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Après le divorce (prévisible) entre Hamon et Mélenchon, qui gagnera la bataille féroce du vote utile à gauche ?
©CGPME

Meilleurs ennemis ?

Emmanuel Macron et Benoit Hamon représentent deux bouts d'un spectre de couleurs politiques à gauche. Ils s'opposent sur bien des points. Mais leurs électeurs leurs demanderont de se mettre d'accord quand il faudra battre la droite et l'extrême-droite.

Annabel Roger

Annabel Roger

Annabel Roger, journaliste indépendante, ancien grand reporter à RMC, collabore à la revue L'Hémicycle et à Radio Classique.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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La perspective d'une alliance de la "vraie gauche" avec Jean-Luc Mélenchon ayant échoué, le Parti Socialiste de Benoit Hamon n'a-t-il pas d'autre choix que de se tourner vers Emmanuel Macron et son électorat aujourd'hui s'il compte réellement peser dans cette élection ? A quoi pourrait ressembler un "Front social-démocrate" qui unirait ces deux candidats  ? Quelle forme pourrait-il prendre ?

Annabelle Roger : On peut tout d'abord douter de la franchise de la négociation entre le candidat de la France insoumise et celui du Parti Socialiste ! Mais il semble en effet qu'à sa gauche, Benoît Hamon n'a plus d'autre possibilité que de se tourner vers sa droite, même s'il négocie aujourd'hui avec le candidat des Verts, Yannick Jadot, et qu'en conséquence il n'a aucun intérêt à s'y porter immédiatement. De plus, son élection à la primaire sur un programme de rupture avec l'actuel gouvernement le contraint à tenir une ligne très éloignée de celle du candidat qui est le plus proche à sa droite, en l'occurrence Macron. Il ne pourra principalement pas le suivre sur les questions économiques, étant partisan de l'abrogation des lois que Macron a porté alors qu'il était ministre. Mais les deux hommes ont déjà travaillé ensemble, et pourrait avoir besoin l'un de l'autre, surtout en cas de situation complexe aux législatives. On pourrait imaginer des accords en cas de risque de second tour à quatre, afin de faire barrage à la droite et à l'extrême-droite. Tout dépend évidemment de la position dans laquelle ils se retrouveront à l'issu de la présidentielle, mais les deux mouvements constituent malgré tout la gauche dans tout son spectre, et pourraient redevenir la gauche en tant que Front Républicain, comme le passé l'a toujours montré auparavant.

Jean Petaux :  Il y a là un scénario dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il relève de l’hypothèse incertaine  et pas forcément d’une forte probabilité. La première question qui doit être posée concerne d’abord Benoit Hamon et son rapport à la fonction présidentielle. Benoit Hamon veut-il gagner la présidentielle ou veut-il réorganiser le Parti Socialiste en fonction du projet politique qu’il a développé lors de la campagne de la primaire "Belle Alliance Populaire" ? C’est une question qui détermine forcément sa stratégie à l’égard d’Emmanuel Macron et de ses soutiens. S’il n’est disponible pas pour toutes les alliances, dans le souci de l’emporter le 7 mai au soir il va développer, a minima, une succession de propositions destinées à récupérer, à son profit l’électorat Macron. Autrement dit il va lui forcément "libéraliser", "ubériser" son discours pour "faire du Macron" en quelque sorte. Il est clair, aujourd’hui, qu’Hamon ne prend pas ce chemin. Ce n’est pas parce qu’il a refusé d’amener les têtes de Valls, d’El Khomri, de Touraine, de Carvounas, sur le billot tenu par le procureur Mélenchon, qu’il est aussi disposé dans le même temps à faire un bout de chemin avec Macron. Dans votre question vous évoquez l’émergence d’un "Front Social-démocrate" qui "souderait" le duo "Hamon-Macron". L’intitulé-même de cet "hypothétique Front" montre son improbabilité ou sa dimension purement idéelle. Car d’un côté avec Hamon on peut imaginer qu’il faudrait que ce front soit "Socialiste et écologiste" quand, de l’autre, avec Macron, on conçoit que ce même front serait "Social et libéral". Même dans les mots, à imaginer qu’il n’y aurait que cette seule différence, on mesure combien les points de désaccord entre les deux candidats sont beaucoup plus nombreux que les points d’accord. Il n’est pas du tout d’ailleurs dans les intentions (ni sans doute dans son intérêt) de Macron de construire de son côté une telle alliance. Voulant se tenir à équidistance de la gauche et de la droite, on voit mal Macron risquer de perdre ainsi sa position "centriste" et "centrale" en glissant vers une gauche partisane dont il entend, depuis le début de son engagement dans la course présidentielle, prendre ses distances et se démarquer.

Sur quelles bases pourraient-ils s'unir ? Quels points communs permettent le plus pragmatiquement un réel rapprochement ?

