Publication avancée des résultats de la présidentielle : cette incroyable prétention française à vouloir régir les médias étrangers<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Publication avancée des résultats de la présidentielle : cette incroyable prétention française à vouloir régir les médias étrangers
©

Ponctualité suisse

Matthias Guyomar, secrétaire national de la Commission des sondages, a menacé de poursuivre les médias suisses si ceux-ci publiaient les premières estimations des résultats du 1er tour de la présidentielle à 18h. Le rédacteur en chef de La Tribune de Genève lui répond. Avec virulence.

Pierre Ruetschi

Pierre Ruetschi

Pierre Ruetschi est un journaliste suisse.

Il occupe le poste de rédacteur en chef de La Tribune de Genève depuis 2006.

Voir la bio »

Atlantico : Matthias Guyomar, le secrétaire national de la Commission des sondages a fustigé l'intention des médias suisses de publier les premières tendances du premier tour de l'élection présidentielle à 18 heures au lieu de 20 heures, comme il est pratiqué en France, et les a menacés de poursuites s'ils s'exécutaient. Malgré cela, comptez-vous publier les résultats avant 20 heures ?

Pierre Ruetschi : Absolument. Nous le faisons depuis plus de dix ans maintenant et notre objectif est de donner une information sûre et vérifiée le plus rapidement possible à tous nos internautes, suisses en priorité.  Nous ne pouvons évidemment pas être tenus pour responsables des effets que peut avoir cette information dans l’ensemble du monde connecté à internet.

Vous faites allusion à Twitter et aux réseaux sociaux ?

Je fais référence au fait que nous sommes un média suisse qui diffusons à partir de la Suisse, mais aussi sur Internet. Cependant, Internet est un réseau mondial qui peut être consulté à l’international, et nous ne pouvons pas être contraint de nous soumettre à toutes les législations nationales de quelque 200 pays, c’est ridicule.

Comment interprétez-vous la déclaration de Matthias Guyomar ? Est-ce de l’arrogance, selon vous ?

Sa menace de poursuivre les médias étrangers s’ils diffusent les résultats avant l’heure me sidère. C’est tout de même la première fois, qu’un gouvernement étranger, à ma connaissance, menace directement et de cette façon des médias d’un autre pays comme si nous étions soumis à la loi française.

Je ne comprends pas cette volonté de vouloir museler les médias suisses, car on sait qu’il y a des dizaines de millions de personnes qui fréquentent Facebook, Twitter et qui alimentent leurs blogs. Ce simple fait rend sa déclaration tout simplement vaine et totalement anachronique car elle ne permettra pas de retenir l’information. 

Matthias Guyomar, s’il  voulait s’assurer contre les dérapages dans le déroulement de cette élection présidentielle, ferait mieux d’encourager les médias professionnels à publier des estimations et premiers résultats dûment vérifiés à la source. Car il sera sans eux extrêmement difficile de distinguer le vrai du faux et de l’intox dans le bruit informatif que les réseaux sociaux produiront dimanche soir. En tant que médias, nous sommes tenus à et nous allons diffuser des informations qui sont de première main et vérifiées. Si Monsieur Guyomar veut éviter toute fuite de résultats avant 20 heures qu’il coupe l’information à la source ! Si personne n’y a accès, elle ne se propagera pas. Finalement, c’est bien son problème.

Pensez-vous que Matthias Guyomar puisse être de connivence avec les grands médias qui veulent garder le monopole sur ces soirées électorales et empêcher les nouveaux médias de diffuser avant l’heure ?

Je n’ai pas de compétences pour juger dans le détail la politique de vos autorités à l’endroit des médias français sur cette question précise.  Mais on peut  en tout cas imaginer une volonté de la part des autorités de garder le timing sous contrôle en mettant tous les médias sur un pied d’égalité avec une diffusion des résultats à 20 heures.

France Télévisions n’a probablement pas envie d’être grillée par des sites de journaux et d’autres médias sur l’annonce anticipée des résultats ce qui réduit évidemment l’effet de la grand-messe électorale du 20 heures. Il est évident que cette tentative de brider tous les médias va échouer. Cette décision, et cette façon de faire est complètement anachronique. Il y a en tous les cas de la naïveté et une grande méconnaissance de la réalité à proférer telle mesure. Ou, et là ce serait  tout aussi navrant mais plus grave encore, une volonté de protéger les télévisions « officielles ».

Les Suisses sont-ils particulièrement attentifs à la campagne qui se déroule en France ?

La Tribune de Genève est traditionnellement un des premiers, sinon le premier média à fournir les sondages lors des élections françaises, cela depuis une dizaine d’années.  En 2002, les sondages, si  je m’en souviens bien,  étaient interdits pendant la semaine précédant  l’élection. Or la Tribune de Genève,  avait fait réaliser ses propres sondages que nous avons diffusés lors de la semaine.  Puis nous avons diffusé les résultats dès 18 heures le dimanche.

Nous le faisons pour une raison très simple. N’oublions pas que nous partageons cent kilomètres de frontières avec la France et seulement quatre avec la Suisse. Le territoire genevois est donc enclavé dans la France et tous les jours quelque 80.000 frontaliers viennent travailler à Genève. Pas étonnant donc que même si, évidemment, nous ne pouvons pas voter,  nous vivons cette campagne intensément et la suivons d’extrêmement près. Le fait de diffuser ces résultats de façon rapide et complète est un service que nous devons à nos lecteurs et à nos internautes.  Dès 18 heures, aussitôt que nous aurons les premières tendances,  nous donnerons donc les fourchettes de résultats. Mais notre travail ne s’arrête pas là. Dans nos éditions de lundi de la Tribune de Genève qui sont aussi consultables sur notre site abonnés,  nous publierons en ouverture du journal quatre pages  d’analyses indépendantes et de réactions originales préparées par notre service international .

En France, les bureaux de vote de certaines grandes villes seront toujours ouverts après 19h. Les tendances que vous allez diffuser seront-elles fiables ?

Si on se réfère aux deux précédentes présidentielles, les tendances étaient assez fidèles aux résultats sortis définitivement des urnes. Donc, ce sont des éléments d’information fiables que l’on peut tout à fait diffuser.  Et qui n’ont, même dans le scénario du pire, qu’un effet complètement négligeable sur l’issue du scrutin.

Estimez-vous que l’attitude de la France est arrogante envers les médias étrangers, vous sentez-vous rabaissés par les médias traditionnels et les autorités françaises ?

Je ne ressens pas d’arrogance de la part des médias français. De la part des autorités, je peine à distinguer s’il s’agit d’arrogance ou plutôt d’ignorance du fonctionnement des médias étrangers. Si  nous étions un média français j’aurais une position différente, car j’observe des tentatives de pressions - le gouvernement Sarkozy en a fait la démonstration -  qui me semblent beaucoup plus inquiétantes. A Genève, nous sommes libres de donner l’information qui nous semble importante sur la France et nous n’avons pas à composer avec d’éventuelles tentatives de « pilotage » de la part des autorités. Une tâche qui est sans doute nettement plus difficile et délicate, en certaines circonstances, pour des médias français.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !