Agressions de policiers et gendarmes : sont-ils trop peu entraînés pour garantir leur sécurité… ou condamnés à subir l’impuissance de l’Etat ? <!-- --> | Atlantico.fr
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polices gendarmes formation France Herblay
polices gendarmes formation France Herblay
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

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Les récents événements de Herblay ou de Champigny-sur-Marne ont remis subitement sur la table la question de la formation et de l'entraînement des policiers et gendarmes français et leur capacité à faire face à des agressions de plus en plus violentes.

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Matthieu Valet

Matthieu Valet

Matthieu Valet est commissaire de police et secrétaire national adjoint du Syndicat Indépendant Commissaires Police.

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Atlantico : Les récentes attaques de forces de l'ordre, à Herblay ou à Champigny-sur-Marne, ont remis subitement sur la table la question de la formation et de l'entraînement des policiers et gendarmes français. Leur formation vous paraît-elle, dans son ensemble, insuffisante pour gérer ces nouvelles agressions ? Les policiers et les gendarmes sont-ils même capables d’assurer leur propre sécurité ?

Bertrand Cavallier : L’agression d’une extrême violence perpétrée contre des policiers à Herblay, le 27 octobre, renvoie au massacre de deux sous-officiers féminins de gendarmerie, le 7 juin 2012 à Collobrières. Dans les deux cas, ils ont été désarmés et attaqués avec leurs propres armes. Ces évènements sont malheureusement révélateurs d’une situation globale structurelle caractérisée par une violence que l’on peut désormais qualifier de systémique contre les membres des forces de l’ordre. En témoigne l’augmentation constante des agressions contre les gendarmes (« Depuis 2010, le nombre d’agressions physiques sur les gendarmes a augmenté de 76%. Les agressions avec armes ont été multipliées par deux, et le volume des gendarmes blessés a augmenté de 63%. En 2019, 2300 gendarmes ont été blessés du fait d’une agression, ce qui constitue une augmentation de 72% par rapport à 2012. » Audition par la mission d’information relative aux moyens d’action et aux méthodes d’intervention de la police du Général Christian Rodriguez, Directeur général de la gendarmerie nationale, le 22 juillet 2020) et policiers depuis une vingtaine d’années. Sans évoquer d’autres acteurs institutionnels comme les pompiers. Et en rappelant que s’il y a de plus en plus de désinhibition dans le passage à l’acte violent contre des membres des forces de l’ordre, le phénomène est comme on le constate amplifié vis-à-vis de simples citoyens.

Ces constats croisés avec les impératifs de meilleure prise en compte des principes de proportionnalité dans l’usage de la force ont conduit la gendarmerie et la police nationale à mettre en oeuvre des formations spécifiques. Dénommées Intervention professionnelle (IP) en gendarmerie ou Gestes et techniques en intervention (GTPI) au sein de la police nationale, elles ont pour but de permettre aux gendarmes et policiers de mieux prévenir des violences et de réagir contre une menace dans le cadre de l’exécution de leurs missions du quotidien.

Ces formations sont bien évidemment dispensées au cours de la formation initiale. Elles devraient l’être davantage dans le cadre de la formation continue, mais là se pose la question de la disponibilité des personnels (soit le temps de travail ) mais aussi de l’adhésion d’une partie d’entre eux à cette obligation de maintien de leur condition opérationnelle.

Cependant, nonobstant cette formation à l’intervention, une réflexion plus large s’impose dans deux domaines :

- d’une part, les critères de recrutement qui devraient être plus exigeants s’agissant des épreuves physiques, tels que je les avais mis en oeuvre au sein de la gendarmerie alors que j’exerçais les fonctions de sous-directeur des compétences, en charge notamment du recrutement. De toute évidence, les métiers de la sécurité imposent un physique opérationnel pour pouvoir agir efficacement. Or, ce n’est actuellement plus le cas pour une proportion notable de jeunes recrues ;

- d’autre part, la durée de la formation en école qui devrait être rétablie à un an minimum. En effet, s’agissant d’une majorité d’élèves gendarmes ou d’élèves gardiens, différents facteurs tenant à leur jeunesse, à leur parcours premier majoritairement estudiantin… plaident pour une année de scolarité qui constitue un minimum pour la densification de leur personnalité, en termes de préparation mentale, physiologique, d’appropriation de valeurs de service… soit le pourquoi être et le savoir être qui constituent le préalable au savoir-faire, voire ses fondations.

Matthieu Valet : Il existe quatre types de formation : adjoint de sécurité, gardien de la paix, lieutenant de policier et commissaire de police. Selon les corps d’entrée, la formation est de durée différente (3 mois pour les adjoints de sécurité, 18 mois pour les officiers, 22 mois pour les commissaires…).

