A quoi sert réellement la participation de l'État dans les grandes entreprises si même les socialistes reconnaissent qu'on peut s'en passer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault a annoncé que l'État allait vendre des participations dans des entreprises dont il est actionnaire.
Jean-Marc Ayrault a annoncé que l'État allait vendre des participations dans des entreprises dont il est actionnaire.
©Reuters

Désengagement

Jean-Marc Ayrault a annoncé que l'État allait vendre des participations dans des entreprises dont il est actionnaire afin de financer des "investissements." Le PS semble ainsi renouer avec son habitude de désengagement de l'État, pourtant contraire aux idéaux du socialisme. Un aveu de l'inutilité de l'interventionnisme à la française ?

Henri Sterdyniak et André Fourçans

Henri Sterdyniak et André Fourçans

Henri Sterdyniak est économiste, spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite. Il est membre de l'association "Les économistes atterrés"

André Fourçans est professeur d'économie à l'Essec. Il a aussi enseigné dans deux universités américaines ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation économique dont Les secrets de la prospérité - l’économie expliquée à ma fille 2, Seuil, 2011.

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Atlantico : Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé dimanche soir vouloir réduire la participation de l'État dans les entreprises publiques où il est trop présent, pour relancer les investissements. Est-ce une mesure utile ? Quels effets peuvent être attendus d'une plus grande ouverture du capital des entreprises publiques ?

André Fourçans : Je pense que cette mesure va dans la bonne direction. Ce n’est pas le rôle de l’État de gérer les entreprises. Son rôle est de mettre en place un environnement favorable à l’industrie et aux services (fiscalité, charges, réglementations, concurrence). Il doit aider à "faire faire" et non pas "faire" lui-même, comme le disait Raymond Barre. Il doit faire en sorte que les grandes entreprises ne s’arrogent pas des positions dominantes entrainant des rentes de situation. C’est donc un pas dans la bonne direction si le désengagement signifie que l’État s’immiscera moins dans la gestion de ces entreprises. Cette décision devrait donc permettre une emprise de l’État moins forte et donc vers moins de rentes de situation ou d’inefficacités qui trop souvent résultent d’interventions étatiques diverses et variées, et qui protègent plus ou moins divers secteurs de la concurrence nationale et internationale.

Henri Sterdyniak : En principe, le gouvernement avait mis en place une Banque publique d'investissements qui était censée fournir des fonds propres aux entreprises que l'État estimait devoir aider. Les quelques milliards de plus ou de moins qui seront collectés avec cette mesure de réduction de la participation dans les entreprises publiques ne changeront pas grand chose au problème, qui est plutôt de capter une partie de l'épargne des Français, via la BPI, pour la redistribuer au secteur productif. Le reste, ce n'est qu'un gadget. C'est l'épargne des Français qui financera le développement industriel dont nous avons besoin.

La participation dans des entreprises est-elle réellement un moyen qu'à l'État d'améliorer l'intérêt général ? Le citoyen tire-t-il un avantage concret d'une présence de l'État dans des entreprises comme GDF-Suez, EDF ou EADS ?

André Fourçans : Les technocrates et les politiques qui peuvent être amenés à intervenir dans des entreprises ne sont pas nécessairement stupides, et certaines bonnes décisions peuvent parfois être prises. Mais on sait que, en moyenne, et sur la durée, trop d’interventionisme étatique va à l’encontre de l’efficacité économique. Car trop de "perversions" politiques faussent les choix économiques. Ce sont les gestionnaires directement responsables qui sont susceptibles, toujours sur la durée, de prendre les meilleures décisions, c'est-à-dire les actionnaires et les managers, et non pas les fonctionnaires ou les politiques. En économie de marché, ceux en charge de la gestion des entreprises doivent supporter la responsabilité des résultats. A-t-on vu souvent des technocrates perdre leur poste, ou tout simplement en subir les conséquences financières, parce qu’ils avaient pris les mauvaises décisions ? Ou des politiques perdre leur fonction pour les mêmes raisons ? Certes le verdict des urnes peut les éloigner du pouvoir, mais il existe rarement un lien direct entre les résultats électoraux et les fautes de gestion dans les entreprises publiques. 

Cela dit, il ne s’agit pas de condamner toute intervention étatique. Elle est justifiée sur des domaines de biens publics tel que celui de la défense. Pour des raisons économiques bien connues, il n’est pas illogique que l’État intervienne alors pour fournir, ou au moins financer, ce bien collectif régalien.

Henri Sterdyniak : Dans un certain nombre de secteurs, l'État estime qu'il a son mot à dire dans l'orientation de l'activité. Par exemple, pour EDF, il est légitime de penser qu'il y a des choix importants à faire sur l'énergie, ou le nucléaire, dans lesquels l'État doit être présent. C'est la même chose pour la Défense nationale. On l'a encore vu la semaine dernière dans le cas de Dailymotion où l'État a pensé qu'il devait encourager la France à se prémunir contre des entreprises étrangères. 

Qui pourrait tirer profit d'une cession d'une partie des participations de l'État dans ces entreprises ? Cela changerait-il leur fonctionnement ? Est-ce un premier pas vers la privatisation ?

