Alerte au terrorisme venu d'Iran : un commandant des Pasdaran met en garde l'Occident (et les Iraniens, eux, ne sont pas des "amateurs à la Daech")<!-- --> | Atlantico.fr
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La diaspora libanaise - même si elle n'est pas majoritairement chiite - est un terreau qui a permis à Téhéran de développer ses réseaux clandestins à l'étranger en se servant du Hezbollah
La diaspora libanaise - même si elle n'est pas majoritairement chiite - est un terreau qui a permis à Téhéran de développer ses réseaux clandestins à l'étranger en se servant du Hezbollah
©BEHROUZ MEHRI / AFP

De Charybde en Scylla

Un chef militaire des Gardiens de la Révolution a annoncé que l'Iran enverrait très bientôt des combattants d'élite en Europe et aux Etats-Unis afin qu'ils empêchent tout complot contre la République islamique. Si cette déclaration semble aller à contre-courant du processus de normalisation des relations irano-occidentales, elle doit être interprétée comme le résultat des luttes internes de pouvoir dans la société iranienne, et non d'une volonté de Téhéran.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Salah Abnoush, un chef militaire des Gardiens de la Révolution, a déclaré aux médias iraniens que des combattants d'élite seraient bientôt envoyés en Europe et aux Etats-Unis afin de contrecarrer les complots contre la République islamique. Alors que la signature de l'accord nucléaire le 14 juillet 2015 semblait ouvrir la voie à une normalisation progressive des relations entre l'Iran et l'Occident, comment interpréter ces propos ? 

Alain Rodier : Tout d'abord, le brigadier général Salah Abnoush n'est pas un responsable de tout premier plan des Gardiens de la Révolution islamique (les pasdarans). Il est donc normal de s'interroger sur la légitimité de ses déclarations.

Il existe en Iran une lutte de palais extrêmement importante entre le pouvoir civil (souvent lié à ce que l'on appelle le bazar), les pasdarans, le pouvoir religieux (qui n'est pas forcément réuni dans un camp unique) et le guide suprême de la révolution. Ce dernier a été annoncé à plusieurs reprises comme gravement malade (vérité ou intoxication?).

Il est donc difficile de savoir qui est vraiment à l'origine de cette déclaration qui, à l'évidence, est destinée à faire réagir l'étranger mais dans un but de politique intérieure. L'objectif final de toutes les factions, c'est la succession de l'ayatollah Ali Khamenei.    

Quand ces combattants seraient-ils envoyés ? Comment la France envisage-t-elle de répondre à cette menace ? 

Je doute de l'envoi de "combattants" à l'étranger. De toutes façons, l'infrastructure est déjà là, les services spéciaux iraniens, que ce soit le Vevak ou la force Al-Qods des Pasdarans, sont déjà présents sur l'ensemble de la planète. Par contre, il est vrai que, comme lors de l'assassinat de Chapour Bakhtiar le 6 août 1991 à Suresnes, des opérationnels peuvent rejoindre une zone où ils seront pris en charge par des réseaux déjà existants. Tout dépendra de la mission qui pourra leur avoir été confiée.

Il est vrai que l'attention des services de police et de renseignement français porte aujourd'hui essentiellement sur la menace salafiste-djihadiste, les Iraniens ayant plus ou moins disparu des écrans radars car ils ne représentent, théoriquement, pas une menace directe et immédiate pour nos intérêts. A moins qu'une faction iranienne ne tienne à saborder les accords conclus sur le nucléaire.

De plus, la France accueille toujours sur son sol les moudjahiddines du peuple, un mouvement marxiste-islamique qui est l'ennemi juré du régime en place à Téhéran. Il constitue donc une cible prioritaire pour les services spéciaux iraniens, même si son influence a considérablement été réduite ces dernières années. Aux États-Unis, il y a les partisans du shah d'Iran, mais là aussi, ils ne représentent plus grand chose. Cela dit, les mollahs ont toujours gardé un esprit de vengeance exacerbé. Pour eux, un bon opposant est un opposant mort.  

D'après un expert de la Foundation for Defense of Democracies "La République islamique d'Iran a tué des centaines d'Iraniens et de non-Iraniens dans le monde dans une campagne de terreur coordonnée". Quelles ont été ces campagnes de terreur menées par l'Iran ? Comment se caractérisent les combattants des Gardiens de la Révolution ? Dans quelle mesure sont-ils dangereux ? 

Il est parfaitement exact que le régime des mollahs a d'abord pourchassé ses opposants réels, potentiels ou supposés - à domicile et à l'étranger -. Il s'est ensuite attaqué aux intérêts des pays jugés hostiles. Pour nous Français, il ne faut pas oublier les assassinats en série commis au Liban. Nous y avons perdu un ambassadeur (Louis Delamare assassiné le 4 septembre 1981), une partie d'une compagnie de parachutistes du 1er RCP (le 23 octobre 1983 à Beyrouth) et des membres de la DGSE, sans compter les inconnus de l'Histoire officielle. Notre mémoire est parfois un peu limitée dans le temps.

Les Américains ont aussi payé un très lourd tribut sans parler des Israéliens (les "grand et petit Satan"). Ces derniers sont toujours considérés comme des cibles prioritaires - même si sur le plan tactique, cela se passe par mouvements tiers interposés [1] -. De toutes façons, entre l'Iran et Israël, la situation de guerre va perdurer dans les décennies à venir.

Quelles techniques les combattants d'élite iraniens utilisent-ils pour s'"infiltrer" dans les sociétés occidentales ? 

La diaspora libanaise - même si elle n'est pas majoritairement chiite - est un terreau qui a permis à Téhéran de développer ses réseaux clandestins à l'étranger en se servant du Hezbollah. Elle est particulièrement présente en Europe, en Afrique noire et en Amérique latine. Bien sûr, seuls quelques individus sont directement impliqués, les Américains et les Israéliens levant régulièrement quelques lièvres. A noter que ces réseaux s'auto-financent largement grâce à de juteux trafics qui les lient au crime organisé, particulièrement en Amérique latine.

Les réseaux logistiques qui sont ainsi constitués peuvent aisément soutenir des agents opérationnels envoyés par Téhéran.

S'il y a eu dans le passé un mélange de professionnalisme et d'amateurisme, je pense que ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. Les Iraniens sont dotés de services spéciaux très performants d'autant qu'ils se frottent à des situations opérationnelles exceptionnelles depuis des années, que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et parfois ailleurs. Ils sont - sur un plan purement tactique - très performants. Ils attendent juste les ordres qui peuvent leur être donnés. Et c'est là que se trouve le mystère : qui les leur donne et dans quels buts ?

Il faut ne pas oublier qu'aujourd'hui, l'ennemi numéro un du pouvoir en place à Téhéran (mais pas forcément de toutes les factions qui agissent dans l'espoir de prendre un jour le pouvoir) c'est la famille Saoud. Il serait trop réducteur d'écrire l' "Arabie saoudite" parce que là aussi, le pouvoir à Riyad est secrètement contesté de l'intérieur. Ensuite viennent les Israéliens puis les Américains. Les relations entretenues avec Moscou restent ambiguës : des intérêts communs certes mais une défiance des deux côtés. C'est le résultat de l'Histoire entre les Russes et les Perses...

Conclusion : à garder sous étroite surveillance.

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[1] Certains mouvements palestiniens et le Hezbollah libanais même si ce dernier a pour l'instant d'autres priorités en Syrie.

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