A Crépol et ailleurs… : comment le fléau des attaques au couteau s’est installé en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment stopper ces attaques au couteau ? L’Etat se donne-t-il les moyens de lutter contre cette délinquance ?
Comment stopper ces attaques au couteau ? L’Etat se donne-t-il les moyens de lutter contre cette délinquance ?
©Valery HACHE / AFP

Insécurité

A Crépol, un village au nord de la Drôme, le jeune Thomas, âgé de 16 ans, a été tué et 18 autres personnes ont été blessées lors d’une agression à l'arme blanche au bal du village. Ces attaques au couteau sont légion en France.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Maurice Signolet

Maurice Signolet

Maurice Signolet est un ancien commissaire divisionnaire. Il a notamment exercé à Aulnay-sous-Bois.

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Atlantico : Que révèle l'enquête sur l'attaque meurtrière de Crépol ? Que peut-on en conclure ? 

Xavier Raufer : Dans ces affaires, le DIAGNOSTIC est crucial. La société de l'information happe les nouvelles, veut immédiatement tout savoir, condamner sur le champ, trancher dans l'heure des cas les plus complexes ; accuser tout un chacun, s'indigner, tempêter, etc. D'abord, on ne peut bien sûr rien comprendre aux affaires criminelles, si l'on n'utilise pas les mots justes pour diagnostiquer. Pour Crépol, il s'agit clairement d'un crime, d'un homicide, passible de la Cour d'assises - On ne peut donc, comme je le lis plus bas dans une question, parler de "délinquance". 

Qui pouvait donc ainsi surgir dans un lieu paisible et y poignarder à l'aveugle, dans l'intention de tuer, de jeunes participants, pour ces tueurs, sans doute, des inconnus à titre personnel ? Ils ont prémédité leur acte. Ils se sont assemblés, pris des véhicules, choisi de récupérer ou de conserver des armes blanches sur eux. C'est donc un as­sassinat plus tentatives, avec préméditation et en bande organisée. 

On lit qu'il s'agirait d'une "bande de cité" ; venue du coupe-gorge dit "Quartier de la Monnaie", à Romans, ville voisine de Crépol. Mais à y voir de près, cette hypothèse cadre mal avec le réel criminel de ces cités. D'usage, comme toute entité criminelle, ces bandes frappent sur leur propre territoire (ou qu'elles considèrent comme tel). Or là, ce n’est pas le cas. S’ils tuent hors de « leur » territoire, ils visent des rivaux, sous tel ou tel prétexte. Crépol ? Des footballeurs de 16 ans ? Ça ne colle pas. 

Pour ces bandes organisées-constituées, issues de cités hors-contrôle comme la France en compte environ 700, les règles émanent de hiérarchies (caïds) qui toujours dé­fendent un territoire ou un trafic, leur but final étant le fric. Mais là ? Quelle menace pour ces caïds ? Précisons : le lendemain, qu’arrive-t-il à un chouf de la Monnaie à Romans, s’il y retourne reprendre son boulot après avoir massacré des jeunes à Cré­pol ? Il est sur le champ viré (voire lynché) car radioactif, allant à coup sûr attirer les keufs sur le point de deal. L'attaque n'émane donc sans doute pas d'une de ces bandes structurées au­tour d'une activité criminelle, type trafic de stupéfiants. 

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Mais un cran au-dessous, ces cités hors-contrôle abritent aussi des meutes juvéniles temporaires, vivant de larcins, connectées par leurs portables, sachant s'agglutiner à l'instant - capables aussi de la pire férocité car à la fois déstructurées, jeunes et ar­mées. Une de ces meutes de jeunes fauves a sans doute agi à Crépol. Ce n'est pas la première fois - mais là, il y a préméditation, coalition, en vue de tuer : un pas de plus dans la barbarie de meutes pour la plupart allogènes ; formées d'immi­grés (licites ou non) ou fils de. Étendons la catégorie de Karl Marx à la société de ces coupe-gorges : un lumpenproletariat des racailles (Terme aussi uti­lisé par Marx). 

En 2021, Valérie Boyer (sénatrice LR) estimait que le nombre de victimes à l'arme blanche était montée à 44 000 entre 2005 et 2017, soit plus de 120 victimes / jour en moyenne. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les chiffres ont-ils augmenté ? 

