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Anne-Yvonne Le Dain : "Ma dure expérience pour contrer l’influence d’un imam radical dans ma circonscription"
©Reuters

Sur la mauvaise pente

Cet imam avait été licencié de la grande mosquée Averroès à cause de ses prêches jugés trop radicaux.

Anita Hausser

Anita Hausser

Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale. Elle a notamment publié Sarkozy, itinéraire d'une ambition (Editions l'Archipel, 2003). Elle a également réalisé les documentaires Femme députée, un homme comme les autres ? (2014) et Bruno Le Maire, l'Affranchi (2015). 

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Depuis 48 heures, l'imam Mohamed Khattabi, de la mosquée Aïcha de Montpellier, est assigné à résidence. Cet imam, qui avait été licencié de la grande mosquée Averroès à cause de ses prêches jugés trop radicaux et parce qu'il voulait poser des musharabiehs (sortes de grillages ouvragés, des burkas grandeur nature en somme!) devant le balcon réservé aux femmes, avait tenu des propos odieux sur le genre féminin il y a quelques mois sur une chaine de télévision islamiste. "Peu importe tout le bien que vous ferez à une femme, elle le niera. Son égoïsme la poussera à le nier. Ceci est vrai pour toutes les femmes", avait-il notamment déclaré. A l'époque, cela avait fait sortir de ses gonds la députée de l'Hérault PS, Anne-Yvonne Le Dain, qui est également élue régionale. Mais l'homme, qu'elle qualifie "d'intellectuel brillant", n'avait jamais pu être confondu pour des propos authentiquement racistes, susceptibles de tomber sous le coup de la loi. Aujourd'hui, la mise en oeuvre  de l'état d'urgence permet de porter un coup d'arrêt à son  prosélytisme. L'élue montpelliéraine pense qu'il a influencé des jeunes de la région, les incitant à partir en Syrie pour y faire le djihad. 

Anita Hausser : qui est l'imam Khattabi ?

Anne-Yvonne Le Dain : L'imam Khattabi est d'origine marocaine et détient un passeport canadien. Il exerçait au départ  à la mosquée Averroès, une importante communauté où 1500 à 2000 fidèles viennent prier le vendredi. Au départ, il donnait le sentiment d'être un imam plutôt libéral ; c'est un intellectuel brillant, un bon orateur doté d'une grande force personnelle et d'une considérable capacité d'endoctrinement. Il s'est mis à déraper dans ses prêches en français en arabe en 2012, et il a alors voulu installer des musharabiehs devant les balcons des femmes ; là, il avait commencé à dépasser les bornes. On s'était mobilisé, ce qui a provoqué son exclusion fin 2013. Il n'a pas quitté la région et a fondé une nouvelle mosquée au sud de Montpellier, la mosquée Aïcha. Khattabi tenait des propos très forts, virulents, intégristes. Il a réussi à attirer une partie des fidèles d 'Averroès. Il a siphonné une partie de la jeunesse qui est en train de basculer. Il a aussi incité des gens à venir perturber les prêches de l'imam qui lui avait succédé à la mosquée Averroès et à le huer.

Cet imam n'a pas résisté à la pression ; il a rapidement  renvoyé sa famille en Lorraine parce que leur vie devenait trop compliquée à Montpellier, et lui-même est reparti l'été dernier. Récemment, un imam belge est arrivé pour lui succéder. Il ne faut pas oublier que c'est une jeunesse qui est en grande souffrance sur le plan de l'emploi et souvent en plein désarroi. Ils sont les enfants, petits enfants de personnes que nous avons fait venir en France. Aujourd'hui, il y a une crise économique. Donc, l'intégration qui se faisait par la croissance ne se fait plus faute de croissance. Et cela dure depuis vingt-cinq ans. Donc ces jeunes, qui ont entre 20, 25,30 ans, ils ont vu leur père au chômage ; et ils se demandent ce c'est que ce pays où ils sont nés ; ils n'en connaissent pas d'autre et ils s'interrogent sur leur avenir ici. Pourquoi pas se chercher un avenir ailleurs ? Cette fuite religieuse, d'autres l'ont vécue en d'autres temps, y compris chez nous.

Lorsqu'il a fondé cette mosquée parallèle, s'est-on inquiété rapidement de son activisme ?  