Henri Sterdyniak : Je suis personnellement tout à fait réticent à l’ambiguïté qu'il y a dans les cas où l'entreprise est à moitié publique et à moitié privée. C'est une situation conflictuelle car les intérêts de l'État peuvent être tout à fait différents de ceux des autres actionnaires, et donc une formule "soit c'est l'État, soit c'est les actionnaires" correspond à une situation tout de même beaucoup plus saine. L'annonce qui a été faite hier va sans doute, dans certains cas rajouter une couche de conflits d'intérêt dans ces entreprises. On vient de le voir sur le cas de Dailymotion où les positions de l'entreprise Orange et de l'État ont été discordantes. C'est pareil pour EDF où l'objectif à court terme est la maximisation de la plus-value, là où l'État aura pour but de favoriser une énergie à bas prix.

André Fourçans : A partir du moment où l’État intervient moins, le grand gagnant sera la qualité des décisions des entreprises qui seront mieux en prise avec les réalités économiques. De plus, il y aura nécessairement moins de gaspillage d’argent public.

Les socialistes sous Lionel Jospin ont beaucoup privatisé ; la démarche annoncée par Jean-Marc Ayrault y ressemble un peu. C’est en tout cas le début de la même idée. En revanche, on ne sait pas encore ce que l’État veut vendre et dans quelles proportions. Donc, ce n’est pas encore de la privatisation, mais c’est en tout cas un pas dans cette direction. Peut-être le gouvernement ira-t-il plus loin ensuite. C’est à souhaiter.

Le Premier ministre a garanti que ces cessions ne serviraient pas à "boucher les trous du budget" mais pour financer des "investissements". Cette affirmation est-elle crédible ? Y a-t-il selon vous une stratégie industrielle réelle derrière cette déclaration ou bien est-ce juste une manière de faire porter sur les entreprises publiques le poids de l'incurie budgétaire ?

Henri Sterdyniak : On ne peut pas boucher des trous avec la vente des entreprises, ce n'est pas un système de vases communicants puisque la comptabilité nationale ne considère pas la vente des parts de l'État comme étant des revenus. Ça ne peut donc pas permettre de satisfaire un objectif de 3% de déficit, cela n'a rien à voir. Bien sûr, si l'État possède une entreprise, et considère que cette entreprise n'a plus d'intérêt national, il est légitime qu'il la vende, pour investir à la place là où il y aura un intérêt pour la collectivité.

Les cessions annoncées hier peuvent se faire dans le cadre d'une stratégie industrielle pensée, mais cela devrait se faire dans le cadre de la Banque publique d'investissement qui a normalement les moyens de récolter l'épargne des Français pour investir dans les secteurs qu'il faut aider, plutôt que par une opération qui sera forcément extrêmement limitée justement parce que nous n'avons pas grand chose à vendre.

André Fourçans : Difficile à dire. Je pense que ce type de décision est aujourd’hui davantage dicté par un besoin pressant d’argent que par une stratégie industrielle élaborée. Et peut être ne faut-il pas trop s’en plaindre. Est-ce vraiment à l’État d’établir ce genre de stratégie ? A-t-il plus de données en main pour le faire que les entreprises elles-mêmes ? Et, comme je l’ai dit plus haut, supporte-t-il les conséquences de la responsabilité directe lorsque les choix s’avèrent désastreux ? N’en a-t-on pas de multiples exemples de ces choix dans notre histoire, du Concorde aux abattoirs de la Villette, du Plan calcul aux turpitudes du Crédit Lyonnais, et bien d’autres plus récents, même si leur situation est moins visible ?

Les mesures annoncées par le Premier ministre, bien qu’encore vagues, sont peut être le signe annonciateur que le principe de réalité s’impose de plus en plus à nos gouvernants. Lorsqu’il a besoin d’argent, le pouvoir est obligé de devenir plus réaliste et de prendre des mesures qui sortent de sa vulgate idéologique. Pourvu qu’il continue ! La déclaration de M. Ayrault, si elle est surprenante au premier abord, relève plus de la dure réalité financière de notre pays que de la stratégie industrielle. Maintenant qu’on à lourdement pressuré le contribuable, il faut bien gratter quelques tiroirs pour trouver des fonds. Encore un effort, et peut-être diminuera-t-on véritablement les dépenses publiques…

Les fonds ainsi obtenus serviront à de nouveaux investissements, nous dit le Premier ministre. On retombe malheureusement dans la vision interventionniste chère à nos élites nationales – et ce qu’elles soient de gauche ou de droite. Et dans les vieux schémas selon lesquels l’État sait mieux que le marché quels sont les "bons" investissements. Ne va-t-on pas une fois de plus retomber dans les gaspillages sous couleur, bien entendu, de développer "les secteurs d’avenir" ou autre secteurs "indispensables" au redressement ? On peut le craindre.

Cet argent ne serait-il pas mieux employé à réduire notre endettement, par exemple ? Il faciliterait le retour à des finances publiques plus saines et œuvrerait plus, au fond, à résoudre nos grands problèmes économiques.

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