8 mois en structure initiale de gardien de la paix, c’est un peu faible. Le format adopté autrefois était de 12 mois avec alternance entre cours théoriques et stages de mise en pratique. Depuis cette année, les choses ont changé : la formation en structure de police dure huit mois, l’apprentissage est très théorique avec seulement quelques petites semaines de stage. A l’issue des huit mois, un gardien de la paix va choisir une affectation dans un commissariat parisien et se trouvera en service actif dès la fin de sa formation de huit mois, accompagné cependant d’un tuteur qui va le suivre pour apporter des commentaires, des conseils, des correctifs, bref, une sorte de formation continue.

Sur le papier, c’est bien. Dans la pratique, c’est plus compliqué : les moniteurs FTSI (Formateurs techniques sécurité d’intervention) ne sont pas assez nombreux et n’ont pas assez de temps pour concilier la formation du jeune policier et ses propres missions.

En fait, le problème essentiel est qu’il n’y a pas de pérennité du système de formation. Beaucoup d’atermoiements, de modifications inutiles et de déstabilisations.

Il faudrait évidemment qu’il y ait une place bien plus importante sur le concret du métier : techniques de défense, d’interpellation, formation aussi à l’équipier de police judiciaire et à l’ordre public. Les formations sont là, certes, mais les jeunes collègues ne se doutent absolument pas de ce qui les attend à la sortie d’école. Il faudrait davantage multiplier les stages et les exercices de simulation…

J’ai suivi ma formation à Saint-Malo : en sortant, j’ai pris une grosse claque. C’est l’écueil de l’école : entre la théorie et le terrain, le fossé est insondable. Je suis, je le répète, pour une accentuation des mises en situation ; plus on s’entraîne, mieux on est mis à mal, mieux on développe des automatismes et la gestion du stress.

Il y a l’entraînement physique (la course, la musculation, les séances de tir) et l’apprentissage moral de certaines valeurs (le courage, l’autocontrôle, le sens de la justice). Les forces de l’ordre vous semblent-elles impuissantes face aux nouveaux types d'agressions ?

Bertrand Cavallier : Pose-t-on la vraie question lorsque l’on s’interroge sur l’impuissance des forces de l’ordre face à ces nouveaux types d’agressions ?

Si l’on se met en situation concrète, c’est-à-dire à la place d’un gendarme et d’un policier, ce qui serait d’ailleurs très inspirant pour nombre de sociologues, journalistes ou politiques, au demeurant très doctes sur la fonction policière, il est particulièrement difficile de réagir face à ce type d’agression. En effet, sans anticipation, comment intervenir selon les principes de gradation de la réponse dans l’usage de la force, c’est-à-dire de proportionnalité dans une telle configuration ? De passage récent au CNEFG  (Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie qui forme notamment les moniteurs et instructeurs en intervention professionnelle (IP)), à Saint-Astier, j’évoquais avec des instructeurs qui mettaient au point de nouvelles techniques de mise au sol et d’immobilisation. Le cas de deux gendarmes féminins abordées par un, voire deux individus massifs et très entraînés aux sports de combat amène plusieurs questions : quel est le rapport des forces en présence ? Quid du cadre juridique actuel ? pourquoi et comment les maintenir à distance ? De la théorie à la réalité ?

Mais ces interrogations pratiques doivent nous obliger à nous poser les vraies questions.

Il y a de plus en plus impuissance des forces de l’ordre, car il y a impuissance de l’État, de la Nation française, voire une volonté d’impuissance. Depuis des années. Cet État, cette nation ne sont plus respectés, voire rejetés. Je parle aussi de la nation, car la loi est l’expression de la volonté générale, soit du peuple français. Et cette volonté doit être respectée et même crainte.

Tout militaire de la gendarmerie de terrain, tout policier de terrain ne peut que témoigner de cette défaillance qui s’est installée dans notre pays depuis tant d’années et qui relève, il faut le dire, à la fois d’un déni de réalité d’une grande partie des élites - processus commode pour rationaliser sa lâcheté - et de dérives idéologiques. Qui n’a pas pu voir que le procès pénal répondait de moins en moins à la réparation des victimes, et à sa fonction pédagogique par une condamnation réellement dissuasive ? Qui n’a pas pu voir les effets d’une immigration massive toujours nullement régulée et donc déstabilisante pour le corps social ? Qui n’a pas pu voir la dérive de territoires entiers qualifiés pudiquement de zones de non droit ? Qui n’a pas pu voir la loi du plus fort exercée par les membres de certaines communautés ? Qui n’a pas pu voir le rejet croissant des valeurs républicaines humanistes ?

