Assises de l’entrepreneuriat : le gouvernement timidement (mais enfin) sur la bonne voie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président a détaillé hier des propositions pour soutenir l'entrepreneuriat.
Le président a détaillé hier des propositions pour soutenir l'entrepreneuriat.
©Reuters

Eurêka !

Les assises de l'entrepreneuriat, lancées à l'initiative de la ministre des PME Fleur Pellerin après la fronde des "pigeons", se sont closes hier lundi 29 avril à l’Élysée. L'occasion pour François Hollande de détailler une série de mesures en faveur de l'entrepreneuriat en France.

Éric Verhaeghe et Denis Jacquet

Éric Verhaeghe et Denis Jacquet

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
 

Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Denis Jacquet est diplômé de HEC (1989) et détenteur d’une maîtrise de Droit des affaires Denis Jacquet a travaillé chez Baker & Mac Kenzie avant de créer sa première société « H2I » en 1993, dans l’immobilier d’entreprise. Il rachète en 1997 le numéro un de la formation à distance, avant de se lancer dans le e-learning en créant et en dirigeant Edufactory, PME de formation française présente dans huit pays dans lesquels il a vécu.

En 2011 il finance, avec des business angels de l’internet français et étrangers, les deux cofondateurs de Yatedo, puis en prend la présidence et en assure le développement (5 millions de visiteurs uniques par mois). Yatedo a déjà une filiale aux USA, du fait que son trafic est situé à 60% dans ce pays.

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Atlantico : François Hollande a, en clôture des Assises de l'entrepreneuriat, détaillé les principaux outils de sa quatrième grandes réformes pour "mettre en ordre notre économie" et qui vise au soutien et à la stimulation de l'entrepreneuriat. Création, croissance et financement des entreprises : les mesures annoncées vous semblent-elles à la hauteur de l'enjeu ?

Eric Verhaeghe : Disons qu'elles partent d'une intention louable : celle de prendre en compte les difficultés que rencontrent les entrepreneurs en France. Le Président a d'ailleurs affiché une reconnaissance symbolique sur le rôle des entrepreneurs dans la prospérité et l'emploi. Cela ne mange pas de pain, mais c'est un geste qui compte. Il a manifestement décidé de traiter la question de la fiscalité des plus-values et de réserver des compartiments de financement pour les TPE. Il ouvre une porte sur le financement désintermédié, que les Américains appellent crowdfunding. Restent entiers des sujets majeurs, qui ne sont pas abordés : la complexité du droit du travail et du droit de la protection sociale, qui est un casse-tête pour les petits entrepreneurs, et la question des rapports avec les banques, sur lesquels le gouvernement est muet.

Un petit mot quand même sur la création d'un PEA avec un compartiment TPE et l'action de la BPI pour les investissements dans les zones très défavorisées. Tout le sujet du financement des TPE tient aujourd'hui à la cherté du capital, en particulier en phase d'amorçage. Le recours au PEA et autres formules défiscalisées comme l'assurance-vie est une vieille lune qui ne marche pas, et on reste quand même sur sa faim sur ce volet. Peu d'épargnants sont en effet prêts à placer leur épargne sur des entreprises risquées, et on peut comprendre cette aversion au risque. Le Président nous ressort donc ici une vieille tarte à la crème à laquelle on ne peut croire, sachant qu'il existe déjà un compartiment PME obligatoire dans l'assurance-vie, qu'aucun assureur ne parvient à saturer.

Pour tout ce qui touche aux zones défavorisées, l'idée me plaît bien si elle est accompagnée d'une vraie stratégie d'aménagement du territoire. Car si l'objectif est de parquer les entreprises innovantes dans des zones sordides, comme on en trouve en banlieue parisienne, avec un sous-équipement collectif et des problèmes de sécurité, on voit que la solution est un leurre. Une jeune entreprise a suffisamment de problèmes à régler pour ne pas y ajouter des problèmes liés à son implantation géographique.

Sur ce point, on aimerait bien que la Ville de Paris se bouge un peu, en renfort de l'Etat, pour favoriser le développement économique dans Paris intra-muros. Je pense notamment aux nombreux bâtiments de l'Etat laissés vides, abandonnés à des squatters qui ont approprié de façon stérile l'espace financé par le contribuable. L'abandon de l'immeuble de la DRASS à Paris, par exemple, rue de la Mouzaïa, à une communauté baba-cool, alors qu'on pourrait en faire une pépinière d'entreprises et y loger des centaines de salariés, illustre bien le désintérêt réel des pouvoirs publics pour le développement des entreprises. Ces enjeux-là sont occultés, pourtant ils sont une réponse essentielle aux besoins des entreprises.

