Algorithmes et liberté d’expression : mais pourquoi s’inquiéter de la prise de pouvoir d’Elon Musk tout en ignorant les multiples problèmes posés avec ou sans lui par les réseaux sociaux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elon Musk a officiellement racheté Twitter le 27 octobre.
Elon Musk a officiellement racheté Twitter le 27 octobre.
©OLIVIER DOULIERY / AFP

Rachat de Twitter

Elon Musk a officiellement racheté Twitter. Sa volonté de remettre en cause les règles de modération du réseau social soulève de vives inquiétudes.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Il semble y avoir une forme d’inquiétude qui survient chez certaines catégories de personnes suite au rachat de Twitter par Elon Musk. Comment l’expliquer ? Est-ce fondé ?

Fabrice Epelboin : Il y a deux façons de l’expliquer. La première est la personnalité clivante d’Elon Musk. La deuxième est plus rationnelle. Tout le monde perçoit la problématique liée à la modération sur Twitter. Tout le monde se rend compte que cela ne suit pas du tout la loi française. Et dans cette dérive, certaines personnes sont avantagées et d’autres non. La censure pratiquée par Twitter arrange certains car elle coupe la parole d’opposants politiques, de groupes qu’ils n’ont pas envie d’entendre, même si les propos ne sont pas nécessairement illégaux ou faux. En face se retrouvent ceux qui sont censurés car leur parole est relativement facile à supprimer. Aujourd’hui, la façon de modérer Twitter repose essentiellement sur des raids opérés par des groupes militants qui vont signaler un profil en masse à la modération pour restreindre ou suspendre son compte. Et clairement, ce n’est pas équitable. Il y a un biais politique de Twitter assez évident qu’ils admettent du reste sans détour, et ceux qui profitent de ce biais ont tout à perdre. Ce biais politique penche aujourd’hui en faveur de la gauche américaine. Il a commencé à être visible durant le mandat de Trump et il est devenu indéniable avec le bannissement du compte de ce dernier qui a suivi la censure de certaines informations critiques concernant son opposant Joe Biden. Cette logique d’arbitrage politique prise par Twitter n’est pas du tout conforme à ce qu’Elon Musk semble vouloir faire. Il semble souhaiter que la censure soit conforme à la législation locale. Cela signifie a priori une décentralisation de la gouvernance de Twitter, et c’est tant mieux que la modération ne soit plus gérée de façon centralisée par une entreprise privée qui n’a de comptes à rendre à personne. Si la gouvernance de Twitter se rapproche des différentes législations où opère Twitter, nous n’avons à priori pas grand chose à craindre, nous français.

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Les choses risquent-elles d’empirer avec Elon Musk sur Twitter ?

Tout dépend de là où on se place. Par exemple, dans la confrontation des transactivistes et des TERF, les premiers profitent d’un biais qui leur est très favorable. Donc pour les transactivistes, c’est une très mauvaise nouvelle.  Mais c’est clairement une bonne nouvelle pour les TERF. Si la liberté d’expression est un principe essentiel dans nos démocraties, alors c’est plutôt une bonne nouvelle. Et si l’Etat de droit est quelque chose d’important, c’est une excellente nouvelle. Du point de vue du Droit, il est assez effrayant que des activistes comme Marguerite Stern soient censurées pour des propos tels que “les trans ne sont pas des femmes”, qui quoi qu’en pense Twitter qui affirme dans ses messages le contraire, ne sont pas illégaux au regard du Droit en France, alors qu’au même moment pullulent les insultes antisémites ou racistes sur Twitter. 

A quel point le problème de Twitter est-il lié à ses algorithmes ?

