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Agiter la menace des casseurs ou la stratégie gouvernementale du parti de l’ordre
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Mobilisation gouvernementale

Selon le ministre de l'Intérieur, 245 manifestations ont été déclarées en préfecture ce jeudi 5 décembre, contre la réforme des retraites. Christophe Castaner a indiqué qu'il s'attendait à la présence de "black blocs" et de "Gilets jaunes radicaux" dans les cortèges.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Christophe Castaner croit-il vraiment à ce qu’il dit sur l’impuissance de la police face aux casseurs? 

Interrogé hier matin à la télévision, le Ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a expliqué sans sourciller qu’il était bien possible que des casseurs, Black Blocks et Gilets Jaunes violents, se mêlent aux manifestants. Et d’ajouter qu’il était extrêmement difficile d’appréhender quelques centaines d’individus violents 

A ce moment, le citoyen banalement informé met en perspective: il se rappelle par exemple un président de la République qui avait tourné une vidéo en langue anglaise défiant le retrait américain de l’accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique. Et il se dit: dire qu’il y a si peu de temps encore, le chef de l’Etat se sentait assez fort pour défier le président américain. Et aujourd’hui son Ministre de l’Intérieur capitule à l’avance devant des manifestants violents ? Que s’est-il passé en dix-huit mois pour que le pays ne soit même plus capable de neutraliser des casseurs, identifiés à l’avance?  Qu’arrive-t-il à l’une des dix premières économies du monde, à un pays dont l’Etat existe depuis des siècles? 

Le même citoyen pourrait aussi se dire, que c’est vraiment curieux: les Gilets Jaunes sont de moins en moins nombreux à manifester depuis des semaines. On devrait être en mesure d’identifier parmi eux les enragés, s’il y en a. Quant aux casseurs militants anarchistes, cela fait longtemps qu’ils sont connus, fichés, jusqu’au niveau européen. Il serait vraiment impossible de les empêcher de se mêler aux cortèges? On y revient toujours: comment se fait-il qu’un Etat capable de mobiliser des milliers de policiers, doté d’un renseignement intérieur structuré, ne puisse pas prendre les mesures préventives qui s’imposent, pour garantir l’ordre public, empêcher la casse des magasins, les incendies de voiture etc...? 

Notre Etat est-il si incapable, au-delà de ses capacités de renseignement? Evidemment, le même citoyen, en continuant à réfléchir, se dira qu’il entend depuis un an, des discours de ce type; qu’il observe la récurrence d’un curieux comportement de la part du gouvernement: on laisse s’installer des éléments violents dans les manifestations; il y a de la casse; puis on déplore l’irresponsabilité du mouvement social. Il y a du machiavélisme à la petite semaine derrière cette attitude: Au fond, Emmanuel Macron, qui a perdu, depuis son élection, une partie de son électorat der gauche, semble réussir à se maintenir entre 20 et 25% parce qu’il voit affluer à lui un « parti de l’ordre » effrayé par la casse que provoque le mouvement social. La ficelle est grosse mais il n’y a personne chez Les Républicains ni au Rassemblement National pour dénoncer ce petit jeu; et du coup, l’Intérieur continue en toute impunité ses « p’tites manips ». 

Pour finir, il saute aux yeux, pourtant, que le comportement du Ministre est en fait complètement détaché du réel. La réalité, c’est que le mécontentement profond de la société qu’avait révélé la crise des Gilets Jaunes, est en train de resurgir. Nul ne peut dire quelle forme il prendra réellement. Mais on a bien l’impression que les syndicats suivent le mouvement, loin de le précéder. Si tout rentrait dans l’ordre dès cette fin de semaine, ce ne serait pas du fait d’ organisations (plus très) représentatives, encore moins du fait d’un gouvernement qui par maladresse ou par cynisme jettera de l’huile sur le feu. Ce sera le fait de la société française elle-même, dans la mesure où, malgré les déchirures du tissu social, elle aurait encore le ressort interne pour s’auto-réguler. 

Au bout du compte, Christophe Castaner est apparu, une fois de plus, en cette veille de grève, complètement dépassé par une mission où l’on n’est pas successeur de Georges Clemenceau, Michel Poniatowski ou Charles Pasqua par un simple claquement de doigt. Et il nous dit à son insu que le moment n’est sans doute pas si éloigné où la « p’tit manip » consistant à disqualifier les mouvements sociaux par la tolérance de la violence au sein des cortèges,  apparaîtra si décalée par rapport aux réactions réelles de la société, qu’il faudra rapidement changer de méthode - sous peine d’être bien plus secoué encore que lors de la Crise des Gilets Jaunes. 

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