Attentat du 13 Novembre 2015 : la filière de Molenbeek<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue des environs d'une intervention de la police pour arrêter des personnes dans l'enquête sur les attentats de Paris, dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles, le 15 novembre 2015.
Une vue des environs d'une intervention de la police pour arrêter des personnes dans l'enquête sur les attentats de Paris, dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles, le 15 novembre 2015.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Bonnes feuilles

Georges Fenech publie « Bataclan, Paris, Stade de France : le procès », aux éditions du Rocher. Le 13 novembre 2015, des terrasses et restaurants de Paris, la salle de concert du Bataclan et le Stade de France étaient pris pour cibles par trois commandos kamikazes. Le procès historique qui s'ouvre à Paris le 8 septembre 2021 devra répondre aux questions que se pose toujours la France entière. Extrait 2/2.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Les peines qui seront prononcées par la Cour d’assises suffiront-elles jamais à dissuader dans l’avenir d’autres individus fanatisés? On peut hélas en douter, quand rien, pas même la mort, ne les arrête.

Les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 n’ont-ils pas eux-mêmes choisi d’« offrir » leur vie à Allah en se faisant exploser ou en recherchant l’affrontement direct contre les forces d’élite?

Preuve supplémentaire s’il en était besoin, pendant que se déroulait le procès des complices des assassins de Charlie Hebdo, le 25 septembre 2020, un jeune Pakistanais blessait grièvement par arme blanche deux personnes se trouvant devant les anciens locaux du journal satirique.

En conséquence, face à cette menace persistante, tout doit être mis en œuvre pour lutter très en amont contre la gangrène de l’islamisation radicale avant qu’il ne soit trop tard. Ce combat sera sans aucun doute le plus difficile à mener, car l’idéologie mortifère de Daech n’a nul besoin de passeports ou de kalachnikovs pour se diffuser aux quatre coins du monde.

À cet égard, notre commission d’enquête parlementaire a cherché à comprendre comment ce foyer djihadiste venu ensanglanter Paris avait pu naître à Molenbeek et prospérer auprès de tout une jeunesse issue de l’immigration sans rencontrer de véritable obstacle.

La filière de Molenbeek

7 avril 2016 – 7h35 –Gare du Nord, avec plusieurs députés, nous embarquons à bord du Thalys, direction Bruxelles. Hasard tragique de calendrier, seulement deux semaines plus tôt, le 22 mars 2016, la Belgique était à son tour frappée en plein cœur, à l’aéroport de Zaventem (Bruxelles), puis une heure et quart plus tard à la station de métro Maelbeek, à deux pas de la Commission européenne. Bilan : trente-deux morts et des dizaines de blessés.

Notre premier geste, en signe de solidarité, sera de déposer une gerbe de fleurs devant l’entrée de la station de métro, aux côtés de nos homologues belges. Quatre mois seulement après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le réveil des Bruxellois est douloureux.

Nous devions nous interroger. La dérive islamiste de Molenbeek, l’une des dix-neuf communes qui composent la capitale, avec ses quelque 100 000 habitants, dont environ 70 % d’étrangers, n’est-elle pas le fruit d’un aveuglement? En moins de vingt ans, cet ancien faubourg nord, industriel et ouvrier, était devenu un foyer djihadiste ayant servi de base arrière des attentats du 13 novembre à Paris.

Le lendemain, nous nous rendons précisément à Molenbeek pour rencontrer la bourgmestre, Françoise Schelpmans, laquelle, entourée des élus de son conseil chargé de la lutte contre la radicalisation, ainsi que du commissaire de police de la ville, ne décolère pas :

« Contrairement aux autres communes du croissant pauvre de Bruxelles (Forest, Schaerbeek, Saint-Josse, Anderlecht), où la Turquie envoie officiellement ses imams, ici, les mosquées sont financées par l’Arabie saoudite, qui propage un islam fondamentaliste ultra-conservateur depuis vingt ans, dénonce-t-elle; ce qui explique en partie que Molenbeek soit devenue depuis une quinzaine d’années une base arrière du radicalisme islamiste et du terrorisme qui nous frappe. »

Cette dérive est en effet ancienne. Elle remonte à 2001, lorsque les tueurs du commandant afghan Ahmed Massoud, principal ennemi du régime des talibans, étaient déjà partis de Molenbeek pour l’assassiner sur ordre d’Oussama Ben Laden, deux jours seulement avant l’attaque du 11 septembre à New York.

