Alerte à la mega tempête économique ? L’Europe face à la plus grave crise énergétique depuis les chocs pétroliers des années 70<!-- --> | Atlantico.fr
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Nombre d’industriels commencent à s’angoisser de l’explosion quasi sans précédent des prix de l’énergie.
Nombre d’industriels commencent à s’angoisser de l’explosion quasi sans précédent des prix de l’énergie.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Tout va très bien madame la marquise

Alors qu’Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ne cessent de marteler que la France connaît grâce à leur action des « résultats économiques EX-CEP-TIO-NNELS ! », nombre d’industriels commencent à s’angoisser de l’explosion quasi sans précédent des prix de l’énergie.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Quelle est la situation actuelle sur le marché de l’énergie ?

Damien Ernst : La crise qui est en train de se produire a pris ses origines au mois de juillet 2021. La situation s’est véritablement dégradée en septembre pour atteindre plus de 100 euros par MWh. Depuis quelques semaines, on est même à près de 180 euros par MWh. Avant la crise du Covid, le gaz était à 18 euros / MWh. Certains ménages peuvent voir leur facture augmenter de manière assez importante. Cela risque de mettre beaucoup de ménages et d’entreprises en difficulté. Par ailleurs, le prix de l’électricité sur les marchés de gros dépend de l’unité d’électricité qui a le coût marginal le plus élevé. Et cela flambe aussi sur les marchés de gros. La cause de cela, c’est avant tout trop peu d’investissements dans la filière gazière par rapport à la demande qui se développait. Il y a eu une diminution en Europe de la production de gaz. Les Hollandais ont quasi fermé certains de leurs champs gaziers, la Norvège a atteint son pic de gaz, le Royaume-Uni produit moins et la Russie s’est diversifiée dans ses exportations de gaz pour ne plus avoir seulement l’Europe comme partenaire commercial car l’UE refusait des contrats de long terme. Face à l’augmentation du prix du gaz, on se remet à brûler du charbon. Ce qui consomme nos quotas carbone, donc le prix du CO2 augmente lui aussi. Ces deux augmentations créent une augmentation de la facture. En France, une partie de la flotte nucléaire est peu disponible mais le vrai problème surtout est l’absence de vent en Europe de l’Ouest depuis début septembre. Les 60 GWh d’éolien allemand potentiels n’ont quasiment rien produit.  Ce que nous vivons actuellement est la conséquence de 20 années d’échec de politique énergétique. On a très clairement sous-estimé les capacités pilotables nécessaires. Le système est robuste donc il ne va pas se détruire du jour au lendemain, mais il va être dur de le reconstruire. Nous avons aussi négligé la géopolitique du gaz. On a estimé qu’avec un marché tout allait fonctionner mais nous ne nous sommes pas rendus compte qu’en fasse la Russie jouait parfaitement cette géopolitique de l’énergie. Nous n’avons pas pensé à sécuriser notre approvisionnement sur le long terme. Et pendant ce temps-là, le prix de l’énergie est à moins de 20 dollars le MWh.

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Quel est d'ores et déjà l'impact de cette crise et de la hausse des coûts de l'électricité et du gaz ?

Damien Ernst : En France, il y a une relative protection des ménages grâce à l’ARENH (Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique). Si un ménage n’est pas protégé par l’Etat, il risque de voir sa facture augmenter de 3000 euros par an. Pour les entreprises, cela peut être catastrophique car la facture pourrait être largement multipliée par trois ou quatre, certains industriels ne savent pas comment payer. Les compagnies qui ne peuvent pas répercuter cette augmentation sur leur client, elles, sont en danger de mort. Dans les deux cas, cela risque de provoquer une inflation si on n’arrive pas à réguler les prix. Et je crains que nous n’y arrivions pas. Les prix du gaz jusqu’en janvier 2023 sont au-dessus de 100 euros par MWh. Cela pourrait tuer certaines productions et réduire la marge des ménages pour consommer.

Don Diego de la Vega : Il n’y a quasiment pas d’effets. Il faut appliquer le principe « never reason from a price change » : il ne faut jamais raisonner à partir de prix qui changent. L’évolution des prix n’est pas quelque chose sur lequel il faut se focaliser car on ne peut pas savoir avec certitude si ces prix sont une cause ou une conséquence. Et s’ils sont la conséquence d’un mouvement négatif sur l’offre ou d’un mouvement positif sur la demande. Concrètement, si le prix du baril et du reste des énergies monte parce que la situation s’améliore ce n’est pas grave car c’est le prix à payer pour avoir 6% de croissance en France. Si les salaires augmentent et que le chômage diminue, on s’en fiche que les prix augmentent. En revanche, si ça correspond à des restrictions sur l’offre, ce sera plutôt une taxation, c’est plus hostile. Il faudrait savoir, dans le contre-choc énergétique actuel, ce qui relève d’un rebond de la demande et ce qui relève d’un choc d’offre négatif en raison d’encombrements techniques, de pénuries de main-d’œuvre, etc. Nous sommes peu capables de trancher actuellement. Si véritablement cela pesait actuellement pour les entreprises et les ménages, au niveau macroéconomique, les actions n’auraient pas fait +20% cette année. Les consommateurs ne considéraient pas que ce n’est pas le bon moment pour acheter s’ils anticipent une inflation d’importance. L’électricité pèse relativement peu dans le budget des entreprises et des ménages et au vu de ce qui a été dépensé au niveau budgétaire, la facture énergétique va être quantité négligeable. Il est possible que nous soyons au début de quelque chose, mais la chaîne de valeur a été tellement perturbée depuis 18 mois qu’à mon sens, cette envolée des prix est surtout une déclinaison sectorielle de ces perturbations.

