Agressions sexuelles, les témoignages qui s'attaquent au mur du silence : oui forcer les garçons, ça arrive <!-- --> | Atlantico.fr
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Les pédophiles frappent autant les enfants de leur sexe que du sexe opposé.
Les pédophiles frappent autant les enfants de leur sexe que du sexe opposé.
©Reuters

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Selon une étude américaine, 43% des jeunes hommes d'âge secondaire ou universitaire confient avoir été contraints à une activité sexuelle non désirée. Les viols commis sur des hommes sont pourtant peu médiatisés.

Atlantico : Aux Etats-Unis, une étude menée par Bryana French et l'Université du Missouri a révélé que 43% des jeunes hommes d'âge secondaire ou universitaire confient avoir été contraints à une activité sexuelle non désirée. Ce phénomène est-il récent ou est-ce uniquement aujourd'hui que les voix commencent à se faire entendre ? Pourquoi les infractions à caractère sexuel sur les hommes sont-elles moins évidentes dans l'esprit des gens ?

Sébastien Boueilh : Jusqu’ici personne n’en parlait tout simplement. Mais ce phénomène a en réalité toujours existé. Ceci dit, il y a peut-être un peu plus de pédophilie depuis l’arrivée d’Internet à cause des sites pédopornographiques. Selon l’Unicef, 750 000 prédateurs sexuels sont connectés dans le monde et agrémentent les quelques 4 millions de sites de la sorte de 200 nouvelles photos. Dans les histoires que j’ai pu écouter, toutes les agressions sur des hommes ont été commises par des hommes. On estime d’ailleurs à 1% les personnes attirées par les enfants, abstinents ou actifs. Et 5 à 10 % de ces personnes sont des femmes. Car on ne le sait pas forcément, mais oui, les femmes aussi peuvent être pédophiles. Par exemple, une des histoires qui m’a été rapportée est celle d’une enfant qui a été violée de sa naissance à l’âge de 4 ans par sa mère. Donc finalement, on n’est pas très éloigné du film Polisse, qui d’ailleurs est tiré d’histoires vraies.

Patrick Blachère :  Il faut distinguer les hommes victimes enfant et les hommes victimes adultes. Il n’y a aucune raison pour que les garçons ne soient pas autant victimes que les filles. Il faut savoir que les pédophiles peuvent être autant attirés par des enfants de sexe opposé que des enfants de même sexe. La plupart même sont statistiquement plus attirés par ces derniers. Une chose est sûre, on parle beaucoup moins des garçons victimes que des filles victimes, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’adolescents agressés par des femmes. Un rapport sexuel entre un adolescent et une femme va tout de suite être considéré comme une initiation sexuelle, alors qu’en fait il s’agit d’un acte de pédophilie. Ces adolescents sont finalement victimes de l’idée reçue que l’on a d’eux, à savoir l’obsession de la sexualité propre à leur âge. Un garçon de 13 ans qui a un rapport sexuel avec une femme de 35 ans sera moins choquant qu’une fille de 13 ans ayant un rapport sexuel avec un homme de 35. Et pourtant, c’est la même chose.

Il y a une sous-représentation de l’adolescent victime car on considère justement qu’il n’est pas victime. Et pour l’adulte, cette sous-représentation est encore plus importante. J’en veux pour preuve les violences conjugales. Il y a bien sûr les violences physiques mais aussi sexuelles, chose dont on ne parle pas. Une étude a été réalisée à ce sujet en 2008 qui révélait qu’un nombre non-négligeable des hommes interrogés avaient été victimes de viol par leurs femmes au moins une fois. Et pourtant, aucune plainte n’avait été déposée. Ce qui prouve l’existence d’un tabou à ce sujet.
Finalement, les hommes victimes n’en parlent pas car il y a un sentiment de honte, surtout si l’agresseur est une femme. Pour l’adulte, le sentiment de honte est pire encore, notamment lorsqu’il y a pénétration anale. Il faut dire à ces victimes qu’elles sont victimes et qu’elles ont le droit de porter plainte comme les femmes.

Pourquoi est-ce plus difficile d'en parler lorsque l'on est un homme ?

Sébastien Boueilh : C’est une question de fierté. Il est déjà très difficile pour une femme de parler d’un viol, alors pour un homme ça l’est d’autant plus. Généralement, les hommes n’arrivent pas à en parler car ils ont peur de se faire traiter d’homosexuel ; cela remet en cause leur hétérosexualité et aussi leur masculinité. Pour ma part, je n’osais pas en parler à cause de ça. Depuis que je suis passé sur TF1, M6, France 3 et L’Equipe 21, les hommes qui me contactent sont beaucoup plus nombreux. Et ce, grâce au fait que je sois un homme, rugbyman, que j’ai réussi à mettre ma fierté de côté et que j’ai pu révéler au grand public ce qui m’était arrivé. Mon témoignage a réussi à libérer leur parole. Ainsi, on est passé de 10 témoignages par mois à 150 par semaine. Nos publications étaient vues en général 3000 fois et aujourd’hui, notre audimat atteint les 35 000. Le reportage de TF1 a été partagé 300 fois. Finalement, on a couvert beaucoup de monde. J’ai donc créé un forum mensuel où je serai accompagné d’une psychologue-victimologue afin de répondre aux victimes.

Patrick Blachère : Les hommes sont peut-être moins souvent crus ou considérés comme victimes que les femmes. De plus, on attend d’un homme, même d'un garçon, qu’il sache se défendre. Ces tabous existent toujours dans notre société. Et la victime, qu’elle soit homme ou femme, a toujours tendance à se culpabiliser. Nous cliniciens, on retrouve cette culpabilité encore plus chez les victimes hommes. On associe en effet souvent à l’agression sexuelle d’un homme par un homme ou une femme par un homme un côté humiliant. Notamment dans l’acte d’une fellation imposée ou d’une sodomie. Parfois, on va même jusqu’à des pratiques sexuelles plus régressives, c’est-à-dire que l’agresseur va se mettre à uriner ou à déféquer sur sa victime. Ce type de pratique renforce la culpabilité et empêche réellement de parler. La grande difficulté qu’ont les garçons ou hommes à porter plainte, c’est qu’être victime de quelque chose signifie également ne pas avoir pu se défendre et donc être en quelque sorte responsable de ce qui est arrivé.

Quelles sont les séquelles pour ces hommes victimes de violences sexuelles ?

Sébastien Boueilh : Chaque personne réagit à sa manière. Certaines tombent dans l’alcool, d’autres dans la drogue, d’autres dans le sexe. Dans le sexe, comme pour se réapproprier sa sexualité. Pour ma part, je consommais de la femme pour prouver que j’étais un homme. Le chemin de la sexualité se forme à partir de 10 ans. La plupart des victimes se font agresser à cette période-là et ne savent donc plus trop quel est le chemin à prendre. Une autre séquelle possible est l’argent. Certains gaspillent leur argent à tout va. Je me suis même fait interdire de casino. D’autres encore s’autodétruisent, parfois, et malheureusement, jusqu’au suicide. Finalement, on n’a plus de limites dans ses réactions, on ne réfléchit plus vraiment, voire plus du tout. Concernant la confiance en soi, on n’en a plus. J’ai eu la chance d’avoir le rugby. Ça m’a permis d’avancer, de montrer que j’existe. J’ai réussi à m’en servir pour m’en sortir. Mais d’autres, au contraire, vont s’enfermer, devenir introverti. Quelle que soit la manière de réagir, les séquelles sont graves.

Patrick Blachère : Elles peuvent être à la fois physiques et psychiques. Chez les hommes, il s’agit essentiellement d’IST (Infections Sexuellement Transmissibles). Si acte de barbarie il y a, on peut également mentionner des lésions sphinctériennes et donc des incontinences anales, qu’on retrouve chez les garçons, mais aussi chez les filles lorsqu’il y a sodomie.

Il y a des dégâts psychiques principalement lorsqu’il n’y a pas reconnaissance du statut de victime et lorsqu’il n’y a pas d’accompagnement psychologique par la suite. Cet accompagnement est essentiel : il faut que la victime puisse se reconnaître comme telle et donc dépasser sa culpabilité. On note notamment comme séquelles le stress post-traumatique, c’est-à-dire la peur de se faire agresser, de se faire retrouver par son agresseur accompagné d’un repli sur soi et d’une hyper-émotivité. Certaines personnes développent également des troubles de la personnalité (instabilité, impulsivité, notamment dans le cadre de violences sexuelles intrafamiliales). En aigu, on peut également avoir à faire à des épisodes dissociatifs. Par exemple, un étudiant que j’ai rencontré il y a peu s’est fait violé par plusieurs camarades. Suite à cela, il s’est mis à errer dans les rues pendant plusieurs jours, complètement perdu.  

D’un point de vue sexuel, il y a évidemment des conséquences qui se traduisent soit par un trouble de l’identité sexuelle, c’est-à-dire que la personne va se chercher, soit par un blocage purement fonctionnel, c’est-à-dire des problèmes érectiles ou des troubles du désir.

Dans quelle situation ce type d'agression a-t-elle le plus souvent lieu ?

Sébastien Boueilh : Dans le milieu familial. La majeure partie des victimes que j’écoute ont été agressées par des personnes de leur famille. Et j’ai vraiment écouté de tout : le père sur le fils, le demi-frère sur la demi-sœur, le mari de la nounou sur l’enfant qui est gardé, etc. Dans le milieu sportif également, il y a beaucoup d’histoires de la sorte et il peut s’agir d’un infirmier, d’un éducateur, d’un entraineur, etc. Les prédateurs sont la plupart du temps des personnes proches car elles ont la confiance des parents du fait de leur gentillesse. C’est pour ça aussi que les victimes n’arrivent pas à en parler car elles ont peur que personne ne les croient.

Patrick Blachère :Pour une victime enfant, cela se retrouve dans tous les milieux, mais principalement dans l’intrafamilial ou dans les milieux institutionnels. On assiste d’ailleurs à certains viols en collectivité, notamment dans les foyers ou certains internats. Trois, quatre garçons vont abuser sexuellement de leur copain. Mais ces choses-là sont tues, d’une part pour l’honneur de l’institution et d’autre part, car la victime elle-même n’ose dénoncer ses camarades, d’autant plus lorsqu’il y a pénétration anale qui est vécu comme humiliante.

Lorsqu’on est adulte, les agressions surviennent surtout dans des collectivités (vestiaires, saunas, etc.) ou dans le cercle familial, comme mentionné tout à l’heure. Il arrive souvent qu’il s’agisse de partenaires âgés ou handicapés qui vont avoir du mal à s’opposer à ce genre d’agressions.

Y a-t-il un profil type d'agresseur ? Quelles sont leurs méthodes ?

Sébastien Boueilh : Non, c’est vraiment M. Tout-le-monde. Personnellement, j’ai réussi à développer une sorte de sixième sens : lorsque je suis en intervention, j’arrive à reconnaître les bourreaux et les victimes.

La méthode principalement utilisée, c’est la gentillesse. Sur un groupe de 20 enfants, le prédateur va en repérer un un peu plus faible que les autres. Il va commencer par être très gentil avec lui, va lui tourner autour, tisser sa toile autour de lui en englobant ses parents, ses amis, etc. Tout le monde va lui faire confiance et petit à petit, le piège va se refermer autour de la victime. Le bourreau va emmener sa victime faire un tour et la ramener chez elle. En rentrant, ce que les parents ne savent pas, c’est que cinq minutes avant, le prédateur violait sa victime. Mais ça, personne ne peut le savoir.

Généralement, les gens ne savent pas ce qu’est un viol. Dès lors qu’il y a pénétration de la victime par son agresseur, que ce soit au niveau du vagin, de l’anus, de la bouche et ce, par une bouteille ou un pénis, c’est du viol. Par exemple, j’ai reçu une personne cette semaine, un homme, et je lui ai appris qu’il avait été violé : pour lui, faire une fellation à quelqu’un n’était pas du viol, mais en réalité, si.