Xavier Raufer : Comme d'usage quand son impuissance éclate, M. Darmanin adopte la stratégie du roquet : aboyer et injurier, pour couvrir les légitimes demandes d'explication affluant vers lui. Voulant en prime noyer le poisson, il gémit que la société entière doit s'interro­ger sur ces actes. Mais voici les faits : en France, dit le dispositif Eurostat (l'INSEE de l'Union européenne) les coups et blessures volontaires (le terreau de tels crimes, en une évolution du moins au plus grave) ont augmenté de 65% depuis 10 ans (2012-2022) et de 350% (trois-cent-cinquante pour cent) depuis 1996. Qui gouverne la France lors de ces décennies ? À 100%, les amis de MM. Macron, Darmanin et Du­pond-Moretti, aux diverses phases de leurs propres contorsions politiques et trahisons. Le laxisme, c'est eux. Les lois paralysant les forces de l'ordre, c'est eux. Qu'ils n'aillent pas se cacher derrière la population française qui sans trêve, rejette ce laxisme et cet anarchisme sournois.

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Venons-en aux chiffres : nul n'en sait rien, en fait. Ce que publie l'intérieur depuis que M. Darmanin est ministre, ne vise qu'à camoufler le réel criminel et favoriser la carrière politique future du susdit.

Maurice Signolet : Il est difficile de mesurer avec exactitude le nombre de faits commis à l’aide d’une arme blanche, d’autant que leur contexte est variable selon leurs circonstances ou leur finalité. Une rixe entre bandes est différente d’une agression d’appropriation, d’une « soumission » lors d’une agression sexuelle, ou d’un différend interpersonnel entre deux protagonistes. Derrière ce chiffre de 120 victimes quotidiennes, qui semble être toujours d’actualité, on doit donc considérer le panel des exactions commises à l’aide d’une arme blanche sans pour autant pouvoir en interpréter avec exactitude leur contexte. L’évocation d’une systématisation du recours à l’arme blanche, voire son expansion irrémédiablement graduée au fil des trois dernières décennies, permet néanmoins de dégager une caractéristique sociétale nouvelle. Après une évolution anthropologique disciplinée, pour ne pas dire, par euphémisme, disciplinaire, de modulation des mœurs et de soumission à un ordre référentiel, on assiste, par effet pendulaire, à une désagrégation comportementale massive. De l’esprit chevaleresque à l’amour courtois, qui, par ruissellement avaient modulé la « normalité comportementale » des générations successives, il ne reste plus guère que la fiction, qu’elle soit littéraire ou télévisuelle pour s’en faire l’écho ! Les pulsions individualistes se trouvant désormais légitimées, jusque dans leur extravagance ou leur étrangeté, l’autre n’apparaît plus comme votre reflet, mais comme « une chose ». Pour certains, la réification de l’autre va se révéler un postulat ce qui va légitimer des violences indistinctes soit par coups disproportionnés au regard du contentieux (un simple regard, le refus d’une cigarette, la gratuité du plaisir ressenti à blesser un plus faible, etc.), soit par les coups de couteau portés avec toujours ce contexte de réification de l’autre, l’arme blanche étant la plus accessible, jusque dans sa disponibilité domestique. 

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Maurice Signolet : Les trois exemples que vous venez de citer, illustrent parfaitement, à eux seuls, la réalité de la situation. Les faits commis à Arras ressortaient d’un contexte terroriste, ceux commis à Annecy, par un étranger déséquilibré en situation irrégulière qui n’aurait jamais dû être sur le territoire national, quant à Crépol il s’agit d’une horde venue « d’un territoire perdu de la République » agresser les participants « d’une fête de village ».

