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Assaut contre les preneurs d'otages : la manière forte à l'algérienne peut-elle mener à autre chose qu'à des bains de sang ?
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Terrorisme

Aucun bilan officiel n'a filtré après l'assaut mené sur une partie du site BP par les forces algériennes. Des sources font état de 30 otages morts, dont un Français.

Bernard Lugan,Ahmed Rouadjia et Gérard Jaeger

Bernard Lugan,Ahmed Rouadjia et Gérard Jaeger

Bernard Lugan est historien, spécialiste de l'Afrique.

Expert auprès du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), il est aussi conférencier au Centre des Hautes Etudes militaires, à l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale, et dirige un séminaire au Collège interarmées de Défense (Ecole de Guerre).

Bernard Lugan édite la revue Internet livrée par PDF Afrique Réelle et anime un blog consacré à l'actualité africaine.

Il est également l'auteur de Décolonisez l'Afrique ! (Ellipses, 2011) et de Histoire de l'Afrique des origines à nos jours (Ellipses, 2009), et vient de publier une Histoire des Berbères. Un combat identitaire plurimillénaire à commander sur son blog.

Ahmed Rouadjia, né en avril 1947 en Algérie, a obtenu son doctorat d’histoire à Paris VII (Jussieu) en 1989. Ex-Maître de Conférences en science politique à l'Université de Versailles, ex-chercheur au Centre d’Histoire du Droit et de Recherches informatives de l’Université de Picardie Jules Vernes (1991-1999) et de l’INED (1997-2000), ancien assistant stagiaire à l’Université de Constantine (1983-1988), il est actuellement Maître de Conférences à l’Université de Msila (2006-2011) et directeur du Laboratoire de Recherche d’histoire de sociologie et des changements sociaux et économiques .

Gérard Jaeger est historien, il est l'auteur d'ouvrages de géopolitique et de biographies de personnages en marge de l'Histoire, comme Anatole Deibler (Le Félin, 2001). Il est également l'auteur de Prises d'otages : de l'enlèvement des Sabines à Ingrid Betancourt, publié aux éditions Archipel. 

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Atlantico : Le gouvernement algérien a géré la prise d'otage de la station BP d'une main de fer. Peut-on dire que cette politique de non-négociation est caractéristique de la façon dont l'Algérie négocie avec les terroristes ?

Bernard Lugan : L’Algérie a de tout temps eu une ligne constante en la matière qui consiste a dire qu’elle ne négocie en aucun cas avec les preneurs d’otages. Cette ligne est souvent martelée par les grands dirigeants occidentaux mais dans les faits il s’avère que la plupart des grandes puissances ont négocié à un moment ou à un autre pour sauver des otages. A l’inverse des pays comme l’Algérie ou la Russie sont de réels partisans de la manière forte et choisissent systématiquement d’intervenir en dépit du coût humain que cela provoque. Il s’agit d’une stratégie qui peut heurter notre conception des Droits de l’Homme mais il n’empêche que cela s’avère efficace sur le long terme.

Ahmed Rouadjia : Cette manière d’agir du gouvernement algérien, de tous les gouvernements successifs de l’Algérie indépendante, ressort en effet d’un trait caractéristique et constant de non-négociation avec tous ceux qui mettent en cause l’autorité de l’Etat, lequel devrait et doit inspirer crainte et respect de son image. Cela traduit une intransigeance sur « les principes » que l’on considère comme intangibles.

Pour eux, céder en l’occurrence, au chantage et à la pression des terroristes, c’est faire preuve tout bonnement de lâcheté, de faiblesse, et partant, d’absence « d’Etat ». Or, l’Etat tel que les hommes politiques ou plutôt les « décideurs » se le représentent est une entité transcendante, et comme telle, elle ne doit en aucun cas transiger ou négocier avec des « hors la loi » qui rêvent de le déstabiliser ou de le démolir. Il ne doit ni s’abaisser ni marchander ses principes de fermeté afin de ne pas paraître « faible » devant eux. L’Etat pourrait négocier avec les terroristes mais à la seule condition qu’il le fasse à partir d’une position de force qui lui donne toute latitude pour mener le jeu et contrôler les enjeux…

L’intransigeance qui caractérise le gouvernement algérien, tout comme ceux qui l’ont précédé, procède d’une sorte de culture jacobine, héritée comme par contamination de la France révolutionnaire, culture qui n’admet ni contradiction ni contradicteur, à la manière de Robespierre… Une posture qui répugne au dialogue dont les règles sont définies par l’adversaire qui tenterait d’user de menace ou d’intimidation, surtout quand cet adversaire se montre insolent ou irrévérencieux à l’égard de l’Etat et de ses symboles.

