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Agriculture, industrie agroalimentaire : a-t-on vraiment bien fait de signer l'accord de libre-échange avec le Mercosur ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Bon deal ?

L'accord commercial signé entre l'Union Européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Urugay, Paraguay) fait l'objet de vives polémiques entre partisan du libre-échange et du protectionnisme.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Dans le détail, quelles devraient être les conséquences pour la France, étant données les structures économiques actuelles des deux zones, de la suppression de certaines taxes douanières ?

  • Pour l'agriculture française ?

Michel Ruimy : L’objectif principal de cet accord est de faciliter les échanges entre les deux zones en abaissant fortement les droits de douane dans plusieurs secteurs. L’un des principaux points d’achoppement concerne les futurs échanges dans l’agriculture et l’élevage. La Copa Cogeca, principal syndicat agricole de l’Union européenne (UE) a fustigé une politique commerciale ayant deux poids et deux mesures. Il considère que l’accord va creuser le fossé entre ce qui est demandé aux agriculteurs européens en matière de normes et ce qui est toléré des producteurs du Mercosur qui exporteront dans l’UE. Les deux continents ne sont pas, en effet, sur un pied d’égalité : antibiotiques utilisés comme hormones de croissance et déforestation du côté sud-américain, contre toujours plus de normes environnementales côté européen.
Concernant la France, les secteurs agricoles seraient affectés de manière différente. D’une part, il faut savoir que l’agriculture française reste très parcellisée et ses éleveurs sont les plus mal lotis du secteur agricole avec seulement 12 à 15 000 euros de revenus annuels. Les consommateurs français privilégient toujours le prix et nos circuits n’ont pas assez de race de viande noble. Ceci explique qu’ils aient des difficultés à monter en gamme.
D’autre part, si certains produits agricoles offensifs, tels que les céréales, en particulier le blé, ainsi que les boissons (y compris le vin et les spiritueux) bénéficieraient d’une libéralisation accrue du marché, en revanche, sur les 3 milliards d’euros d’importations françaises, la moitié concerne des matières premières et, plus particulièrement, des produits dont dépendent non seulement le secteur industriel mais aussi les éleveurs de soja (1/4 des importations françaises proviennent du Mercosur) dont l’accès serait grandement facilité par cet accord.

  • Pour la filière agroalimentaire française ?

Avec cet accord, les pays du Mercosur pourront exporter, chaque année, vers l’UE, 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre ou encore 100 000 tonnes de volaille. Une concurrence nouvelle qui risquent de fragiliser un peu plus les éleveurs européens, lourdement dépendants des subventions de Bruxelles et qui craignent la concurrence des « usines à viande » latino-américaines. Cependant, pour les filières sensibles comme la filière bovine, il existe une clause de sauvegarde : en cas de difficulté particulière - déstabilisation du marché - cette partie de l’accord pourra être rediscutée.
Cette condition est un aveu. Elle reconnaît implicitement que l’ouverture du marché risque d’avoir des conséquences sur les éleveurs. Si les Européens l’activent, alors les pays sud-américains pourraient, à leur tour, décider de fermer leurs marchés, ce qui mettrait fin à l’accord. On sait d’ores et déjà qu’il s’agit d’un accord très explosif.

  • Pour l'industrie française ?

L’accord signé concerne 770 millions de personnes et un quart du PIB mondial. Le Mercosur a accepté d’ouvrir pleinement son marché ainsi que ses marchés publics à l’industrie européenne, tout particulièrement à ses voitures, à ses pièces détachées, à ses équipements industriels et à ses produits chimiques et pharmaceutiques.

Notre pays étant l’un des premiers exportateurs vers les pays de Mercosur, l’industrie peut avoir le sourire. Elle serait l’un des plus grands bénéficiaires de cet accord, notamment les secteurs clés de l’automobile, de l’aéronautique, la machinerie, la chimie et les produits pharmaceutiques et de la plasturgie.

Au total, la Commission européenne estime que, grâce à cet accord, les entreprises de l’UE économiseront 4 milliards d’euros de taxes chaque année.

Comment expliquez-vous la signature de cet accord dans le contexte de la guerre commerciale mondiale ? Faut-il y voir une recherche de débouchés pour l'industrie allemande ?

Il faut se rappeler que l’accord vient d’être signé après vingt ans de négociations. Le dossier a été engagé sous la première présidence de Jacques Chirac ! Après ceux conclus avec le Canada et le Japon, qui peuvent être vus comme des réponses à la politique commerciale protectionniste américaine, ce nouvel accord tombe à pic. Il s’agit d’un geste politique très fort en faveur du multilatéralisme face à l’attitude persistante des Etats-Unis.

Mais, par ailleurs, il ne faut tout de même pas oublier que le libre-échange se trouve à l’origine d’un grand nombre de problèmes écologiques. La signature de cet accord risque d’égratigner, encore plus, la crédibilité de la classe politique qui, d’un côté, énonce des messages favorables à l’environnement et de l’autre, signe des traités qui nous mènent à l’opposé.

On peut se demander ainsi s’il faut se féliciter de la constance ou déplorer l’aveuglement de la Commission européenne pour cette signature alors que notre écosystème évolue. Avec un certain cynisme, on a redonné le pouvoir aux lobbies de l’agrobusiness.

Concernant l’Allemagne, elle bénéficierait également de cet accord prioritairement son secteur automobile, celui des machines industrielles et de la chimie.

 La France a-t-elle fait une erreur de négociation en ne s'y opposant pas plus fermement ? 

Malgré l’annonce de vendredi, cet accord est encore loin d’être appliqué. En effet, le texte doit d’abord être soumis à l’approbation des Etats membres dans le cadre du Conseil de l’Union européenne, puis voté par le Parlement européen et par les 28 Parlements nationaux.

En Amérique du Sud, les quatre pays doivent aussi le ratifier. Or, au Brésil, Jair Bolsonaro n’a pas de majorité stable au Congrès et, en Argentine, une élection présidentielle a lieu à la fin de l’année et pourrait porter au pouvoir l’actuelle opposition, qui est contre l’accord avec l’UE.

On voit donc que cet l’accord n’entrera pas en vigueur avant plusieurs années.

Par ailleurs, la France, l’Irlande, la Belgique et la Pologne avaient exprimé, dans une récente lettre commune, leur profonde préoccupation à l’égard des conséquences de l’accord sur l’agriculture. De son côté, le président français Emmanuel Macron a cependant salué un bon accord, tout en promettant que son pays resterait « vigilant ». Espérons qu’il le soit.

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