Annabelle Roger : Si on excepte l'économie, tout ce qui constitue les deux programmes (pour ce qu'on en connaît aujourd'hui) unit les deux hommes. Sécurité, Europe et Société sont des thèmes sur lesquels ils peuvent vraiment s'entendre. On peut donc imaginer un tronc commun sur ces points-là (même s'il faudra nécessairement désigner un vainqueur sur le plan économique, quitte à proposer une solution floue et ambivalente, comme a su le faire un François Mitterrand ou François Hollande.
Ce qu'on peut aussi noter, c'est que le revenu universel de Benoit Hamon qui devait être de 750 euros pour tous devient de 600 euros pour les 18-25 ans. Macron considère que le revenu universel existe déjà, et qu'il s'appelle le RSA. Ils défendent donc deux jeunesses différentes. D'un côté celle qui veut trouver un travail, de l'autre celle qui veut entreprendre. Sur ce point-là, ils ne sont pas si incompatibles au fond, si l'on présente la chose avec ambivalence, ils pourraient trouver un compromis.

Jean Petaux : Objectivement je ne vois guère de points communs entre Hamon et Macron. D’ailleurs quand il était parlementaire, puisque Hamon est revenu à l’Assemblée quand Macron est rentré au gouvernement, en août 2014, le député socialiste Hamon n’a pas voté les projets de loi portés par le ministre Macron. En fait cette éventuelle alliance entre les « deux bouts de l’omelette socialiste » (pour employer un vocabulaire qui décrivait métaphoriquement la situation politique sous la IVème République), entre la gauche du PS et son aile droite ne peut se faire directement. Il faut un « pont » ou si l’on préfère une personnalité « passerelle » qui a toujours existé au sein du PS depuis le congrès d’Epinay en juin 1971. Ce fut constamment le rôle d’un François Mitterrand jouant habilement l’alliance avec le courant CERES de Chevènement sur son aile gauche alternative avec celle qu’il pouvait conclure, sur sa « droite », avec les « mauroyistes », et, plus tard, avec les « rocardiens » en 1988 après les avoir voués aux gémonies 9 ans plus tôt au congrès de Metz en 1979 dans le duel à mort qui l’opposa à Michel Rocard pour le leadership du PS conditionnant la candidature à la présidentielle de 1981. Lionel Jospin en 1995 et surtout en 1997 a été cette personnalité « synthétique » qui a permis de constituer un gouvernement au spectre très large en 1997 non seulement avec les alliés du PS alors (du parti de Chevènement, le Mouvement des Citoyens, aux Verts et aux Radicaux de gauche, sans omettre bien sûr le PCF dirigé par Robert Hue : la fameuse « gauche plurielle ») mais à l’intérieur du PS lui-même allant d’Aubry à DSK ou de Ségolène Royal à Laurent Fabius et même de Mélenchon à Kouchner. François Hollande joua aussi remarquablement ce rôle de « clef de voute » ou si l’on préfère de « synthétiseur en chef ». Les adversaires de Hollande, à l’intérieur du PS, ont souvent moqué, ironisé, vilipendé, le « Monsieur Synthèse molle » (Montebourg et Peillon, voire Hamon, en premiers) en se servant de ce terme pour stigmatiser celui qui dirigea le PS pendant plus de 10 ans. En réalité c’était une critique totalement infondée qui faisait tout simplement abstraction d’un élément aussi évident qu’incontournable : pour qu’une synthèse ait lieu il ne faut pas qu’il y ait un seul acteur. Il faut être plusieurs pour faire une synthèse, au minimum deux… C’est comme pour d’autres activités en somme.  Aujourd’hui le PS n’est plus en mesure d’opérer ainsi une synthèse offrant un front uni entre toutes ses sensibilités. La primaire l’a privé de cette aptitude. C’était déjà le cas avec celle de novembre 2011 puisque la synthèse du congrès de Poitiers, postérieurement à la victoire de 2012, était fausse et « arrangée » en… amont. On a vu le résultat dans la décrépitude des dernières années du quinquennat Hollande.

Le Parti Socialiste ne doit pas en premier lieu de se réconcilier avec son aile libérale (celle de Manuel Valls), s'il souhaite rallier ou se rallier à Emmanuel Macron ? Le risque n'est-il pas de voir le résultat de la primaire (qui avait clairement opté pour une ligne à gauche) être faussée par cette stratégie ?

Annabelle Roger :Hamon va évidemment tout faire pour garder cette frange du parti sous son aile. Mais on peut dors et déjà observer qu'il n'y a pas eu de départ massif vers En Marche ! chez les partisans de Manuel Valls : c'est un signe plutôt positif pour le candidat socialiste, et qui montre que le Parti socialiste veut encore dire quelque chose.

En face Macron revendique 10.000 candidatures pour les législatives alors que la ligne des accréditations du PS est stricte et n'accepte aucune trahison. Dans les faits, il y a aura des compromis, et ce même si en surface rien n'y paraît, et qu'en majorité ces deux lignes  (candidats distincts) seront certainement tenues, tout particulièrement au premier tour. Au second, les choses peuvent évidemment bouger, et ce très radicalement.