La culture de la fierté, et de l’orgueil, parfois déplacé, à l’instar de celui de la France « civilisatrice » du monde, et qui constitue le fond de l’idéologie du nationalisme algérien explique en grande partie cette fermeté qui fait peu de cas des conséquences qui pourraient en résulter…

L’intervention musclée de l’ANP contre la base d’In Amenas investie par les terroristes djihadistes d’Aqmi (la katiba des Moulathamines), quitte à massacrer au passage des otages innocents, s’inscrit en ligne droite dans cette représentation de l’autorité qui doit à tout prix s’imposer et en imposer.

Gérard Jaeger : Nous connaissons la réactivité grandissante de ces groupes. Auparavant, si nous disposions de moins de moyens, nous avions davantage de temps pour réagir. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’immédiateté. Dans le cas d'opérations terroristes, quand l’autorité locale prend des décisions, qu’elles soient légitimes ou non, elles s’avèrent souvent efficaces.

Ce besoin de réagir rapidement ne peut cependant à lui seul pas expliquer la raison pour laquelle l'Algérie a agit en cavalier seul. Dans le cas de l’Algérie, la situation est plus complexe étant donné l’antagonisme latent qui existe avec la France. En réagissant si promptement elle a probablement voulu prouver qu’elle était capable de réagir et d’anticiper.

Quel est le poids des diplomates des pays dont sont originaires les otages étrangers dans ce type d'intervention ?

Gérard Jaeger : Le caractère d'urgence lié à ce type de situations fait que leur poids est le plus souvent quasi-nul. Il n'est alors pas possible pour le pays concerné de prendre le temps de la concertation avec les différents ambassadeurs présents sur le territoire. Il y a de plus pour chaque pays impliqué des procédures hiérarchiques extrêmement longues qui ferait que l'opération serait retardée de plusieurs jours si l'avis de chacun devait être pris en compte. Un délai dont les preneurs d'otages pourraient profiter pour conforter leurs avantages dans les négociations - la pression de l'opinion publique augmentant avec le temps, les pouvoirs publics seraient de moins en moins libre d'agir.

Cette stratégie de non-négociation est-elle payante à terme malgré le fort coût humain ?

Gérard Jaeger : Nous sommes, contrairement aux terroristes, confrontés à une opinion publique qui déteste la mort. On va jusqu’à reprocher la disparition d’un soldat lors d'une opération militaire. A la longue, cela risque de se retourner contre nous : c’est le côté fragile de la démocratie. En réalité, nous sommes face à des gens qui ne parlent pas le même langage. Sur le long terme, bien entendu, il faut négocier.Néanmoins, il faut quand cela s'avère nécessaire, taper du poing sur la table, réagir de façon forte. "Si nous négocions, c’est parce que c’est dans notre tradition, mais si vous allez trop loin, nous réagirons de la même manière que vous", tel devrait être notre message. Il me semblerait opportun et justifié d’envoyer des messages menaçants.

Et si besoin en sortant du cadre de la loi ?

Gérard Jaeger : Dans le cas par exemple de la libération d'Ingrid Betancourt, c'est la Colombie qui était aux manettes, bien que médiatiquement nous ayons proclamé que nous étions partie prenante. Et les Colombiens n'ont pas hésité à tricher : souvenez-vous, Ingrid Betancourt était sous le couvert visuel d’un hélicoptère de la Croix Rouge, ce qui constitue une violation flagrante de la loi. Or cette opération s’est avérée être un succès. La question se pose donc de savoir si dans certains cas extrêmes comme celui-ci il ne faut pas se résoudre à avoir recours à des stratagèmes, en les reconnaissant et les assumant par la suite. Lorsque des opportunités se présentent, il faut avoir le courage de les saisir. Je dis courage car l’opinion publique reste juge, généralement sévère. Les politiques sont trop souvent les otages de l’opinion publique.

 Propos recueillis par Théophile Sourdille

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