Patrick Blachère : Il n’y a pas de profil type mais il y a des typologies d’agresseurs. Certains sujets vont être très carencés affectivement, vont avoir des déficits intellectuels et/ou des problèmes d’identité. Il s’agit généralement d’une frange marginale, sauf dans des milieux particuliers comme les hôpitaux psychiatriques ou les foyers pour handicapés où surviennent certaines agressions entre hébergés. Un deuxième profil est celui du psychopathe qui sera plutôt impulsif et ne saura jamais vraiment ce qu’il fait. Enfin, il y a le pervers, celui qui va manipuler la victime et qui va presque s’auto-persuader que c’est elle qui est responsable de la chose.

Concernant les méthodes, pour qu’il y ait un acte pervers commis, il faut qu’il y ait une emprise, et ce, qu’elle soit de fait (un homme sur une femme ou un employeur sur son salarié), qu’elle soit contextuel (par exemple, vous assistez à une soirée échangiste avec votre compagnon et vous vous retrouverez dans un guet-apens face à dix personnes) ou qu’elle soit subtil (dans le cadre d’un chantage par exemple). Ce dernier type d’emprise est la plus répandue.

Outre les agressions violentes, la notion de consentement est-elle la même chez les hommes que chez les femmes ?

Patrick Blachère : Tout d’abord, il n’y a pas de consentement chez l’enfant, jamais. C’est important à savoir car les pédophiles disent toujours que l’enfant était consentent, qu’il a même pris du plaisir, ce qui est plausible, mais finalement il reste un enfant. Pour reprendre l’exemple de la femme de 35 ans et l’enfant de 13 ans, c’est un viol. Et pourtant l’enfant a pris du plaisir, est content et a même éjaculé. Mais il a 13 ans, il ne se rend pas compte de ce qu’il fait et n’a donc pas de consentement. La notion de consentement est prise en compte à l’âge de 15 ans, la majorité sexuelle.

Dans le cadre d’un couple, la notion de consentement est plus compliquée. Souvent il y a une confusion : on est consentent pour une chose, pas pour une autre. C’est exactement le même principe lorsqu’on est sous emprise de l’alcool ou lorsqu’on est désinhibé par un spectacle érotique.  Dans nos sociétés actuelles, il y a une banalisation des actes sexuels violents, une banalisation de l’acte sous contrainte. Quand on va sur certains sites d’études épidémiologiques, on constate que 30 % des hommes et 45 % des femmes reconnaissent avoir été contraints dans leur vie de couple à des actes sexuels. Cela fait partie de nos mentalités occidentales mais découle également d’un manque évident d’information.

Les femmes n'ont-elles pas aujourd'hui une attitude plus entreprenante ? Les hommes subissent-ils ainsi eux aussi une sorte de pression sociale au rapport sexuel ?

Patrick Blachère : Les femmes utilisant maintenant les réseaux sociaux pour communiquer, elles osent plus les échanges à caractère sexuel. Et notamment chez les adolescents, on assiste parfois à du harcèlement sexuel d’une adolescente à un adolescent, qui lui, en sort traumatisé.
Les hommes subissent bien sûr une pression sociale par rapport à cela. Un homme osera moins porter plainte contre son chef, qui le harcèle sexuellement, s’il s’agit d’une femme que d’un homme.

Les représentations collectives voient les hommes comme les "initiateurs" du rapport sexuel. Est-ce toujours le cas ?

Patrick Blachère : Les deux sont initiateurs. Néanmoins, les femmes sont plus subtiles, elles utilisent un langage beaucoup plus corporel, c’est-à-dire non-verbal. Le problème survient lorsqu’il s’agit de décoder. Par exemple, dans certains endroits, une mini-jupe sera considérée comme un appel au sexe. Finalement, la manière de communiquer des femmes est bien plus compliquée.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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