Il n'a jamais franchi les lignes en tenant des propos racistes, antisémites ou homophobes qui sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi et d'entrainer des poursuites. Tant qu'il ne sort pas du cadre de la loi, on ne peut pas empêcher quelqu'un de dire qu'une femme doit rester à la maison et qu'elle doit se couvrir des pieds à la tête quand elle sort de chez elle. Dire que les femmes devraient être enfermées, qu'elles devraient rester à la maison, c'est une horreur mais ce n'est pas un délit. Il ne franchit jamais la ligne rouge, et ce n'est pas un détail. C'est toute la difficulté, c'est le concept même de "l'Etat de Droit "qui est en cause ; l'état d'urgence permet d'aller plus vite que le droit. Ca n'empêche pas le droit de s'appliquer car en fin du compte c'est quand même le juge qui décide. L'assignation à résidence c'est un premier acte essentiel, c'est un message envoyé à la personne et à la société et il fallait l'état d'urgence pour envoyer des messages forts, de démocratie forte. Quand j'avais appris qu il avait déclaré dans une vidéo posté sur un site anglais  de langue française "Peu importe tout le bien que vous ferez à une femme, elle le niera. Son égoïsme la poussera à le nier. Ceci est vrai pour toutes les femmes, qu’elles soient occidentales, arabes, musulmanes, juives ou chrétiennes. C’est la nature des femmes. Lorsqu’une femme est en colère, elle nie tout le bien que les hommes lui ont fait, elle nie entièrement tout le bien que l’homme lui a fait.]…"  Je suis sortie de mes gonds et me suis exprimée sur mon blog, mais personne n'y a prêté attention : ça paraissait anecdotique. Il le disait très naturellement. J'ai demandé un droit de réponse au site sur lequel il avait posté la  vidéo où il tenait ces propos absolument inqualifiables, mais le droit de réponse m'avait été refusé . C'est parce qu'on est en état d'urgence que ces choses sortent, mais aussi parce que la presse en parle.

A-t-on une idée précise sur les conséquences de son prosélytisme ?   

Nous sommes à 30Km de Lunel d'où étaient originaires plusieurs djihadistes français qui sont morts en Syrie ; l'influence de l'imam Khattabi s'étendait à toute la région et lui-même avait converti un garçon prénommé Raphael qui est mort au djihad. Il a réussi à faire baisser le nombre de fidèles fréquentant la mosquée Averroès, et comme je l'ai indiqué, il a "pourri" la vie de son successeur.

Comment  agir après l'état d'urgence ?

Personne ne sait vraiment comment s'y prendre. En terme d'organisation, je suis très prudente en ce qui concerne le  rapport du politique au religieux. Je pense que la France a fait une chose formidable en séparant les deux en droit. Dans les faits, c'est moins simple mais il faut prendre le taureau par les cornes. Il faut vraiment que les deux instances de la communauté musulmane qui existent au niveau national se saisissent de ces sujets là et que les musulmans modérés, (- 98% d'entre eux !), qui ont envie de vivre tranquillement, qui pratiquent un islam de générosité, un islam de partage  s'expriment. Il faut qu'ils  s'organisent, que les intellectuels ou pas, des commerçants, le commun des mortels quoi, se montrent et parlent.

Les médias ont un rôle à jouer en montrant des gens normaux et aussi qu'ils leur donnent la parole ! Il faut que les gens dans les quartiers les entendent et qu'on arrête d'avoir la vision de la femme musulmane réduite à la femme voilée ou complètement extravertie, comme les vedettes de la télé réalité, parce qu'à la télé on n'a le choix qu'entre ces deux visions là. C'est un vrai problème ; on ne voit jamais un reportage où on montre simplement une dame pas voilée, habillée normalement faire ses courses sur un marché ! Cette vision provoque une crise chez les gens qui ont peur et ne se reconnaissent pas dans cet islam là. Ils se disent : "ils" ne voient que "ça" en nous ; donc ils nous aiment pas , donc je m'enferme, et  je me replie. Et leurs propres enfants disent : ce n'est pas normal, mon père et ma mère ne méritent pas l'opprobre. Je  pense que les médias, c'est le premier pouvoir aujourd'hui ! 

Pour ma part, j'essaye de monter une opération avec des éssociations et l'inspection académique où des gens des quartiers viendraient raconter leur réussite professionnelle et familiale. C'est dur de monter ça... Il y a un travail collectif à mener. Une société n'est pas qu'une relation entre le politique et l'individu ! Ce ne sont pas que les corps intermédiaires, C'est aussi chacun de nous! La force des démocraties, c'est qu'elles durent ; leur faiblesse, c'est qu'elles n'ont pas de glaive, elles n'ont que la loi et donc la force de leurs convictions. Les démocraties sont à la fois fragiles et fortes, mais on vit quand même mieux en démocratie qu'en dictature, malgré cette fragilité !

Je regrette qu'on soit incapable de former les imams en France ; l'organisation autonome du monde musulman par M.Sarkozy n'a pas abouti. Le recteur de la mosquée de Paris, M. Boubakeur n'a rien fait. Il faut des relais et que l'islam modéré se forme. C'est pour cela que l'on a travaillé avec le roi Mohamed VI qui est le Commandant des croyants. Le roi a une légitimité religieuse ; il est plutôt modéré et s'affiche avec son épouse, les cheveux au vent, ce qui n'est pas si simple à faire ; c'est courageux. J 'ai reçu un message de l'ambassade du Maroc, qui relayait un message extrêmement clair du Conseil des Ouleymas du Maroc relayé par Mohamed VI. C'est une Fatwa qui explique ce qu'est le Djihad, et ce n'est  surtout pas le Djihad par la violence et la  guerre. C'est un des textes qui a été le plus "rerouté " sur ma page Facebook ! Plusieurs  personnes m'ont répondu :"Enfin". Ils sont en attente d'une expression politique et religieuse d'un islam modérée ; ils en ont besoin, y compris  pour convaincre leur fils qui basculent ! Je n'ai entendu aucun médias en parler !

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