Qui - et il faut aussi le dire - n’a pas vu la fragilisation du dispositif sécuritaire qui, sous couvert d’avancées dites sociales, s’est traduite par une diminution considérable de la présence effective des policiers et, certes moindre de par leur statut militaire, des gendarmes, sur le terrain, au sein de la population ? Enfin, l’impuissance de l’État est apparue pendant des mois dans son insuffisance à réguler la force qu’elle exerçait lors des manifestations des gilets jaunes. Ces blessures inutiles, ces souffrances infligées coûtent à la République et à ceux qui la servent, entamant la légitimé dont ils ont tant besoin au quotidien pour exercer leur mission. Et procurent des justifications à ceux qui la détestent, à ceux qui les détestent.

Matthieu Valet : L’entrainement physique est bien intégré avec un lourd volume horaire pour les gardiens de la paix. Chez les officiers, il y en a moins. Chez les commissaires, le temps théorique est supérieur au temps pratique : il y a certes un tronc commun en début de formation, mais derrière, pour le sport et les techniques, chacun fait comme il veut.

Je vais vous dire : il y a deux parents pauvres dans la police : la sécurité publique et la formation initiale.

Nous constatons un grand manque d’investissement matériel, immobilier et de moyens dans la formation initiale. Pour les gardiens de la paix, il manque des formateurs. On y perd notre latin. Tous les ans, le contenu, la durée et la répartition des formations changent.

S’agissant de la formation sur les valeurs éthiques et déontologiques, elle est très présente. La difficulté véritable de la formation initiale est que l’on est dans des amphithéâtres : c’est un peu scolaire et théorique. Au lieu de cours d’amphi pléthoriques, on aimerait mieux que le policier ait un commentaire de son geste et de son comportement. Il doit y avoir une pédagogie associée à l’exercice.

On pourrait aussi faire intervenir plus de collègues qui témoignent : le partage d’expérience est très utile pour nous.

Pour votre information, actuellement, vous avez, pour les trois corps de la police, un très bon stage de formation à Nîmes pendant 15 jours : 1 semaine maintien de l’ordre, et 1 semaine violences urbaines. Les policiers sont formés aux techniques d’intervention dans des mises en situations très concrètes. Tout le monde en ressort grandi, on apprend beaucoup de choses.

La pression médiatique met aujourd’hui les policiers et les gendarmes sous l’œil des caméras et des radars : leurs actions sont surveillées, ils marchent constamment sur des œufs et la moindre affaire concernant les forces de l’ordre crée un tapage médiatique. Jusqu’à quel point ce nouveau climat de suspicion et d’hypersurveillance entrave-t-il l’efficacité de leurs missions ?

Bertrand Cavallier : La généralisation des smartphones et l’omnipotence des réseaux sociaux continuent un phénomène majeur qui a transformé en profondeur notre société. Ce phénomène est particulièrement impactant pour les gendarmes et policiers. Tout simple contrôle sur la voie publique est désormais filmé. Des pratiques de provocation des membres des forces de l’ordre sont systématisées sur fond de stratégie de neutralisation locale ou globale des forces de l’ordre, qui peuvent ressortir à des visées carrément idéologiques. Les photos et les adresses de gendarmes et policiers peuvent être diffusées sur une large échelle, dans le but de faire pression sur eux et leurs familles.

Il en ressort une pression psychologique considérable et pour certains personnels une tentation d’adopter une posture de plus en plus passive afin de ne pas s’exposer.

D’aucuns pourront cependant considérer qu’il y a là pour les citoyens un levier de régulation du comportement policier. Mais dans tous les cas, c’est une nouvelle réalité irréversible qui appelle plusieurs réponses:
- d’une part, une formation plus aboutie des gendarmes et des policiers pour leur permettre d’évoluer au mieux dans ce nouvel environnement beaucoup plus complexe qu’auparavant ;
- d’autre part une implication plus marquée du commandement sur le terrain, en soutien de leurs subordonnés, mais également des « employeurs » ( magistrats, préfets); et un dispositif de protection fonctionnelle plus offensif ;
- enfin et sur un plan général, une remise en cohérence de la société française avec ses valeurs essentielles. Là est le véritable défi global, non limité au seul domaine sécuritaire, et qui exige lucidité, justesse, force et courage.

Matthieu Valet : Aujourd’hui, quand vous faites une action de police, les gens filment immédiatement. Si la personne filme pour informer ou pour avoir un enregistrement d’intervention, pas de problème, bien entendu. Mais de plus en plus de gens viennent faire du buzz, veulent se « taper du flic », provoquent, cherchent le clash. Face à cela, notre administration est impuissante à protéger la diffusion et l’identification de ses policiers. On entend dire partout que les policiers passent entre les mailles du filet et ne sont pas condamné, c’est faux, évidemment. Quand il y a une accusation qui porte sur l’un de nos confrères, il y a immédiatement enquête. Nous vivons constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais lorsqu’on est victime de harcèlement ou de menaces de mort, l’administration hélas est muette et impuissante.

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