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En quoi la crise peut encore s'aggraver ?

Damien Ernst : Il y a quelques mois, les professionnels du secteur étaient horrifiés du prix du Calendar pour l’électricité qui était au-delà de 125 euros par MWh.  Il y a peu, il est arrivé à plus de 300 euros / MWh. Ce qui était considéré impossible est arrivé. On est dans un stade où il est difficile de borner l’amplitude de la crise. On est dans une crise qui est de l’ampleur de celle des chocs pétroliers des années 1970. Si des entreprises ferment, la demande et donc le prix va baisser, mais ça ne veut pas dire que la crise sera résolue. Il est possible que l’on entre prochainement dans une période où les prix ne vont plus augmenter. Il y a deux éléments qui peuvent amplifier la crise. D’une part, les tensions avec la Russie, sur la question de l’Ukraine, l’Europe est sous le pied de Poutine. D’autre part, l’autre catastrophe serait une grosse vague de froid sans vent pour faire fonctionner l’éolien. Il faut rajouter la perte prévue de 8 GWh du nucléaire allemand.

Don Diego de la Vega : Sur le prix de l’énergie on peut un peu agir car il y a beaucoup de taxes, donc on a une marge faible. On en a plus dans d'autres domaines qui pourraient renforcer les problèmes. On peut par exemple éviter de durcir la politique monétaire dans les mois qui viennent car ce serait une double punition. Le problème de l’augmentation du prix du baril c’est que cela crée virtuellement de l’inflation qui n’est qu’un mouvement de prix relatif qui est perçu comme de l’inflation par l’indice des prix à la consommation (CPI). Quand cela arrive, les politiques monétaires déraillent et deviennent restrictives. On l’a vu en 2008 et 2011.  C’est là que ça fait mal. Si on évite cela, l’augmentation des prix actuelle pourrait passer dans les coûts divers de cette crise.

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A mon sens, il n’y a pas d’inquiétudes à avoir sur le très court terme. Au-delà, peut-être la deuxième partie de la décennie, ce sera différent. Nous avons tellement sous-investi dans l’électricité pilotable et il y a une telle demande pour cette électricité pilotable face à une offre très contrainte que cela peut poser problème. Le nucléaire met dix ou quinze ans à se lancer, et on n’a pas ce temps-là. Il va y avoir a minima une énorme dépendance à la Russie, des mismatchs entre ce que peuvent faire les énergies renouvelables et la demande des ménages. Et là, on risque un vrai climat de pénurie avec un prix monstrueux. S’il y a un vrai déséquilibre offre/demande, cela entraînera une pénurie physique. Dans ce cas-là, il faudra soit rationner par les quantités (avec des files d’attente), soit par les prix, et on ne parle pas d’une petite augmentation temporaire mais d’une grande envolée sauvage. Cela aurait un impact colossal sur les industries et le PIB.

Que peut-on encore faire face à la crise ?

Damien Ernst : Rien à court terme. Il aurait fallu agir dès juillet en essayant de signer des accords. La seule possibilité pourrait être de plier face à la Russie sur le gazoduc Nord Stream 2 mais cela mettrait Poutine dans une position encore plus favorable dans le rapport de force. Un interventionnisme d’Etat ne serait pas non plus une vraie solution. L’Europe a trop mal joué.

Don Diego de la Vega : C’est presque trop tard pour agir. Il faut accélérer la cadence. Réussir à régler nos problèmes de stockage, continuer à abaisser le coût des batteries. Il faut jouer sur la technologie, sur les incitations. Il faut s’assurer que nos réacteurs nucléaires ne soient pas à l’arrêt quand on en a besoin. Si l’on ne fait rien, les Etats-Unis et l’Asie s’en sortiront mais pas l’Europe, car la configuration n’est pas bonne. Mais les investissements n’ont pas été faits donc on va avoir un problème à moyen terme. Le pire est encore évitable, on pourrait peut-être faire évoluer un peu les curseurs du principe de précaution sur le nucléaire pour éviter d’en avoir 16 à l’arrêt.

Quel risque économique y aura-t-il en cas de scénario noir ?

Don Diego de la Vega : Si l’on échoue, c’est collectivement en Europe que ce sera le cas. Et il y aura un double effet kiss cool. Ce ne sera pas un phénomène mondial. Ailleurs, l’organisation est plus décentralisée et il n’y a pas un élément perturbateur comme l’Allemagne pour s’assurer que le reste du continent paie les factures. Les autres pays ont d’autres problématiques, mais les nôtres sont celles-ci et elles nous sont spécifiques. Et il faudra, comme je le disais, décider si on rationne par les quantités ou par les prix. En France, on rationnerait sans doute par les quantités, c’est économiquement inoptimal mais supposément plus juste. Le problème est qu’il ne l’est jamais en condition réelle. Et s’il y a un problème énergétique dans cinq ans, il est à craindre qu’on ne désigne aucun responsable.

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