Le problème systémique de Twitter et des autres réseaux sociaux est que le revenu généré par utilisateur n’est pas suffisant pour assurer une modération à la hauteur des enjeux. Cela ne marche pas, économiquement parlant. Le déferlement de haine que l’on constate aujourd’hui sur les réseaux sociaux, et la polarisation du débat public, et aussi bien dû aux algorithmes eux même qui en optimisant les revenus de la plateforme isole les utilisateurs dans des bulles et les radicalise qu’à l’évolution de la société dans son ensemble et les crises inédites qu’elle traverse en ce moment. L’une des propositions d’Elon Musk est d’avoir accès à l’algorithme mais aussi de pouvoir en changer. A priori, on peut imaginer que cela affecte les bulles de filtre et il est permis d’espérer que cela améliore les choses. Passer trop de temps avec des personnes qui pensent comme nous est le meilleur moyen de se convaincre qu’on a raison. Avec les propositions de Musk, les bulles de filtres pourraient éclater et faire naître une opinion publique plus diversifiée et moins polarisée. Ceci dit, particulièrement sur Twitter, il faut noter que la propension des utilisateurs à délibérément ne plus suivre un compte qui tient des propos qui leur déplait montre que les individus ont une très forte propension à s’enfermer d’eux même dans ces bulle de filtre et à générer par là même leur propre radicalisation.

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Payons-nous notre incapacité à réguler les GAFAM ?

Les GAFAM sont trop gros, trop puissants et trop riches pour être régulés. C’est une force de corruption gigantesque et il est bien trop tard pour s’imaginer pouvoir faire grand chose. Regardez l’industrie pétrolière, qui vous en conviendrez, pose un problème bien plus existentiel à l’humanité que les réseaux sociaux. 

Avons-nous été trop optimistes à croire que l’on pouvait sécuriser nos données des GAFAM, notamment par le RPGD ?

Le RGPD ne sécurise pas tant les données qu’il ne punit ceux qui les laissent pirater. Et cela marche plutôt bien. Mais ce n’est pas une loi qui va protéger vos données, ce sont des dispositifs techniques et des procédures.

Sommes-nous hypocrites sur le modèle économique de Twitter ?

Le modèle économique de Twitter et des autres réseaux sociaux ne peut pas fonctionner avec une véritable modération. Un utilisateur Facebook rapporte en moyenne 10 $ par an en Europe. A ce prix, il est impossible de se payer une vraie modération qui procède selon la loi du pays, on est forcément dans l’arbitraire, l’industriel et le cultural gap permanent.

Qu’est-ce qui est le moteur des outrances sur Twitter ? Est-ce une création de la plateforme ou la chambre d’écho des maux de la société ?

C’est d’abord une société de plus en plus en colère. Ensuite, c’est une modération inexistante pour beaucoup de choses. C’est enfin une forme de militantisme de plus en plus actif consistant à aller cracher sur l’adversaire, quitte à s’étonner que celui-ci soit agressif en retour, voire même en mettant en scène cette agressivité pour mieux la dénoncer publiquement. Il n’y a que l’extrême droite qui a, à peu près, compris qu’on avait jamais convaincu quiconque en lui crachant à la figure, mais ils sont sur internet depuis plus de vingt ans, ils ont eu le temps d’expérimenter. Autrement, la mode militante de nos jours consiste à faire de sa propre haine un marqueur identitaire. Je suis toujours étonné de voir dans les bios Twitter la quantité de profils définissant qui ils sont sous la forme d’une longue liste de ce qu’ils haïssent, une succession de anti-machin, anti-truc, anti-bidule.

L’arrivée d’Elon Musk va-t-elle changer quoi que ce soit en bien ou en mal aux problèmes déjà existants sur la plateforme ?

Il va changer des choses, donc forcément il va régler certains problèmes et en faire apparaître d’autres. La possibilité d’une version premium posera des questions. Il a beaucoup parlé d’ouvrir le code de Twitter, ce qui serait extraordinairement positif. Il a aussi beaucoup parlé de décentralisation, ce qui ouvre tout un champ de possibles. L’utilisation de la blockchain qu’il a évoquée ouvre la voie à une multitude de possibilités, et à voir l’explosion du cours du Dodgecoin, il y a fort à parier qu’il a en tête un modèle économique s’appuyant en tout ou partie sur de la crypto.

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