De même, les attentats de Madrid, perpétrés en mars 2004 (191 morts), avaient-ils pu être imputés, pour deux des auteurs, à de jeunes individus originaires de Molenbeek. Rappelons encore que le Français Mehdi Nemmouche, responsable de quatre morts au Musée juif de Bruxelles, et probablement l’un des geôliers d’un otage français de Daech, avait trouvé appui dans la capitale belge. C’est là également qu’Amedy Coulibaly a pu se procurer ses armes pour commettre l’attaque de l’Hypercacher de Vincennes. C’est encore depuis Molenbeek que l’auteur de l’attentat perpétré en août 2015 contre le Thalys, un certain Ayoub el-Khazzani, s’était préparé.

Et c’est, enfin, nous le savons, de Molenbeek que sont partis les terroristes du 13 novembre 2015, avec à leur tête le Maroco-Belge Abdelhamid Abaaoud.

Faut-il pour autant stigmatiser la seule Belgique comme un repaire de cellules djihadistes? Prétendre que la Belgique serait responsable de tout est inexact et n’exonère pas la France de ses propres faillites. Gardons-nous des accusations un peu faciles et ouvrons plutôt le spectre du djihadisme européen et mondial. Souvenons-nous des attentats de Londres, Manchester, Madrid, Copenhague, Berlin, Barcelone. Souvenons-nous également des attentats commis au Mali, en Côte-d’Ivoire, en Turquie, en Afghanistan, en Indonésie, au Maroc, en Tunisie, etc.

La terreur se répand partout dans le monde. Elle frappe les chrétiens d’Orient, au même titre que les musulmans éloignés de l’islam rigoriste.

Ce qui est en cause, que ce soit en Belgique, en France ou dans le reste de l’Union européenne, c’est l’implantation dans nos banlieues et nos cités de l’ultra-communautarisme associé à un système mafieux protégeant une économie souterraine, alimentée par les trafiquants en tous genres sous la férule de narco-islamistes. Un système où les services publics ont quasiment disparu, où la plupart des élus ont baissé les bras, où les forces de police sont prises pour de la chair à canon.

« La France n’est pas la Belgique… », veut-on se rassurer dans certains milieux aux antipodes d’une réalité dérangeante.

Tous les spécialistes du phénomène communautariste savent bien qu’il existe en France bien plus qu’« une centaine de Molenbeek » en réalité, plus d’un millier de quartiers difficiles où sont tendus quelquefois de véritables guet-apens aux forces de police.

Ces ghettos où l’on joue de la kalachnikov lors de règlements de compte entre trafiquants de drogue abritent aussi des mosquées salafistes et véhiculent des discours de haine contre l’Occident et ses « mécréants ».

Je n’oublie pas, ayant exercé mes fonctions de juge d’instruction à Lyon, que c’est dans une banlieue lyonnaise qu’a grandi le dénommé Khaled Kelkal, l’auteur des attentats du RER Saint-Michel en 1995, le précurseur du djihadiste made in France. Rappelons également que c’est dans le quartier des Izards à Toulouse qu’a grandi le tueur à moto, Mohammed Merah, autre annonciateur en 2012 des futures vagues d’attentats.

Qui peut contester que de nombreux quartiers, de nombreuses villes sont aujourd’hui sous le joug d’une emprise islamiste, et ce malgré toutes les politiques de la ville ayant englouti des sommes colossales…? Pour quel résultat?

Mais qui sont-ils, au fond, ces islamistes radicaux, ces croyants fraîchement convertis, qui tout à coup versent dans la violence pour imposer leur religion, dans ce qu’elle a de plus rigoriste?

