70 ans de la PQR : la presse locale post-Seconde Guerre mondiale a-t-elle tenu ses engagements ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La presse quotidienne régionale fête ses 70 ans
La presse quotidienne régionale fête ses 70 ans
©Reuters

Le bilan

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une multitude d’ordonnances ont statué sur les nouvelles caractéristiques que devait prendre en compte la presse française. Parmi les quotidiens régionaux pourtant, et 70 ans après, les promesses d'indépendance et de pluralisme ont dû fléchir face aux besoins de capitaux et aux lois du libéralisme.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Après la guerre, l'ensemble de la presse française a voulu se reconstruire sur des bases d'indépendance du pouvoir, et d'innovation par rapport aux anciens modèles. Comment la presse quotidienne locale, dont les tirages sont souvent supérieurs à la presse nationale, s'est-elle positionnée par rapport à ces aspirations ?

Christian Delporte : A la Libération, la presse nouvelle voulait rendre les journaux aux journalistes, les débarrasser des intérêts privés, interdire toute possibilité de concentration. Selon les ordonnances de 1944, un directeur de journal ne pouvait contrôler plus d’un quotidien ni exercer une fonction industrielle et commerciale lui rapportant l’essentiel de ses revenus. Dans les faits, la disposition n’a jamais été appliquée. En province, de nombreux journaux, issus de la presse et des groupes politiques de la Résistance, ont fleuri dans les kiosques. A Bordeaux, par exemple, on comptait 7 quotidiens en 1945 contre 3 avant-guerre. Certains journaux ont cherché des solutions pour conserver le contrôle sur leur avenir. A Tours, La Nouvelle République du Centre Ouest, a ranimé une vieille loi de 1917 sur la société anonyme à participation ouvrière pour donner au personnel la possibilité d’arbitrer un éventuel conflit entre l’équipe dirigeante et les actionnaires extérieurs. Mais cela reste l’exception. Dès que l’Etat, en 1947, a réinstauré la libre-concurrence, la presse a sombré dans la crise. En cinq ans, plus de 40% des titres de province ont disparu. Pour survivre, il a fallu trouver de l’argent frais, ce qui a favorisé le retour des anciens propriétaires qui sont entré dans le capital des journaux en détresse, comme ce fut le cas pour Le Dauphiné libéré. Ailleurs, les calculs politiques, sur fond de guerre, ont permis d’inattendus retours, comme celui de La Dépêche de Toulouse, transformée en Dépêche du Midi. Le "retour à la normale", après la fièvre de la Libération, en quelque sorte…

70 ans plus tard, peut-on dire que cette presse a tenu ses promesses ?

La diversité de la PQR (Presse quotidienne régionale ndlr) est trop grande pour rendre des jugements définitifs. Reste qu’elle n’a pas échappé aux logiques de concentration, ce qui a eu pour effet pour rompre l’une des grandes promesses de la Libération, celle du pluralisme, condition de la démocratie. Les départements où la concurrence règne sont rarissimes. Dans la plupart d’entre eux, un seul quotidien a le monopole de l’information. Mieux : d’un département à l’autre, le titre peut changer, mais vous lisez le même journal, même si l’éditorial n’est pas le même. On comptait 175 quotidiens en province, à la Libération. Aujourd’hui, leur nombre est réduit à 53.

Lectorat plus âgé, principalement intéressé par les sujets strictement locaux, tendance au rapprochement plus fort avec les notables locaux... La nature même de la presse quotidienne régionale en France n'est-elle pas un obstacle pour être réellement indépendante et innovante ?

Le phénomène n’est pas vraiment nouveau. Les sujets "locaux" ont toujours fait le succès de la PQR : c’est en ratissant chaque bourgade que Ouest-France a construit son influence. Au XIXe siècle, ce sont les notables qui ont créé la presse de province pour asseoir leur hégémonie locale. Naguère, le patron de Paris-Normandie, Jean Allard, était l’adjoint de Jean Lecanuet à la mairie de Rouen. Et demandez aux journalistes montpelliérains s’il était facile de porter un regard critique sur la politique de Georges Frêche ! Le grand problème de la PQR, c’est son manque de diversité, l’uniformisation de ses formats, l’incapacité à renouveler ses genres, une interrogation plus approfondie sur la complémentarité du Web, bref des questions plus journalistiques que politiques.

Comme la presse nationale, la presse régionale a connu une remise à plat à la Libération, mais plusieurs grands titres ont en fait une ancienneté bien antérieure à cette période (La Tribune, la Montagne les Dernières Nouvelles d'Alsace...) Cela a-t-il influé sur l'évolution de ce type de presse après la guerre ?

Ce sont des situations exceptionnelles, puisque la quasi-totalité des titres ont été interdits : tous les journaux de zone nord ayant continué à partir après l’armistice de 1940 ; tous les journaux de zone Sud diffusés quinze jours après l’invasion allemande de novembre 1942. La Montagne (qui avait attendu 1943 pour se saborder) a été repêchée in-extrémis pour faits de résistance. Mais les titres que vous citez ont moins marqué l’évolution de la PQR que Ouest-France, La Voix du Nord ou Sud-Ouest, par exemple.

L'évolution de la presse locale l'a amenée à une forte concentration, tout en étant cependant possédée par des groupes dont la presse est le métier (là où les titres nationaux sont moins concentrés, mais possédés par des "industriels"). Cela a-t-il été facteur d'indépendance ou a plutôt tiré cette presse vers un contenu plus convenu ?

L’histoire de la concentration de la PQR est complexe depuis ses débuts, à la fin des années 1950, avec Robert Hersant et "Centre Presse". Aujourd’hui, EBRA est le principal groupe, avec 13 journaux (Dauphiné libéré, DNA, Est républicain, Progrès, L’Alsace…), une influence sur 23 départements et 1,3 million de ventes quotidiennes. Il affiche, en effet, sa volonté de respecter le pluralisme, mais n’apporte pas grand-chose en matière d’innovation éditoriale. Et ce n’est pas en changeant l’éditorialiste d’un journal à l’autre qu’on innove. Aujourd’hui, devant la chute des ventes, il ne faudrait pas que s’affirme la tentation de la fusion. La fusion n’additionne pas le lectorat, elle le divise. L’expérience du groupe Hachette Filipacchi à Marseille nous le montre : en faisant absorber Le Méridional par Le Provençal, un tiers du lectorat s’était évaporé. Le lecteur veut avoir le choix, et si on veut permettre l’indépendance tout en assainissant la gestion, c’est bien sur la diversité qu’on doit miser.

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