Austérité, croissance, fiscalité : qui est encore capable d’avoir une véritable vision économique au gouvernement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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C’est du pointillisme, le gouvernement essaye de satisfaire à telle chose d’un côté, à telle autre chose d’un autre.
C’est du pointillisme, le gouvernement essaye de satisfaire à telle chose d’un côté, à telle autre chose d’un autre.
©Reuters

Panne d'idées

Le gouvernement a adopté vendredi le budget 2013 à l'issue du Conseil des ministres. Mais tel que conçu, le projet de loi de finances ne semble pas suivre de véritable ligne directrice.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Atlantico : Le gouvernement a adopté vendredi le budget 2013 à l'issue du Conseil des ministres. Jean-Marc Ayrault s'est notamment félicité d'avoir préparé une loi de finances qui aboutira au « redressement dans la justice » des comptes publics, afin de donner « un coup d'arrêt à la spirale de la dette ». Selon vous, le projet de loi de finances tel qu'il a été conçu présente-t-il une vision ou pensée économique dominante ?

Bruno Bertez : L’impression générale est plutôt que nous sommes en présence d’une pensée politique. Il s’agit en réalité d’essayer de concilier un certain nombre de promesses, une orientation et un agenda avec une situation économique donnée. Cela donne quelque chose de difficile à interpréter, dénué de lignes directrices, où l'on essaie tant bien que mal de se convaincre qu'on va optimiser la situation, sans toutefois en être réellement convaincu.

Sur le plan de la pensée économique, l'impression est celle d’un mélange de tous les courants (rigueur mêlé au libéralisme). C’est du pointillisme, le gouvernement essaye de satisfaire à telle chose d’un côté, à telle autre chose d’un autre, mais il n’y a aucune idée directrice autour de laquelle le budget s’articule.

Par ailleurs, il n’est certainement pas possible d’en trouver une, la situation ne s’y prêtant malheureusement pas.

Doit-on comprendre que le contexte socio-économique et politique interdit en réalité au gouvernement d’élaborer une ligne directrice claire ?

Effectivement, et les exemples ne manquent pas...

Pour des raisons qui sont liées aux négociations entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, nous sommes tenus à un certain nombre d’efforts de rigueur budgétaire. Autre contrainte, le gouvernement socialiste a visiblement très peur des marchés et ne comprend pas leur mode de fonctionnent. Il persiste notamment à croire que la France n'est pas à l'abri d’une attaque et passe à côté de l'essentiel : la situation de la France sur les marchés n’est pas si mauvaise.

Non seulement nous bénéficions d’entrées de capitaux de la part des pays du Sud, mais nous avons à un certain moment des taux d’intérêt négatifs sur les emprunts opérés sur les marchés financiers. Par conséquent, nous ne sommes clairement pas menacés !

En quoi ne pas choisir une vision économique plutôt qu'une autre peut-il se révéler économiquement handicapant ?

Les conséquences sont extrêmement graves. Sans arrêt, les choix essentiels à opérer sont repoussés. Mais entre temps, la situation économique continue en profondeur à se détériorer.

Les endettements augmentent (le ratio dette/PIB est passé à 91%), le grand public croit être entré dans une phase d’austérité, alors qu’en réalité, elle n’a même pas encore réellement commencé.

Il y a de quoi s'étonner qu'aucun redéploiement de l’effort industriel et de réallocation des ressources ne soit entrepris. Il est par exemple évident que l'industrie d'automobile n'est pas une industrie d'avenir, et c'est pourtant un des secteurs économiques que l'Etat soutient le plus... Et pas seulement depuis ces derniers mois. Qui plus est pour de mauvaises raisons : des préoccupations syndicales relatives à l'emploi notamment, donc au final des préoccupations politiques.

Il nous faut accepter d'organiser un repli industriel intelligent et consacrer davantage de ressources à d'autres secteurs économiques porteurs. C'est l'économie même qui créé sa propre dynamique, dès lors qu'elle n'est plus bridée ni par les contraintes ni par les réglementations ou le manque d'argent. L'économie doit se redéployer d'elle-même. Cela tient au génie des hommes et non à celui de l'Etat. Pour cela, la pression fiscale sur le PIB et le revenu national doit également diminuer, de sorte que le privé puisse innover et investir. 

