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Arme nucléaire française contre effort budgétaire allemand : attention marché de dupes
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Union européenne

Face au statu quo européen actuel, aussi bien sur les questions économiques que stratégiques, Paris et Berlin sont appelés à affronter les tabous issus de la guerre froide pour pouvoir avancer.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon une tribune de François Heisbourg et Maximilian Terhalle publiée par Politico, l'Europe se doit d'affronter ses tabous post-guerre froide dans un contexte de modification des priorités des Etats-Unis (vers la Chine), notamment sur la question de la dissuasion française, et de l'approche monétaire et fiscale européenne, ici principalement du côté allemand. En quoi un assouplissement des positions des uns et des autres pourrait-il modifier la donne européenne ? 

Nicolas Goetzmann : Il est déjà utile de saluer une telle tribune qui affronte les enjeux actuels de façon globale en proposant une stratégie de long terme. En liant les enjeux stratégiques et économiques au contexte actuel, on retrouve un peu de souffle dans l'analyse, ce qui permet d'ouvrir des sujets de discussion.

Cependant, le volet économique de l'analyse pointant l'aspect fiscal et monétaire européen comme le tabou le plus difficile à affronter me semble encore sous-évalué, non pas concernant le dogme qu'il représente, mais comme une cause profonde des problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

En premier lieu, lorsque nous actons le fait que les Etats-Unis se détournent de l'Europe, nous ne pouvons ignorer que les critiques étaient présentes avant l'arrivée de Donald Trump et qu'elles perdureront sans doute après son départ de la Maison Blanche. Ces critiques soulignent l'incapacité des européens à satisfaire leurs engagements financiers vis-à-vis de l'OTAN, ce qui est factuel, mais également, et surtout, le fait que l'Europe "profite" des Etats-Unis du point de vue commercial. Ce qui est également un fait. Il ne faut pas oublier que les divers communiqués des G20 de l'ère Obama ont toujours pointé les déséquilibres commerciaux provoqués par les européens, qui continuent de jouer le jeu du cavalier solitaire de l'économie mondiale. Ces déséquilibres, dont l'Allemagne est le premier acteur, provoquent effectivement des dégâts aux États-Unis, qui peuvent légitimement se sentir lésés. Le lien de confiance unissant Europe et Etats-Unis se trouve réellement fragilisé par notre attitude, et cela est véritablement sous-estimé de notre côté de l'Atlantique. Il semblerait que les effets causés par notre rigidité économique, que ceux-ci soient internes (Gilets jaunes, populismes etc..) qu'externes (l'agacement des Etats-Unis) ne soient pas encore diagnostiqués à leur juste valeur par nos dirigeants.

La correction de cette approche de cavalier solitaire permettrait déjà de renforcer les liens avec les Etats-Unis, en formant une alliance économique de fait, basée sur une volonté de générer, au sein des deux plus grands ensembles économiques mondiaux, une nouvelle approche du développement économique, basée sur une croissance maximale. Encore une fois, il faut bien se rendre compte que dans la situation actuelle, l'Europe est un frein à une telle ambition, et qu'elle a, depuis près de 10 ans, une fonction de parasitage de la croissance mondiale, plutôt qu'un rôle de participant actif. Cet enjeu est massif parce qu'il correspond à la cause principale de la fragilisation interne de l'occident, à ce sentiment de déclin qui nous anime depuis les années 80.

Le deuxième point à souligner est que la tribune fait référence à la dissuasion française comme forme de monnaie d'échange envisageable pour faire évoluer l'approche économique allemande dans le sens du plan européen d'Emmanuel Macron (le budget européen). C'est une approche qui pourrait se justifier si la mise en place d'un important budget européen pouvait apporter une réponse aux défis économiques de la zone euro, mais le problème est que cela n'est pas le cas. Le tabou à affronter est d'abord et essentiellement monétaire : il consiste à modifier les traités européens pour faire de l'euro une monnaie de développement économique maximal et de plein emploi. Une question qu'Emmanuel Macron n'a jamais abordée, et qui représente effectivement un tabou ultime pour Berlin. Et c'est peut-être là que se trouve le point d'achoppement principal d'une telle stratégie. Alors que l'Allemagne est entrée dans une logique de retour à la nation dès la réunification, mettant ses intérêts nationaux avant les intérêts de ses partenaires européens, la France se lançait dans une réflexion européenne, en oubliant parfois un peu rapidement ses intérêts nationaux, un déséquilibre se mettait alors en place. Il faut donc se poser la question de l'opportunité d'un tel partenariat, parce que l'Allemagne n'a pas été un partenaire tellement fiable au cours de ces dernières années, même si l'on peut largement critiquer la façon dont la France a oublié de défendre ses intérêts.

Ce dont il faut se rendre compte, c'est que cette description n'est pas faite en France par nos dirigeants alors qu'elle existe en Allemagne. En novembre 2018, lors de la campagne interne à la CDU, le candidat perdant Friedrich Merz déclarait : « Voyons les choses en face, nous bénéficions d'une politique monétaire que la plupart des habitants de ce pays ne souhaitent pas. Mais nous en bénéficions fondamentalement " (…)" Cette monnaie est trop faible pour notre économie, mais trop forte pour la plupart des autres" "Nous bénéficions de cette politique monétaire au sein de l’Union européenne, au sein du marché intérieur (…) nous en bénéficions également par le commerce international - vers la Chine, les États-Unis, et d’autres régions du monde".

Quelle approche alternative pourrait-être mise en place dans le contexte actuel ?

Retisser le lien transatlantique est une alternative. Il s'agit de modifier notre approche économique en apportant notre contribution à la croissance mondiale – en ne laissant pas seuls les Etats-Unis sur cette question- et en appuyant les Etats-Unis dans leur tentative de rééquilibrer les débats commerciaux avec la Chine. Il ne s'agit pas non plus de baisser les bras sur tous les sujets avec les Etats-Unis, mais d'agir sur un pied d'égalité au niveau économique, ce qui est en notre capacité. L'Europe en sera bien moins vulnérable, aussi bien par rapport aux Etats-Unis, qui n'auront plus grand-chose à dire, mais également vis-à-vis des investissements chinois dans la périphérie européenne. L'Europe en serait profondément renforcée sur le plan économique, ce qui fera mécaniquement progresser son effort militaire. C'est à ce moment-là que la question de la dissuasion pourrait se poser, si elle venait encore à se poser dans de telles conditions de coopération entre Europe et Etats-Unis. Au regard du contexte de défiance existant entre Washington et Berlin, il peut appartenir à la France de tenter cette profonde inversion de la logique européenne, en s'appuyant sur Washington sur la base d'intérêts communs (les dégâts causés par l'approche économique européenne touchent France et Etats-Unis de la même façon, pour les mêmes causes) pour peser en faveur d'une modification de l'approche européenne de l'Allemagne. 

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