Denis Jacquet :  Nous avons été « impressionné » par la forme et le fonds. Nous ne nous attendions pas à un tel plaidoyer, soutien, sans faille, sans artifice, ni fausse formule. Le soutien à l’entrepreneuriat a été limpide, animé, porté, c’était très rassurant. La confiance réside en partie dans ce soutien et dans des mesures fortes et impactantes. Nous avons de ce point de vue été servis. Le travail remarquable de défense de la cause entrepreneuriale par Fleur Pellerin, qui a juste titre a été dépeint par le Président comme « non catégoriel » mais au service de la France, des français, a été récompensé cet après-midi. Les mesures auraient bien entendu pu être reprises plus intégralement. Nous aurions aimé avoir plus d’annonces sur l’accompagnement et l’international notamment. Sujets majeurs quand on considère la descente aux enfers du nombre de PME partant à l’international depuis 10 ans, ce qui nous éloigne de points de croissance qui nous seraient bien utiles. Idem quand on considère à quel point l’accompagnement change totalement la donne pour les sociétés accompagnées, en augmentant de 40% en moyenne le taux de réussite sinon catastrophique des PME naissantes.

Mais soyons réalistes et honnêtes, ce qui a été annoncé aujourd’hui est un changement radical dans le discours politique de ce gouvernement et les mesures sur l’international, la fiscalité, le financement, l’éducation, pourraient être le premier pas d’une révolution entrepreneuriale dans ce pays. A court et moyen terme. Appliquer ce bouche à bouche entrepreneurial à une population d’entrepreneurs qui vivaient en apnée depuis 6 mois, permet clairement de prévoir une remontée à la surface sans trop de paliers de décompression.

En conclusion, très beau départ en fanfare, mais continuons de jouer la même musique. Pour cela les Assises devront se maintenir en permettant aux chefs de file de travailler aux côtés du gouvernement. Nous nous y sommes engagés à partir du moment où nous étions en phase avec les premières annonces.

Lesquelles sont les plus susceptibles d'améliorer la situation actuelle des entreprises ?

Eric Verhaeghe : L'évolution de la fiscalité sur la cession des plus-values est un geste important. Beaucoup d'entrepreneurs sacrifient la rémunération de leur travail pendant la phase d'amorçage de l'entreprise pour se récupérer au moment de la vente. En alignant la fiscalité des plus-values sur la fiscalité du travail, le gouvernement avait commis une grave erreur d'interprétation qu'il tente de réparer aujourd'hui. Je trouve le principe d'une fiscalité liée à la durée de détention plutôt intelligente, car elle encourage l'investissement long et ça me semble partir d'un bon principe. Elle devrait rassurer les entrepreneurs sur le fait qu'ils ne sont pas perdants même quand ils réussissent à bâtir une affaire qui se vend dans de bonnes conditions.

Cet élément de garantie me paraît plutôt positif. Je place dans le même compartiment positif les propositions à venir sur le "crowdfunding", c'est-à-dire le recours à l'épargne des particuliers sans l'intermédiation des banques. Il faudra voir concrètement ce que le gouvernement va proposer sur le sujet. Mais, à ce stade, l'annonce est plutôt positive, dans un contexte où, chacun le sait, les coulisses du pouvoir sont phagocytées par les banques très hostiles à ce mouvement. 

Denis Jacquet : L’urgence c’est le financement des PME. De ce point de vue, le fléchage de l’épargne longue et l’incitation fiscale pour les investisseurs est un point capital. Mais insuffisant. Il faut de toute urgence lancer un chantier trésorerie et BFR, sinon quelques milliers d’entreprises mourront avant de voir les effets de ces mesures. Ce travail doit être fait à court terme en imposant aux grandes entreprises un moratoire sur le paiement à 60 jours afin de le ramener pour 24 mois à 30 jours sans mesures de contournement ou gesticulation de mauvaise foi auxquelles on assiste en permanence depuis la loi LME. A moyen terme un chantier majeur sur la dématérialisation harmonisée des factures de la sphére publique, permettrait d’injecter au moins 2.5Mds d’euros dans les PME.

Pour les entreprises enfin, aller collecter à l’international, le point de croissance que nous n’aurons pas en Europe, est essentiel. De ce point de vue, il faudra compléter la copie, sur la base de nos mesures et augmenter de 50% le taux d’entreprises qui partent à l’international et qui transforment l’essai au lieu de baisser les bras.

Sur l’accompagnement il faut d’urgence simplifier le régime et les multiples intervenants, dont la prolifération sans contrôle est un cancer ravageur pour les PME. Souvent peu professionnels, concurrents les uns avec les autres, et peu en connexion avec les réseaux d’entrepreneurs, ils doivent devenir plus efficaces, moins nombreux et dès lors, dotés de moyens plus conséquents mais sur moins d’acteurs.