Ces réformes sont très lentes dans leurs effets, et comme nous prenons beaucoup de retard, nous aurons énormément de difficulté à redresser la barre.

Est-ce une situation spécifique à la France ou transposable à l'Europe et au monde ?

C’est une situation générale, mais qui est plus grave concernant la France. Nous sommes au bord du précipice. Quand on est dans cette position, il est évident qu’on peut tomber d’un côté ou de l’autre, du côté des pays vertueux ou du côté des pays "pestiférés". La fragilité de la situation fait que les décisions que l’on prend sont beaucoup plus graves par rapport à des pays déjà bien installés comme l’Allemagne, la Finlande ou encore les Pays-Bas. Eux sont dans une situation où les décisions qu’ils prennent sont moins graves que les nôtres.

Concrètement, la situation dans la zone euro sera bientôt intenable. Il nous faudra donc faire un choix crucial : recoller au niveau des pays qui sont notés A par les agences de notation ou retomber du côté des "pestiférés". Lassé de toujours payer et d'être pourtant insulté, rien d'étonnant à ce que le peuple allemand en ait marre, et qu'ils préfèrent jouer en compagnie des États européens du Nord, plus sérieux. La France devra alors prendre garde à basculer du bon côté.     

Selon vous, serait-il plus profitable qu’une seule vision économique s'impose ? Et si oui, laquelle et pourquoi ?

Il n’y a pas d’autres issue socialement acceptable que la croissance. Mais il faut nuancer en précisant que la croissance ne doit absolument pas être keynésienne (financée par le creusement des déficits, c'est à dire les dépenses de l'Etat et par les taux d'intérêt à zéro). Pourquoi ? C'est très simple, parce-que le keynésianisme continue d'accroître la dette globale et que d'un autre côté, le fait de maintenir les taux d'intérêt proche de zéro incite à l'endettement plutôt qu'au désendettement, avec les dérapages budgétaires que l'on imagine.

Dans ces conditions, il n'y a pas d'issue au désendettement. Pire, le boulet de la dette ne fait que grossir et l'économie réelle ne peut être libérée. Il sera nécessaire de faire au niveau européen et global une opération du type de celle conduite en Grèce, mais cette fois-ci avant que ne se déclare la catastrophe ! C'est à dire une opération de restructuration du poids des dettes par des mesures comme l'allongement des échéances, la baisse des taux d'intérêt, etc. C'est la seule solution pour diminuer la taille de ce boulet qui plombe les économies réelles. Reste que cet argent ne devra pas être utilisé bêtement et alimenter le gouffre de l'Etat-providence, mais plutôt à servir l'investissement et la croissance, et par conséquent l'emploi.

Par ailleurs, il faut préciser que nos systèmes sociaux ne résisteraient pas à une absence de croissance. Nous avons des systèmes en déséquilibre sur le plan financier, en particulier les retraites. Pour résumer, toute la protection sociale est en fait déséquilibrée. Il y a un ralentissement durable de la croissance, un alourdissement des endettements, une inflexion financière qui fait qu'il n'y pas de possibilité de capitalisations. Autrement dit, si rien ne change, nous courons à la catastrophe.  

La priorité absolue doit donc être donnée à la croissance naturelle, sachant que nous n’avons pas les moyens d’une croissance keynésienne, ni la possibilité d’imposer à l’Allemagne ou à la BCE de la financer. Pour filer la métaphore, l'Allemagne veut bien donner des leçons de pêche, mais pas directement le poisson. La BCE a quant à elle suffisamment à faire pour aider les pays du Sud... Il est imaginable qu'elle soutienne un pays comme la France.

Notre croissance doit passer par un nettoyage du passé. Il faut régler au préalable les problèmes de la restructuration des endettements et de l’Etat providence  excessif. Si on ne règle pas ces derniers, on ne pourra jamais reconstruire sur des bases nouvelles. Cette vision économique est résolument tournée vers l'avenir, avec pour objectif de produire des richesses dans un premier temps, et de réfléchir seulement dans un second à la juste répartition de celles-ci. Elle jouera positivement dans la mesure où elle sera porteuse d'un projet mobilisateur qui rendra le moral aux Français, car n'oublions pas que l'humeur d'un peuple est un élément capital ! Et la France semble aujourd'hui plongée dans une morosité qui ne peut plus durer.

Propos recueillis par Franck Michel

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