Si, en 1455, François Villon, le premier poète de langue française, a commis, à l’issue de libations, le premier homicide à l’arme blanche qui ait retenu l’attention des littérateurs, au moins, avait-il eu la décence de disparaître dans la nébuleuse du temps, son corps n’ayant jamais été retrouvé ! De François Villon à la deuxième moitié du 20ème siècle, le pouvoir temporel (souvent aidé par le spirituel sacré !) s’est ingénié à privilégier le groupe, voire, dans sa sublimation, la Nation, au détriment des individualités, parsemant le parcours d’édification de codes et de lois pour en assurer sa pérennité. La collusion du monde politique, intellectuel, médiatique voire du spectacle à l’égard d’un courant « existentialiste » cher à André Breton que Jean Paul Sartre à largement contribué à vulgariser, s’est transformé en doxa dominante, en idéologie, façonnant cette fois les codes et les lois pour privilégier les particularismes, légitimer « les différences » en inversant la règle de prééminence de la majorité. Cette fois, par essaimage, par ruissellement pyramidal inversé, la norme est apparue « anormale ». Le lieu n’allait plus faire lien en imposant un territoire et un peuple autour de convenances raisonnées et disciplinées, mais en y substituant un espace et une population suggérant une stratification des différences considérées comme indéniablement

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« enrichissantes » ! Le résultat, soyons clairs, est une « pétaudière » de cohabitations, de circulations « d’étrangetés » dont il faut relever la racine étymologique, qui ont conduit dans un premier temps à sinistrer l’espace public, puis les relations interpersonnelles, et enfin l’existence même du lien national millénaire. Si l’on agrège les deux analyses que je viens de vous exposer, la légitimation des pulsions d’ordre Freudien qui conduit à une réification de l’autre, et le désengagement institutionnalisé de l’État au nom d’une idéologie disruptive à l’égard des fondamentaux ancestraux, on comprendra mieux les dérives comportementales violentes, extrêmes qui nous préoccupent aujourd’hui. Arras, Annecy, Crépol, mais aussi les phénomènes de bandes, les trafics de stupéfiants, les assassinats qui s’égrènent à Marseille, la litanie des faits divers qui sont en réalité des faits de société, ne sont que les conséquences de ces deux dérives.

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Xavier Raufer : Mais c'est enfantin : qu'un organisme indépendant, doté de moyens sérieux, mesure en toute transparence les actes criminels/délictueux commis en France. Notre pays vit à présent une situation grotesque et honteuse où un menteur invétéré comme M. Dar­manin renforce sa propagande par les "statistiques"... qu'il publie lui-même.  

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Maurice Signolet : Se limiter à la seule lutte contre les attaques aux couteaux serait bien trop réducteur. Je laisse ce soin au ministre de l’Intérieur qui j’en suis persuadé, pourrait apporter, chiffres à l’appui, la solution miracle à ce phénomène après concertation avec son staff de communicants ! Tout comme il avait annoncé l’interdiction de la vente « des feux de bengale » à la suite de l’attaque aux mortiers du commissariat de Champigny sur Marne, je ne doute pas qu’à la suite du drame de Crépol, il va interdire… la vente des couteaux aux mineurs ! Vous l’aurez compris c’est bien un engagement quasi civilisationnel s’inscrivant dans la durée, avec comme seule perspective le lointain, qui est désormais nécessaire. Montesquieu disait :

« ce qui n’est pas utile à l’essaim, n’est pas utile à l’abeille ». Imprégnons-nous de cette simple citation pour...prévoir le lointain. Seule la réhabilitation de la sanction, immédiate, certaine, dissuasive, exemplaire, permettra un retournement de situation. Nous en sommes très loin, car l’État, par manque de lucidité se désengage de sa mission régalienne de sécurité, et pas capillarité la Justice, elle, s’égare dans les méandres de la compassion idéologique en oubliant qu’elle se doit de représenter le peuple, celui des honnêtes gens. Là encore, nous devrions nous inspirer d’un autre philosophe, Joseph de Maistre qui écrivait « le glaive de la Justice n’a pas de fourreau. Toujours il doit menacer ou frapper ».   

Enfin, comment expliquer que le nombre d'homicides n'augmente pas, mais que le nombre de blessés, lui, augmente fortement alors que les urgences savent désormais sauver des gens qui seraient morts avec les mêmes blessures auparavant ? 

Xavier Raufer : On sait ça depuis longtemps : je l'ai déjà expliqué en détails dans Atlantico. Depuis l'instauration du Samu et du Smur (urgences de voie publique) seuls trois individus blessés dans la rue ou chez eux, meurent sur le trajet de l'hôpital ; là où sept sur dix y mouraient voilà trente ans. La stagnation du nombre des morts (remplacés par autant de blessés) ne s'explique pas autrement.

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