L’erreur communément commise est de tout englober dans le phénomène dit de « radicalisation de l’islam ». En réalité, je suis persuadé que nous sommes davantage confrontés à une islamisation de la radicalité préexistante. Certains individus, la plupart des délinquants de droit commun, en rupture totale avec une société qu’ils rejettent, vont en effet chercher dans des habillages religieux à donner un sens plus « noble » à une vie médiocre qu’ils pensent sublimer par une mort les armes à la main.

L’apparition de l’État islamique a incontestablement correspondu à leur besoin de légitimer l’expression violente de leur ressentiment.

La France a pris beaucoup de retard pour se décider à élaborer une stratégie globale de lutte contre la radicalisation islamiste. Le nombre croissant des départs vers la zone syro-irakienne avait pourtant commencé dès 2012. Il aura fallu attendre l’année 2014 pour enfin mettre en œuvre un plan anti-djihad et également apporter une aide aux familles de ces « desperados ».

*

Au moment où s’ouvre le procès des attentats du 13 novembre 2015, la question essentielle de la survie de notre modèle de société occupera tous les esprits. Preuve en est, la France vient de se doter d’une loi contre le « séparatisme » islamiste, pour réaffirmer et préserver les principes républicains.

Le principe de laïcité auquel la France est attachée n’est-il pas menacé par une minorité qui considère que la religion est supérieure à la loi républicaine? La préservation de notre modèle de civilisation ne devra s’accommoder d’aucune demi-mesure, d’aucun renoncement, d’aucune compromission. L’autorité de la loi doit être restaurée, tout discours de haine doit être combattu. Sans une volonté forte qui nécessite de mobiliser toutes les énergies, nos libertés chèrement acquises risquent tout simplement de céder devant l’obscurantisme.

En ce début de XXIe siècle, certains nourrissent même la crainte que le Vieux continent puisse connaître la même destinée que l’Empire romain de Byzance tombé aux mains des troupes musulmanes. Le porte-parole de Daech, Abou Mohammed Al-Adnani, n’appelait-il pas le 21 septembre 2014 à la lutte contre les « croisés » : « Nous conquerrons votre Rome, briserons vos croix et réduirons vos femmes en esclavage… Ils vendront vos fils au marché aux esclaves… »? Et si l’idéal européen, cet Eldorado de la paix, de la croissance, du progrès, des libertés, pouvait vraiment vaciller sur ses fragiles fondations construites sur les décombres du plus sanglant des conflits mondiaux ? Cette question ne relève plus seulement du fantasme, quand l’inquiétude se renforce davantage face à la porosité de l’espace Schengen, incapable d’endiguer le flot continu de migrants fuyant les guerres, les persécutions, la misère et par lequel s’infiltrent des terroristes comme ceux du commando du Stade de France. Sous la pression des peuples, certains États membres de l’Union décident de rétablir leurs frontières, d’ériger des murs et des barbelés, tandis qu’en France on décrète l’état d’urgence, sans craindre de restreindre nos libertés.

« Nous sommes en guerre! » martèle-t-on dans une France incrédule qui ne parvient plus à endiguer la marée montante d’un islamisme radical qui enrôle à tour de bras dans les cités, les mosquées, les prisons et tous les recoins d’une société gangrenée par le communautarisme. Oui, nous sommes bel et bien entrés en guerre contre un totalitarisme à visage religieux, un obscurantisme venu tout droit du fond des âges, contre des néo-théocrates sanguinaires, coupeurs de têtes et disposant d’une armée inépuisable de kamikazes prêts à surgir à tout moment pour semer la terreur et la désolation. C’est pourquoi, face à cet ennemi protéiforme, nos démocraties doivent mener une guerre totale, et maintenir une vigilance jusqu’en leur sein.

A lire aussi : Pourquoi le Bataclan n’était-il pas protégé et sous surveillance renforcée avant les attentats du 13 Novembre 2015 ?

Extrait du livre de Georges Fenech, « Bataclan, Paris, Stade de France : le procès », publié aux éditions du Rocher

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