On peut encore se poser la question de l'alignement à droite ou à gauche de Macron (même s'il n'a encore jamais vraiment fait de pas vers la droite), mais ce n'est pas le cas pour les partisans de Hamon, qui voteront sans difficulté pour Macron plutôt que de laisser un candidat de droite ou pire d'extrême-droite l'emporter. Ce n'est pas une question de programme dans ce cas, mais bien de sauver sa peau. Les électeurs demanderont à la gauche un candidat, et ils devront se mettre devant le fait accompli qu'ils ne peuvent pas coexister absolument en s'ignorant, malgré les différents certains. C'est sur cette base qu'un vote utile de gauche permettant de voire émerger une gauche de gouvernement s'imposera.

Jean Petaux : Ma réponse précédente montre bien la difficulté à laquelle est confrontée Hamon. Soit il cède à l’injonction externe de Mélenchon qui lui impose une forme de chantage inacceptable et il écarte les éléments considérés comme les « plus droitiers » au sein du PS. Mais dans ces conditions il coupe en deux son propre parti dont il souhaite clairement prendre le contrôle après la présidentielle. Soit il cherche lui-même à opérer une forme de synthèse avec les « Vallsiens » en se rapprochant d’eux mais alors il est dans la potentielle posture d’un Hollande qui aura dit « A » (ou dont on aura cru entendre qu’il a dit « A » pour être plus précis) pendant la primaire et la campagne présidentielle en 2012 et qui dira « B » ensuite, une fois élu. Tromperie assurée pour celles et ceux qui y auront cru. Même s’il est de constante jurisprudence que pour obtenir une majorité de soutiens au PS il est préférable de tenir un discours bien ancré à gauche quitte à faire une bonne politique de droite une fois au pouvoir… Donc si les électeurs de la « primaire socialiste et associés » risquent d’être les « dindons de la farce » compte tenu des éventuels changements de pied de Benoit Hamon dans sa volonté de recoller la porcelaine socialiste, ils n’auront qu’à s’en prendre qu’à leur seule naïveté et crédulité. Rien n’oblige quiconque à participer aux primaires…

Benoit Hamon ne se retrouve-t-il pas dans la situation de Jospin en 1995 qui se retrouve héritier d'un parti qui est plus large que sa propre ligne politique tout en ayant à gérer l'absence de ceux qui la légitimaient précédemment ?

Annabelle Roger : Hamon s'est distingué de François Hollande et ne se considère pas comme comptable de cette présidence, mais Jean-Luc Mélenchon l'a coincé sur le fait qu'il est de fait comptable de l'hétérogénéité de son parti, dans lequel il y a les vallsistes. Il pourrait réussir comme Jospin en 1995, mais s'il n'unit pas ses familles dans la défaite, il pourrait se retrouver avec un cas de figure type 2002 par la suite. Cependant, il faut voir que ce n'est pas la perspective dans laquelle il se place aujourd'hui : il ne fait que défendre le plus possible son programme, car le temps des calculs n'est pas encore venu, et il n'a pas encore à porter le poids du lourd héritage du Parti socialiste et de l'évolution de celui-ci ces dernières années. Et nous reste à découvrir comment il posera les bases de son programme dans les jours à venir.

Jean Petaux : Oui et non. Lionel Jospin qui a été désigné pour la présidentielle en 1995 par un vote interne de tous les adhérents du PS face à Henri Emmanuelli (c’était une première pour tous les partis politiques alors) n’a pas du tout perdu la face devant Jacques Chirac et Edouard Balladur au premier tour. Leur division a d’ailleurs été telle qu’il est "sorti" en tête le (déjà) 23 avril…1995 avec 700.000 voix d’avance sur Chirac et 23,3% des voix contre 20,84% obtenus par le second qualifié pour le second tour. Jospin a voulu s’autoriser un "droit d’inventaire" de la présidence Mitterrand. Cela fut peu apprécié alors  par les plus fidèles disciples (ou auto-proclamés tels) comme Fabius voire Charasse et quelques autres "mitterrandophiles". En réalité ce qui a manqué à Jospin en 1995 c’était un vrai programme qu’il a su retrouver en 1997. Le traumatisme de la cuisante défaite parlementaire de 1993 était trop proche et le naufrage des députés socialistes trop récent dans les têtes. Ce qui manquera peut-être à Hamon sera du même ordre sans l’être tout à fait. Le programme est là pour partie avec une proposition emblématique et clivante, le Revenu universel, mais cela ne suffit pas quand même pour "faire présidentiable" (surtout quand le principal intéressé lui-même, Hamon, ne veut pas jouer ce rôle). Mais, par ailleurs, il reste en effet un parti clairement divisé, quasiment hémiplégique avec un "côté droit" qui ne bouge plus et ne fait pas campagne… A 60 jours du premier tour les choses peuvent évoluer considérablement et rien de permet d’écrire que Hamon est "interdit" de second tour. C’est bien là la grande inconnue qui règne sur cette présidentielle qui ne ressemble à aucune des précédentes : même Benoit Hamon pourrait être président de la République…

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