Après 1968 et 1981, 2024, l’année d’une nouvelle relance par la consommation, en pire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des affiches du Nouveau Front populaire à Strasbourg lors de la campagne des législatives.
Des affiches du Nouveau Front populaire à Strasbourg lors de la campagne des législatives.
©ABDESSLAM MIRDASS / AFP

Pouvoir d'achat

La France insoumise propose, dans le cadre de la campagne des législatives, de faire passer le SMIC à 1.600 euros, d’augmenter les fonctionnaires et de revenir à la retraite à 62 ans.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Avec LFI, la « relance par la consommation » frappe de nouveau à la porte de l’économie  française, plus fort. LFI propose en effet de faire passer le SMIC à 1600 euros, d’augmenter les fonctionnaires, de revenir à la retraite à 62 ans (en attendant 60 ans plus tard), de supprimer les lois (Hollande) qui avaient fluidifié le marché du travail. On compte pour tout cela qu’il faudra plus de 250 milliards d’euros, mais les calculs continuent, et les controverses enflent, le programme devant plus ou moins s’autofinancer par un impôt plus progressif, par un retour d’un ISF peut être gonflé, par des impôts alourdis sur les multinationales et, pour le solde, par des redressements liés à la fraude fiscale. (Avec le RN, les promesses sont déjà plus modérées, non pas tant dans leur logique économique que parce qu’il aura peut-être à gérer le pays et préfère donc moins promettre.

Derrière toutes ces mesures, on trouve l’armature de la « relance keynésienne », alors qu’un soutien keynésien à la demande n’a de sens qu’en cas de chute de la consommation, de menace déflationniste, de pessimisme noir des entrepreneurs et des consommateurs. Or, selon l’Insee, la croissance devrait dépasser 1% en 2024, après 0,9% en 2023. Le pouvoir d’achat des ménages augmente, certes lentement, l’inflation atteint 2,3% et le climat des affaires reste stable en juin. Malgré tout, toujours selon cette source, le climat de l’emploi se détériore légèrement tandis que le nombre d’heures travaillées diminue et surtout le taux de marge des entreprises baisse « nettement » (Insee) à 32,1% de la valeur ajoutée au premier trimestre 2024 contre 33,1% fin 2023. C’est donc au moment où l’emploi est en jeu et où les profit baissent qu’il serait question d’augmenter les salaires !

Cette proposition de relance par la consommation, en fait surtout par la hausse des bas salaires en entreprise, plus des fonctionnaires, repose sur un bouclage hypothétique. Les salaires versés seraient consommés, poussant à plus de demande, donc à plus d’activité interne pour y répondre, puis à plus d’emploi. On parlera alors de multiplicateur, en oubliant que la hausse des salaires doit d’abord être payée par l’entreprise à partir de sa trésorerie, puis par ses prix, avant d’être compensée par un surplus de demande alimenté par le surplus de consommation venant des salaires accrus. Sauf. Sauf si l’entreprise, fragile, ne résiste pas à cette hausse du SMIC, sauf si les consommateurs, inquiets, consomment relativement moins pour épargner plus, sauf si des concurrents plus efficaces s’en mêlent, sauf si des entreprises importent plus, sauf si des exportateurs arrivent… On nous parle alors d’une banque publique pour aider temporairement les PME, preuve que le recyclage n’est pas étanche, sans nous dire combien de temps il faudra pour la monter.

Et il se trouve que ce n’est pas la première fois que la France expérimente une telle politique. En juin 1968, après les « événements de Mai », le SMIG (G pour Garanti) augmente de 35% et se voit rejoint par le SMAG (A pour Agricole) qui croît de 55%, les deux devenant le SMIC que nous connaissons. La balance commerciale plonge mais, heureusement à l’époque, le Franc était là, qui dévalue en 1969. En 1981 ensuite, avec l’arrivée de la gauche, le SMIC augmente de 10%, plus la retraite passe de 65 à 60 ans. Mais le Franc demeure : trois dévaluations s’ensuivront en 1981, 82 et 83.

Aujourd’hui la « relance par la consommation » est toujours là, mais plus le Franc, étant remplacé par l’euro, la dévaluation salvatrice n’est plus là, alors que la croissance de la productivité est faible. Voilà des années que le déficit budgétaire et la dette publique sont installés (3100 milliards)  et le programme LFI-Nouveau Front Populaire revient avec SMIC en hausse et retraite à 60 ans. Que va-t-il se passer avec le surcoût de 250 milliards, avant le fameux recyclage des hausses, bien sûr ?

Les séquelles de 68 et de 81 sont pourtant bien présentes : la Smicardisation de la société crée des carrières au SMIC pour plus de 20% des salariés, avec des retraites tendanciellement plus hautes pour les plus basses, plus basses pour celles qui étaient les plus hautes. Ces séquelles vont empirer, notamment pour les carrières des ouvriers et employés.

Deux leçons : d’abord l’économie se venge toujours quand on oublie sa compétitivité et sa rentabilité, ensuite on l’oublie. On ne le dit jamais, pour ne pas nous vexer sans doute, à moins que ce ne soit pour ne pas reconnaître que cela prendra du temps pour remettre l’économie française sur pied, mais elle n’est pas assez rentable. Or tout en découle. 

L’Excédent brut d’exploitation égale, en 2020, 37% de la valeur ajoutée pour les entreprises allemandes, mais 32% pour les françaises. Dans un monde plus concurrentiel et plus violent, dans une crise climatique et en pleine révolution technologique, sans ne plus pouvoir dévaluer un Franc qui a disparu, sous la surveillance des marchés et de Bruxelles, les deux seuls degrés de liberté qui resteront seront la baisse de la valeur des actifs, regardons le CAC 40, et l’emploi, qui baisseront. Plus encore qu’en 68 et qu’en 81, le risque de la relance par la consommation, ce sera la relance du chômage. Il faudra donc que le NFP rabote beaucoup ses engagements dans  les  jours à venir, plus que le RN qui a déjà commencé. Inutile de se moquer des « rétropédalages » : c’est sain d’être responsable.

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