prison fermes sont "en attente d’exécution". Et je n’évoque que les peines de prison ferme. Malheureusement, la politique gouvernementale ne permet pas de répondre à cette urgence, bien au contraire.

Finalement, son discours récent sur les thèmes sécuritaires, certes martial, n'est-il pas d'abord une réponse à son principal concurrent ?

Alexandre Giularis : C’est bien le risque en effet. Aller à Moirans est une bonne chose. Mais peut-on croire sérieusement que les individus responsables des incidents seront tous arrêtés et condamnés ? Alors même que l’on aurait pu les interpeller en flagrant délit au moment des faits… Je crains qu’il ne soit beaucoup trop tard, d’autant que nos forces de sécurité et le système judiciaire sont déjà submergés de nouvelles affaires au quotidien.

Mais, je tiens à y revenir. Si jamais ils étaient arrêtés. Combien seront condamnés ? Dans combien de temps ? Et à quelles peines ? Seront-elles de nature à les dissuader de recommencer et à dissuader d’autres personnes dans la société de commettre d’éventuels mêmes actes ?

Ces questions ont pour but de vous montrer que c’est bien l’exécution des peines qui doit devenir la priorité de notre politique en matière de sécurité et de justice. Si l’on s’en réfère aux dernières statistiques des condamnations inscrites au casier judiciaire, pour "Destruction d'un bien d'autrui par explosion ou incendie", ce qui pourrait être la condamnation pour les faits de Moirans, on constate seulement 2 432 condamnations en 2013 ! Les procédures ont duré en moyenne plus de 15 mois (!) et 75% des peines de prison prononcées pour ces faits étaient assorties de sursis total ou partiel (sans parler des autres peines bien évidemment). On le voit l’engorgement de notre justice pénal est le cœur du problème. Cela nécessite des moyens importants en urgence pour construire 20 000 à 30 000 places de prison et recruter l’ensemble des personnels dont nous avons besoin pour assurer l’exécution rapide de l’ensemble des décisions de justice (prison ou non). Voilà la "voie" qu’il faut mettre en œuvre. 

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