Vie privée : hommes d’affaires, des hommes politiques comme les autres

Atlantico : Selon le journal belge Het Laatste Nieuws, Arnaud Lagardère et sa jeune compagne Jade Forêt projetteraient d'annoncer leur mariage. Peut-on voir dans cette annonce une manière de rassurer les actionnaires de groupe ?

Yvonnick Denoël : C’est d’abord une façon de légitimer cette union qui a fait un certain nombre de vagues pendant l’été. Arnaud Lagardère n’a pas toujours été d’une très grande adresse en matière de communication sur sa vie privée. Il y a quelques temps, il avait cru nécessaire de démentir une rumeur, dont personne ne lui parlait et qui n’avait jamais été imprimée jusqu’à lors, faisant allusion à une relation entre Richard Gasquet et lui.

Cela fait écho à une plus ancienne maladresse de Jean-Marie Messier, croyant nécessaire, dans le cadre d’une interview à Paris Match, de démentir une soi-disant rumeur de relation avec Sophie Marceau. Personne n’en parlait, mais il a néanmoins tenu à la démentir… Ces interventions publiques témoignent d’un certain manque de contrôle chez ces gens qui sont habitués à vivre dans le contrôle, la communication et l’image. Quand on touche à leur intimité, ces gens-là font des erreurs de débutant…

C’est aussi bien-sûr une manière de transformer ce qui apparait comme une foucade d’adolescent en une union légitime. Comme beaucoup d’autres hommes d’affaire entre 40 et 50 ans, il y a une séparation avec la première épouse puis un remariage avec une épouse plus jeune. On rentre ici dans un schéma connu qui est beaucoup moins susceptible de choquer les actionnaires.

Les actionnaires sont donc très attentifs à la vie privée de leurs dirigeants…

Si on ne leur parle pas de la vie privée, je ne pense pas qu’ils s’y intéressent. Il y a des grand patrons de grands groupes d’affaires français qui ont une vie privée hors-normes mais qui n’en parlent jamais. Cela ne fait jamais les titres de la presse. Dans le cas d’Arnaud Lagardère, il y a eu une émotion au sein du groupe et de la part des actionnaires car ils ont perçu un manque d’implication sur le cœur de métier et une hypertrophie de la communication sur des sujets qui ne le méritaient pas.

C’est sans doute un problème d’encadrement de la part des équipes de communication. Cela vient sans doute aussi du fait que les dirigeants économiques, quand il s’agit de la sphère privée, ne considèrent pas qu’ils ont à se soumettre au jugement de leurs services de communication. Enfin, pour le cas d’Arnaud Lagardère, cela vient peut-être aussi du fait que son plus proche conseiller en communication, Ramzi Khiroun, devait également être occupé par un autre de ses clients, un certain Dominique Strauss-Kahn.

Il semble que la communication des dirigeants économiques se rapproche de plus en plus de celle des hommes politiques. Est-ce aussi votre avis ?

Oui, on peut noter un parallèle assez frappant et troublant entre la communication des hommes politiques et la nouvelle communication des dirigeants économiques. La rapidité avec laquelle Nicolas Sarkozy a épousé Carla Bruni est ainsi très semblable à la situation d’Arnaud Lagardère et de sa future épouse. D’ailleurs Jade Forêt se lance dans l’humanitaire, comme toute bonne première dame le ferait à sa place !

Quels sont les exemples les plus marquants d’une carrière de PDG brisée par des rumeurs d’ordre privée ?

On pourrait parler par exemple de l’ex patron de BP (British Petroleum), John Browne, qui a dû démissionner à quelques mois de la retraite à la suite d’un scandale provoqué, non pas par la révélation de son homosexualité (cela n’aurait pas choqué grand monde), mais par le fait qu’il ait été soumis à une sorte de chantage par un jeune escort boy. Le jeune homme menaçait son amant de révéler à la presse des détails au sujet de l’entreprise qu’il a trouvée sur son ordinateur. Une carrière qui se voulait exemplaire a été pulvérisée d’un seul coup par un sujet totalement privé.

L’homosexualité est-elle un tabou dans les milieux économiques ?

Tout dépend à la fois de la génération et du secteur. Les grands patrons dans le domaine du luxe assument plus leur différence. Il y a d’autres secteurs où cela ne se fait pas. Quelqu’un qui a longtemps été l’un des plus grands dirigeants de la banque française était homosexuel. Il n’en a jamais fait état, il vivait cela très discrètement. Beaucoup de journalistes économiques étaient au courant mais n’ont jamais songé à en faire état. Aucun journal aujourd’hui n’oserait aller sur ce terrain-là s’il n’était pas d’abord invité.

Je donne aussi dans mon livre l’exemple d’un grand patron qui a extrêmement était choqué par la découverte de l’homosexualité de son fils qui travaillait avec lui. Il l’a alors obligé à s’afficher avec une jeune femme, simplement pour sauver les apparences devant la galerie. Cela laisse rêveur, je ne vois pas en quoi cela aurait pu avoir un impact sur le cours de la bourse. Il y a un certain conservatisme au niveau des mœurs qui ne va absolument pas de soi.