Suffiront-elles ? Dans quel sens pourraient-elles être améliorées ?

Eric Verhaeghe : Reste entier le problème de la trésorerie des entreprises et le problème de l'accès au capital en phase d'amorçage. De ce point de vue, des mesures plus frontales mériteraient d'être tentées. En particulier, une simplification majeure de la fiscalité indirecte serait utile. La suppression de la TVA inter-entreprises, évoquée par certains, est un vrai sujet à creuser, dans la mesure où elle libérerait une part importante de trésorerie, elle simplifierait la vie des entreprises, et elle n'aurait pas d'effet sur les finances publiques. Dans le contexte où nous sommes, ce genre de mesure ne se trouve tout de même pas sous le sabot d'un cheval.

Il y a quand même un sujet qui doit être traité, tôt ou tard, ce sont les 5 000 pages du Code du Travail dont l'utilité pour les TPE et les PME est plus que douteuse. Une simplification massive de ce dispositif serait libératrice pour l'emploi. Je ne parle pas ici de diminuer les protections dont les salariés bénéficient, mais de les simplifier et de les compléter par une sécurité sociale professionnelle adaptée aux besoins.

En outre, la France reste sourde au Small Business Act, qui permettrait de consacrer une part de la dépense publique aux PME. Dans un pays recordman de la part de la dépense publique dans le PIB, on mesure tout de suite l'enjeu d'une mesure pareille. Je serais d'ailleurs très curieux de savoir quelle somme le contribuable dépense chaque année pour faire vivre quelques grandes entreprises sur le dos de l'Etat.

Signent-elles néanmoins un changement de cap de la part du gouvernement ?

Eric Verhaeghe : C'est à voir dans la durée. Pour plusieurs raisons: parce que ces mesures ont été portées par un secrétariat d'Etat qui n'a pas de poids, et par une sous-ministre qui n'en a pas plus. Le temps de la loi de finance va venir rapidement, et il faudra voir comment concrètement ces mesures vont peser face aux grands ministères qui sont toujours très gourmands et très égoïstes. Ensuite, chasser le naturel... aucun décideur public français ne connaît les TPE, ne sait personnellement ce que signifie "entreprendre" en partant de rien, ne sait ce que veut dire concevoir un produit et le vendre. L'exercice du gouvernement reste donc très théorique pour ses membres. L'équipe Ayrault a suffisamment pratiqué la palinodie pour que nous restions sur notre réserve.

Denis Jacquet : Ce n’est plus un cap mais une péninsule !! Qui aurait imaginé un discours aussi galvanisant 6 mois après une chasse aux sorcières dans laquelle le dogme l’emportait sur la raison et le calcul budgétaire sur l’impact économique général ? Personne. Le président aurait pu retenir des mesures moins fortes, plus molles, et les soutenir du bout des lèvres. Non. Il les a portées haut et fort, avec un discours sans ambiguïté. De ce point de vue, c’est à la fois une reprise en main par l’Etat à son sommet, le premier ministre ayant été assez transparent dans cette affaire, et soutenu par Fleur Pellerin à l’autre bout de la chaîne. Tous les entrepreneurs présents ont eu la chair de poule et ont senti les vibrations positives qui émanaient de ce discours.

Maintenant ce qui va compter c’est la mise en œuvre. Raison pour laquelle nous avons insisté pour que notre travail perdure après la journée d’aujourd’hui. Afin que nous puissions veiller à une bonne et rapide application des mesures. Et en proposer d’autres.

Sont-elles de nature à rétablir le dialogue et la confiance avec les entrepreneurs ?

Denis Jacquet : Même cause, même effet. Nous avons indiqué notre soutien sans faille à partir du moment où nous étions écoutés. Nous avons été entendus, ce qui est encore mieux et nous sommes à disposition du Gouvernement et de son président afin de porter au sommet de l’Olympe, cette flamme entrepreneuriale qui aurait pu autrement s’éteindre. Là aussi nous attendons la suite de la pièce, la 3ème mi-temps, qui comme en sport créé les liens éternels et assurent le succès de la prochaine rencontre.

Eric Verhaeghe :  La confiance se construit dans le temps, et pas seulement à partir de belles paroles. Il faudra des actes, et une constance... valeur dont le gouvernement Ayrault ne semble pas être le champion. Et puis il y a, il faut bien le reconnaître, un sujet majeur de dialogue avec le gouvernement actuel. Le recours à de grandes concertations, à des assises en cascade, cache très largement une surdité profonde des décideurs publics vis-à-vis des acteurs privés. C'est l'esprit de la cour de Versailles, qui supposera des mesures bien plus fortes pour être vaincu, qu'une annonce à l'issue des Assises. 

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